Les bruits de transaction sont des fluctuations dans le prix des actions dus à des facteurs indépendants de la valeur réelle des actifs, ce qui peut donner une fausse image de la volatilité de l’entreprise. Cette étude éclaire la manière dont une nouvelle méthode statistique, appelée « filtrage des particules auxiliaires » est capable de prendre en compte efficacement ce phénomène et d’aider à filtrer les bruits de transaction.
Il existe de nombreuses manières de réfléchir sur les entreprises pour mieux les comprendre. Une manière consiste à considérer une entreprise comme un ensemble d’actifs –les fonds, le matériel, les compétences, la valeur de la marque- sur lesquels différentes personnes ont des revendications. Les actionnaires de l’entreprise, qui lui donnent sa valeur, ont un type de revendication ; ses créanciers, qui lui prêtent du liquide, en ont un autre type. Pour prendre des décisions en connaissance de cause, ces acteurs doivent avoir à leur disposition un tableau précis des risques encourus en investissant dans l’entreprise ou en lui prêtant de l’argent. Par exemple, il se peut que les investisseurs veulent savoir s’il vaut mieux investir dans une obligation d’entreprise, ce qui comporte toujours le risque que l’entreprise en question ne fasse faillite, ou dans un bon du Trésor, plus sûr mais offrant des retours sur investissement moindres.
Le modèle de risques de crédit structurels, mis au point dans les années 1970, permet aux investisseurs et aux créanciers d’évaluer les risques dans une entreprise en termes de crédit. Néanmoins, ce modèle repose sur une évaluation juste de la valeur du capital d’une entreprise. Or la plupart du temps, cette valeur ne peut être mesurée précisément, car elle ne peut être directement observée. En revanche, si l’on utilise la méthode de l’estimation du maximum de vraisemblance, on peut utiliser une autre mesure, comme le prix des actions de l’entreprise, pour estimer la valeur des actifs de l’entreprise (à condition qu’elle soit cotée en bourse). Même s’il n’y a pas de relation mathématique directe entre le prix des actions et la valeur des actifs, cette méthode permet toutefois d’arriver à une estimation raisonnable.
Les risques associés aux bruits de transaction
Un des problèmes de cette approche consiste dans les « bruits de transaction ». Les bruits de transaction sont les fluctuations de prix des actions dus à des facteurs qui n’ont rien à voir avec les fonds de l’entreprise ou la valeur de ses actifs, mais cela désigne la spéculation à court terme ou mal informée, des réactions exagérées à des évènements en cours ou l’illiquidité (une raréfaction des stocks qui peut faire augmenter les prix). Sur certains marchés, ces bruits peuvent créer une fausse représentation de la volatilité de la valeur des actifs ; la relation entre le prix des actions et la valeur des actifs est perturbée par le bruit et il y a trop d’incertitude. Le bruit de transaction est comme une interférence avec un signal télévisé ou radiophonique ; il nous empêche de bien voir ce qui se passe vraiment à propos des actifs d’une entreprise. Nous devons trouver un moyen pour filtrer et éliminer ce bruit.
Jusqu’à présent, les utilisateurs des modèles de risques de crédit structurels étaient obligés d’ignorer les bruits de transactions ou de recourir à une toute autre méthode pour évaluer les dettes d’entreprise. Néanmoins, en 2009, grâce à une méthode nommée « filtrage des particules auxiliaires », nous avons développé un nouveau modèle qui les prend en compte. Même si nos idées sont nouvelles en elles-mêmes, elles se basées sur les travaux de plusieurs autres chercheurs académiques, développées depuis presque 35 ans, ainsi que sur nos idées et nos articles précédemment publiés.
Nous avons testé notre modèle sur deux ensembles d’entreprises : les trente entreprises américaines qui forment l’indice Dow Jones Industrial Average et un ensemble aléatoire de cent entreprises américaines plus petites et cotées en Bourse.
Nous voulions savoir dans quelle mesure les bruits de transaction affectaient, dans les deux échantillons, la volatilité de l’évaluation des actifs. Par conséquent, comme les modèles de risques de crédit structurels ignorent les bruits de transaction, nous voulions aussi découvrir quels étaient les effets de la non-prise en compte des bruits de transaction. Était-ce vraiment sûr d’ignorer les bruits de transaction ou était-il essentiel de trouver un moyen de les prendre en compte ?
Éviter la surévaluation de la volatilité
Pour les trente entreprises du Dow Jones, nous nous sommes concentrés sur le prix quotidien des actions au cours de l’année 2003. Nous avons découvert que, si certaines entreprises (telles que American Express) semblaient pâtir de l’absence de bruit de transaction, six des trente entreprises étaient vulnérables aux bruits de transaction importants. Néanmoins, il se peut que les résultats d’American Express soient dus à une défaillance dans notre modèle ; il semble probable que tout titre soit sujet à des bruits de transaction, certains étant plus susceptibles de l’être que d’autres.
Comme prévu, nous avons découvert que la non prise en compte des bruits de transaction conduit effectivement à une surévaluation de la volatilité de la valeur des actifs, généralement à hauteur d’environ 6,66 %. Chez certaines entreprises, comme 3M, le fait d’ignorer les bruits de transactions a conduit à une disparité de plus de 15,9 %.
Dans notre échantillon de cent entreprises plus petites, les bruits de transaction étaient encore plus significatifs, comme nous nous y attendions –leurs action sont en effet plus susceptibles de souffrir d’illiquidités et d’autres facteurs qui les déforment. Nous avons découvert que les bruits de transaction peuvent faire augmenter la volatilité des valeurs des actifs de 93,78 % en trop, et 10 % des entreprises présentent un biais de 44,57 % ou plus.
Pour vérifier que notre modèle était correct, nous avons comparé nos estimations concernant les bruits de transaction avec les indicateurs d’illiquidités tels que la taille de l’entreprise et l’écart entre le cours acheteur et le cours vendeur. Cet écart consiste en la différence entre le montant auquel les actions peuvent être vendues et le montant auxquelles elles peuvent être achetées. Les actions des grandes compagnies sont souvent traitées en de larges volumes comprenant de nombreuses actions en circulation. Cela stabilise et ralentit le coût des actions et réduit l’écart entre les deux cours. Inversement, les actions des petites entreprises sont mieux tenues entre elles, ce qui réduit la marge libre et rend leurs coûts plus volatils ; l’écart entre les deux cours est généralement plus grand pour ces actions. Lors de notre comparaison, nous nous sommes aperçus que nos estimations portant sur les bruits de transaction étaient liées à des écarts de cours de plus grande envergure et à des volumes de transaction plus réduits. Cela a montré que notre modèle prévoyait des bruits de transaction plus importants pour les actions avec de mauvaises liquidités, ce qui correspond à ce à quoi on s’attendrait dans le monde réel.
Nos recherches confirment que les bruits de transaction est un facteur important des les modèles de risques de crédit structurels et doivent être pris en compte. Grâce à notre nouveau modèle, les professionnels de la finance peuvent filtrer et éliminer ces bruits de transaction, ce qui leur permet d’être mieux informés pour prendre des décisions d’investissement ou de prêt.
« Estimating the Structural Credit Risk Model When Equity Prices Are Contaminated by Trading Noises » paru dans le Journal of Econometrics.