À l’approche du 6 novembre, tous les médias donnent un coup d’accélération à leurs analyses sur ce qu’on peut appeler une course serrée. Est-ce que la piètre performance d’Obama au cours du premier débat présidentiel va faire pencher la balance en faveur de Romney et est-ce qu’il peut se racheter au cours du second débat de cet après-midi ? En dépit des tensions évidentes sur des sujets tels que le rapport sur l’emploi, le système de santé et la politique étrangère, les chefs de campagne tant démocrates que républicains en savent beaucoup plus sur les intentions de vote des électeurs que ce que l’on imagine.
Selon le professeur Arnaud De Bruyn, directeur du département de marketing, les données collectées sur les électeurs et portant sur leurs valeurs et leurs habitudes de vote peuvent en dire long sur les tendances de vote. Et en fin de compte, cela peut aider les analystes à prédire le résultat des élections avec une relative certitude et influencer les résultats en ciblant les électeurs indécis afin de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.
« Il existe une multitude d’indicateurs qui indiquent aux hommes politiques pour qui vous allez voter aux élections ou si vous n’êtes pas encore convaincu, explique le professeur De Bruyn. Il est très utile d’identifier les électeurs indécis pour maintenir une avance ou rattraper un retard. Et même si le gouverneur Romney et le président Obama bénéficient de budgets de campagne très élevés, chaque centime compte et il est évident que la meilleure gestion des fonds consiste à faire des campagnes ciblées. »
Utiliser le big data pour cibler les électeurs indécis
De la même manière qu’une chaîne de supermarchés pourrait utiliser des informations sur vos habitudes d’achats et vous envoyer des bons de réduction ciblés, les chefs de campagne d’Obama et de Romney utilisent ce qu’ils savent des électeurs américains pour cibler leurs messages et s’adresser à ceux dont le vote aura un impact. Et ils en savent plus long sur vous ce que vous pensez.
Le point de départ le plus évident dans le processus pour vous connaître est le sondage. « Les grands sondages aux États-Unis sont destinés à trouver ce que nous appelons les besoins fondamentaux. Les enquêtes comportent des questions sur les convictions individuelles et les valeurs, explique le professeur De Bruyn. « Comment voyez-vous l’avenir ? Comment définissez-vous le succès ? De quoi aurez-vous besoin pour réussir ? » C’est grâce à des questions de ce genre que les analystes accèdent à des séries de mots-clés liés à ces besoins fondamentaux : la famille, la sécurité financière, le respect de son appartenance, la réussite professionnelle, l’environnement, les opportunités, les enfants, etc.
Par exemple, « faire bénéficier les autres d’opportunités » est une expression typique d’un démocrate tandis que « défendre ce qui est juste » provient d’un républicain assumé. Ces groupes n’intéressent pas vraiment la campagne d’Obama et de Romney car ils ont plus ou moins choisi leur camp. En revanche, les électeurs indécis sont essentiels au résultat. Ce sont des expressions telles que « travailler avec la communauté », « devenir indépendant » ou « se concentrer sur la famille » qui permettent de les identifier.
Mais les analystes ne se limitent pas à ce que vous dites lors d’une enquête. Les chefs de campagne politique ont également accès à des vastes données concernant les habitudes d’achat des Américains et croisent ces données avec les résultats de vote au fil du temps afin d’en savoir plus sur des groupes spécifiques. Une analyse discriminante de ces données révèlera aux analystes ce qu’ils ont besoin de savoir sur votre couleur politique. « Il y a plus de probabilité que vous soyez un démocrate si vous avez un chat, mangez des sushis et avez un Macintosh, par exemple. Les républicains, à l’inverse, sont plus susceptibles d’avoir un chien, de rouler dans une Pontiac, de posséder une arme et d’aller à l’église. »
Les réseaux sociaux ont aussi un rôle à jouer. En 2008, Barack Obama a consacré une grande partie de sa campagne à la présence sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, les données tirées de cette même plateforme sont utilisées à de nouvelles fins, mieux identifier ces électeurs indécis.
L’envoi de messages ciblés à partir d’extraction de données de ce type est un parfait exemple du fait que les chefs des campagnes politiques sont de plus en plus aptes à utiliser des outils d’analyse marketing –ce sont ces mêmes outils qui permettent de cibler un groupe de consommateurs spécifique.
« Les hommes politiques utilisent des méthodes relativement récentes, utilisées depuis seulement quinze ans, d’analyse marketing pour interpréter les attitudes des électeurs et les cibler, explique le professeur De Bruyn. La première méthode est l’établissement d’une carte politique. En regardant les résultats des élections passées et en les croisant avec les données comportementales, les analystes peuvent cartographier avec une précision extrême, rue par rue, les tendances politiques des habitants. Le découpage des quartiers est très précis : les rues passantes ne sont jamais mélangées avec les rues moins fréquentées, si bien que les regroupements sont les plus homogènes possibles. Même si les gens votent dans le même bureau, les données ne sont pas collectées de la même manière.
Mettons par exemple qu’il y ait une course serrée dans le district est de la Caroline du Nord. Les chefs de campagne ont désormais la possibilité d’acheter l’adresse de 20 000 personnes de cette région et qui sont susceptibles d’appartenir à ceux qui parlent de « travailler avec la communauté » -il s’agit donc d’un groupe d’électeurs indécis de choix. Ils peuvent envoyer des messages ciblés par mail ou affiché des pancartes parlant des élections. Ils peuvent même découvrir que ce groupe a tendance à regarder une certaine chaîne de télévision ou un certain programme et acheter des emplacements publicitaires pendant ce programme. Les possibilités sont infinies. »
Obama ou Romney ? Un vote qui n’est pas si secret que cela
À l’approche des élections, l’extraction de données en grandes quantités enlève beaucoup du suspense des élections de novembre. Le professeur De Bruyn va jusqu’à dire que ces outils sont aussi efficaces qu’une intrusion dans l’isoloir : « Nous arrivons à comprendre les besoins fondamentaux et l’histoire électorale d’un quartier donné, si bien que les candidats ont accès à des données très précises. »
Cela est encore plus vrai pour le deuxième tour des élections françaises. Les analyses, en regardant les résultats du premier tour, peuvent plus ou moins prédire qui va l’emporter au second tour. « Dans ce cas, nous parlons du vote réel des électeurs et non plus seulement des intentions de vote. Cela rend l’analyse extrêmement précise. »
Les experts se sont emparés de la piètre performance d’Obama lors du premier débat présidentiel pour dire que la course n’était pas encore gagnée. En effet, si l’efficacité des messages ciblée reste encore à démontrer, nous devons nous rappeler qu’il est plus facile que jamais pour les deux camps d’identifier ces électeurs indécis qui ont un rôle charnière –grâce aux enquêtes sur les besoins fondamentaux, la cartographie des élections passées et l’analyse discriminante- et de les atteindre avec précision grâce à des vastes banques de données, les spots télévisés ciblés, des mails envoyés directement et tant d’autres moyens.
En savoir plus :
"Modeling voter choice to predict the final outcome of two-stage elections" (W. Kamakura, J. Mazzon, A. De Bruyn), International Journal of Forecasting, Oct 2006,