Avec Ashwin Malshe et Nicolas Glady
La crise économique a révélé la faiblesse inhérente aux grandes entreprises: leur hiérarchie souvent trop lourde, la lenteur de leurs prises de décisions, leur fixation sur les bénéfices à court terme, et leur négligence de l'innovation à long terme. D'autre part, la fragilité des petites entreprises a également été mise en évidence : elles n'ont souvent pas le capital et les moyens nécessaires pour subsister. Qu'en est-il des entreprises de taille moyenne?
Lors de notre étude, nous avons en effet adopté une approche originale en nous concentrant sur un groupe relativement homogène d'entreprises dans les quatre grands pays européens: les entreprises qui ont rapporté environ 50 millions d'euros par an et emploient environ 200 salariés en France, en Italie, en Allemagne et en Grande-Bretagne.
Nous avons appelé ces entreprises, à la frontière entre les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), les Entreprises de Taille Moyenne (ETM). Les résultats de cette étude s'appuient sur des données de plus de 5 millions de sociétés, 1642 entretiens auprès de dirigeants, et 800 heures de conversations.
Avant que nous ne nous penchions sur cette question, les ETM avaient été plus ou moins ignorées par les chercheurs. Nos travaux, réalisés avec le Professeur Ashwin Malshe et le soutien de GE Capital, révèlent très clairement comment les ETM se sont démarquées au cours de la crise : par leur résilience, leur capacité à innover et surtout par leur capacité incomparable à contribuer au PIB de leur économie nationale.
En effet, si l'on réunit les ETM françaises, allemandes, italiennes et britanniques, elles forment l'une des 10 premières économies mondiales avec une contribution au PIB de 1,48 milliards de dollars. Ceci, tout en étant un facteur de stabilité, puisque les faits montrent qu'elles sont beaucoup moins susceptibles de supprimer des emplois que les plus grandes entreprises. Pendant la crise, de 2007 à 2010, alors que les grandes entreprises françaises licenciaient des milliers de travailleurs, les ETM françaises ont créé 58.000 emplois nets!
La cause du succès des entreprises de taille moyenne? Leur stratégie à long terme!
Nos conclusions indiquent que six facteurs clés définissent le succès d'une ETM:
- leur capacité à maintenir des stratégies commerciales équilibrées, ancrées sur les marchés locaux tout en s'ouvrant sur le monde ;
- l'orientation de leurs objectifs vers le client et la croissance organique ;
- leurs stratégies d'investissement à long terme ;
- l'accent mis sur l'innovation ;
- leur portée internationale ;
- et leurs équipes de gestion flexibles.
Nous parlons ici d'une combinaison de facteurs qui se présentent simultanément. Par exemple, une croissance organique ne peut pas être durable s'il n'y a pas d'innovation. Il n'est donc pas surprenant que de nombreuses ETM soient des entreprises familiales. Ces entreprises favorisent presque systématiquement une stratégie d'investissement à long terme. Ainsi, lorsque la majorité des grandes entreprises réduisaient leurs budgets en termes de recherche et développement, les ETM l'ont souvent augmenté, démontrant leur flexibilité et leur vision à long terme. Malgré la crise, entre 2007 et 2010, les ETM ont généré à elles-seules environ 499.000 brevets en Allemagne, 270.000 en Angleterre, 217.00 en Italie et 143.000 en France.
Il est important de noter que le succès des ETM ne repose pas uniquement sur le profit à court terme. Ce succès réside en fait dans leur capacité à se concentrer sur le long terme, à innover et à se développer, tout en contribuant au PIB de l'économie locale. Nous avons en effet identifié un groupe d'ETM encore plus restreint -les champions de la croissance- dont les membres ont un taux de croissance autour de 10%. En se focalisant sur les années 2010 et 2011, l'étude identifie 12% des ETM allemandes comme championnes de la croissance, 11% des britanniques, 8% des françaises et 7% des entreprises italienne.
Les "champions de la croissance" bénéficient d'une combinaison de facteurs qui contribuent à leur succès : une portée mondiale solide, mettant l'accent sur les objectifs à long terme et une volonté d'innovations. A nouveau, ces ETM sont souvent des entreprises familiales dont la stratégie d'investissement est naturellement axée sur le long terme.
Les défis pour la France
Les ETM françaises sont confrontées à plusieurs défis importants : le financement, la réglementation, le recrutement et la rétention des talents. Et il est surprenant de constater que la situation est beaucoup moins complexe chez nos voisins. En France, on peut constater que, dans ces domaines, les plus grandes entreprises ont toujours un avantage conséquent sur les entreprises de taille plus modeste.
D'une part, notre culture centralisatrice nous amène à une situation où nous sommes réticents à nous attacher à une entreprise qui n'est pas "un grand champion national". Il est très difficile pour une ETM d'attirer et de retenir les meilleurs talents qui préféreront souvent travailler pour une entreprise plus prestigieuse, quitte à avoir un poste moins intéressant. Et cette situation est d'autant plus criante lorsque l'on s'éloigne de Paris. Les structures de taille modeste peinent d'une manière générale à attirer des ressources, qu'elles soient humaines ou financières.
D'autre part, la question est celle des interactions entre les entreprises et l'État. La situation française est très particulière à cet égard, puisque, par exemple, de nombreux dirigeants de grandes entreprises sont diplômés des mêmes institutions que celles dont est issu le pouvoir politique. Les ETM françaises sont donc généralement moins bien connectées avec les leaders politiques que leurs homologues de taille plus importante.
Heureusement, cette situation est appelée à changer. Les acteurs politiques sont aujourd'hui de plus en plus conscients des défis auxquels font face les ETM. Notre étude recommande que ces entreprises obtiennent en effet le soutien dont elles ont besoin -du gouvernement ou des autres acteurs économiques- ce qui leur permettraient de s'étendre à l'international tout en conservant leur accent local.
Par ailleurs, de nombreux rapports et recommandations ont été faits en ce sens récemment. Ces signes d'un changement d'optique et d'approche sont donc très encourageants. Cette étude sur la situation des ETM sera réitérée chaque année et nos conclusions pour l'année 2012 devraient être disponibles en novembre 2013.