Pendant presque vingt ans, les gouvernements du monde entier ont cherché à créer un marché de l’électricité plus compétitif par diverses politiques de régulation. Les régulateurs cherchent à intensifier la compétition, à contrôler les prix et empêcher les monopoles, ce qui profite en fin e compte au consommateur. Pour ce faire, les régulateurs mettent en œuvre deux types d’intervention : changer la structure du marché en forçant les compagnies à vendre des actifs (ce qui les empêche de devenir trop grandes et trop puissantes) et changer les comportements via des tactiques telles que le plafonnement des prix ou la restriction des parts de marché –une seule compagnie peut contrôler et mettre en place des objectifs de capacité (ce qui empêche les entreprises de retirer de la capacité pour faire monter les prix).
Les interventions sur le comportement sont en général plus faciles à réaliser que la restructuration du marché, ce qui va contre les principes du « marché concurrentiel». Néanmoins, les compagnies réagissent à chaque intervention, telles des êtres vivants qui s’adaptent à leur environnement, ce qui peut signifier que des mesures supplémentaires sont nécessaires. Les marchés de l’électricité évoluent comme un ensemble, et ce à travers les interactions dynamiques entre les actions des régulateurs et les réactions des compagnies face à ces actions. Notre objectif principal dans cet article consiste à analyser l’impact des interventions régulatrices sur l’évolution de la structure du marché. Le modèle computationnel présenté dans l’article peut être utilisé à la fois par les régulateurs et les compagnies de production, pour étudier les possibles impacts à long terme des interventions régulatrices.
Un jeu d’échanges
Une manière de comprendre cette évolution stratégique est de la voir comme deux « jeux » liés entre eux : un jeu sur le marché de l’électricité, dans lequel les comapgnies essaient de trouver le meilleur prix possible pour leur électricité, en étant en concurrence les unes avec les autres ; et un jeu d’échanges entre les installations, qui peuvent échanger les unes avec les autres des capitaux. Les régulateurs ne jouent dans aucun des deux jeux ; ils instaurent les règles, représentant les intérêts du consommateur et essaient d’empêcher les compagnies électriques de « gagner » en devenant trop rentables ou trop puissantes.
Le jeu du marché de l’électricité fonctionne généralement selon l’un des deux modèles : soit les compagnies vendent leur électricité à un prix unique, et toute l’électricité disponible est mise en commun (c’est la « compensation centrale ») ; ou alors il existe plusieurs tarifs, pour traiter les augmentations de la demande, et les compagnies peuvent choisir à qui vendre lors d’un échange (c’est l’ «échange bilatéral »). Les compagnies « gagnent » dans le jeu de l’électricité en vendant leur électricité au meilleur prix possible, ce qui leur permet de tirer le plus de bénéfices de leurs capitaux (à savoir leurs centrales). Les régulateurs, pour leur part, cherchent à aider le consommateur en encourageant la compétition entre les joueurs, ce qui maintient des prix bas.
Toutes les centrales électriques ne se ressemblent pas en termes de capacité et de technologie. Une plus grande capacité signifie plus de revenus, tandis que la technologie peut aider les compagnies à répondre à la demande en période de pic, ce qui leur permet de réussir dans les échanges bilatéraux. Les compagnies diffèrent également par leurs capacités ; l’une d’entre elles peut donner plus de valeur à une centrale qu’à une autre. Par conséquent, une manière pour les compagnies d’être avantagée dans le jeu des marchés de l’électricité consiste à échanger les centrales les unes avec les autres. Si une entreprise peut tirer plus de valeur à partir d’une centrale tenue par un concurrent en en obtenant un meilleur prix sur le marché de l’électricité, elle peut vouloir l’acheter. La compagnie concurrente, pour sa part, vendrait sûrement sa centrale si on lui offre un meilleur prix que ce qu’elle vaut. C’est la base du jeu d’échange des centrales, dans lequel les entreprises répondent aux demandes du marché en essayant d’optimiser leurs capitaux et créer un portefeuille optimal. Créer un portefeuille optimal implique de croître en rachetant des concurrents plus petits ; les régulateurs veillent à limiter ce phénomène pour éviter la concentration du marché (monopole ou domination du marché par quelques joueurs).
