Nous assistons peut-être aux débuts d’une guerre commerciale mondiale. Les premiers coups de feu ont été tirés par l’administration Trump qui a imposé des tarifs douaniers sur les importations d'acier et d'aluminium aux États-Unis. Le gouvernement américain a par ailleurs présenté ce mois-ci une longue liste de produits supplémentaires qui feront également l’objet de nouveaux tarifs douaniers. Cette dernière a mis en évidence que la cible principale de ces mesures était la Chine.
Ces nouvelles taxes douanières s’expliquent par l’important déficit commercial des Etats-Unis : la valeur des biens importés dans le pays est supérieure à celle des biens exportés. Les tarifs douaniers permettraient donc de réduire la quantité de produits importés, et ainsi améliorer la balance commerciale américaine.
Ceux d'entre nous qui ont étudié l'économie et la finance internationales considèrent probablement que la réduction des déficits commerciaux par le biais de barrières commerciales telles que les tarifs douaniers, les quotas ou les subventions - plus difficiles à détecter - peut causer plus de mal que de bien à une économie. Mais laissons cette préoccupation de côté pour le moment et ne remettons pas en question les affirmations de l'administration Trump. Disons que la priorité américaine est de réellement réduire le déficit commercial. Une guerre commerciale leur permettrait-elle d’y arriver ?
Dans une guerre commerciale, comme dans toute autre guerre, vous ne pouvez pas décider de votre stratégie et espérer que votre rival reste passif. Certes, le gouvernement américain peut imposer des tarifs douaniers sur les produits chinois tels que l'acier et l'aluminium. Mais la Chine peut réagir en imposant ses propres taxes sur les produits américains, tels que les voitures et les avions. Ce scénario n’a d’ailleurs rien d’hypothétique. La réponse ne s’est pas fait attendre, un jour après que le gouvernement américain a rendu publique sa liste de biens à être imposés, les Chinois ont publié la leur.
Il est intéressant de noter que, compte tenu des particularités du système démocratique américain, les sanctions adoptées par la Chine pourraient s’avérer beaucoup plus efficaces. Elle pourrait choisir de viser des produits provenant des Etats dits « swing states », les Etats pivots, qui jouent un rôle déterminant dans les résultats des élections présidentielles aux États-Unis. C’est le cas par exemple des motos Harley Davidson qui sont fabriquées au Wisconsin et en Pennsylvanie.
Etant donné que la Chine s’est engagée à riposter en imposant ses propres tarifs douaniers, il est difficile d’imaginer que cette guerre douanière ait un impact positif sur la balance commerciale américaine. Les tarifs douaniers américains réduiront les importations aux États-Unis, mais les tarifs douaniers chinois diminueront les exportations des États-Unis. En fin de compte, les Etats-Unis pourraient se retrouver face au même déficit commercial qu’au départ. De plus, à l'instar de nombreuses autres formes d'imposition, les droits de douane auront des effets de distorsion empêchant de prendre des décisions économiques efficaces en matière de production et d’allocation des ressources.
Force est de constater que les États-Unis et la Chine (et tout autre pays impliqué) auraient mieux fait d’éviter tous ces tarifs douaniers supplémentaires. Et c’est ce constat qui me fait penser au dilemme du prisonnier, à la théorie du jeu et à la pensée stratégique en général. La guerre commerciale à laquelle nous sommes potentiellement confrontés aujourd'hui est un exemple où tous les acteurs économiques optent pour les décisions qui leur paraissent être les meilleures, les plus stratégiques. Ainsi, les États-Unis et la Chine imposent des tarifs douaniers plus élevés parce que le premier souhaite réduire son déficit commercial et le second aimerait agrandir son excédent commercial. Pourtant, les deux parties se retrouvent avec un résultat contraire à leurs intérêts, c’est à dire la même balance commerciale, avec en plus des distorsions économiques importantes. Ou plus exactement, ils aboutissent à un résultat qui peut être remplacé par un meilleur scénario, comme par exemple celui d’avant la guerre commerciale.
Est-il possible de sortir de ce cercle vicieux ? Ne peut-on pas imaginer un mécanisme permettant d’éviter le dilemme du prisonnier ? En fait, un tel mécanisme existe et a été mis en œuvre depuis de nombreuses années. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) est là pour protéger les principes fondamentaux du commerce international, tels que la non-discrimination, la réciprocité et la transparence. En outre, elle propose des processus de règlement des différends en cas de conflit. Espérons que les dirigeants européens aient été de bons défenseurs de l'OMC lors de leurs récentes visites à Washington, et qu'ils parviendront à convaincre Donald Trump qu’il n’est pas facile de gagner une guerre commerciale.