Nous avons voulu analyser les effets et l’efficacité de deux interventions portant sur le comportement sur les marchés de l’électricité : le contrôle de la production par l’instauration d’un minimum de production requis pour chaque compagnie, et la réduction des parts de marché que les compagnies sont autorisées à avoir. Pour ce faire, nous avons simulé le jeu d’échanges de centrales dans un modèle computationnel et l’avons appliqué au marché de l’électricité de l’Angleterre et de Pays de Galles de l’an 2000.
À chaque « tour » dans le jeu, les entreprises peuvent repérer les centrales qu’elles peuvent acheter et décider si elles valent la peine d’être achetées (en d’autres termes, si elles sont susceptibles d’augmenter la valeur de leur portefeuille de capitaux). Si la centrale vaut la peine, le prix est équitable et le vendeur consentant, la transaction est réalisée. En revanche, si l’évaluation des acheteurs potentiels ne dépasse pas celle du propriétaire actuel de la centrale, la transaction n’a pas lieu et le marché est réputé être dans un « équilibre en évolution ».
Il existe d’autres subtilités : les joueurs doivent prendre des décisions à partir de connaissances incomplètes et aussi prendre en compte l’effet de leurs actions (ou de leur absence d’action) sur les croyances et les perceptions des autres joueurs. Ils choisissent la meilleure réponse possible selon le moment et se basent sur leur compréhension de l’évolution s’ils agissent ou répondent d’une certaine manière.
Comme les joueurs achètent et vendent des centrales les uns aux autres, la structure globale du marché de l’électricité change, avec des effets induits sur la capacité totale et les tarifs. Par conséquent, le marché de l’électricité fournit le motif pour l’échange de centrales, qui en retour décide de l’évolution du marché de l’électricité ; les deux jeux sont imbriqués. Pendant ce temps, les régulateurs essaient d’influer sur le résultat des deux jeux pour que le consommateur en profite.
Tout ceci est représenté par un ensemble d’équations, un modèle mathématique dont la création et la mise en œuvre sont complexes et gourmandes en temps, mais qui est une représentation très simplifiée d’une réalité encore plus complexe.
Produire plus d’électricité
Grâce à notre modèle, nous avons découvert que les deux types de mesures de régulation sont utiles, mais de manière différente. Chacune peut augmenter la quantité d’électricité produite, ce qui abaisse les prix. Le minimum de production requis contribue en lui-même à ce que les compagnies ne suspendent pas leur production pour faire monter les prix, et il rend moins attractif l’achat des concurrents plus petits, ce qui empêche une trop grande concentration sur le marché.
Contraindre les parts de marché alors qu’un minimum de production requis est déjà instauré n’a pas d’effet supplémentaire. L’usage de la contrainte des parts de marché en tant que telle permet de réduire les niveaux de concentration (en d’autres termes, le pouvoir de « monopole » est réparti plus équitablement sur les compagnies). En revanche, ses effets diffèrent selon les règles du jeu des échanges d’électricité : dans le cas d’une mise en commun ou d’une compensation centrale, les prix et la concentration sont plus réduits que dans le modèle d’échanges. Deux implications en découlent : d’abord, les prix sont généralement plus élevés que dans le modèle de mise en commun ; ensuite les actions des régulateurs sont plus efficaces sur ce type de marché.
Bien qu’il semble refléter la réalité de manière plutôt juste, notre modèle présente encore des limites. Il ne reflète que certains aspects de la réalité : il s’agit d’une carte et non du terrain en lui-même. Néanmoins, les politiques et les compagnies d’énergie peuvent l’utiliser pour mieux comprendre les conséquences de leurs actions.