Le monde des affaires et la société sont intimement liés et construisent ensemble le monde où nous vivons et les défis auxquels nous faisons face. Mais les codes de la gouvernance d’entreprise (établis dans les années 1990 et 2000), s’ils cherchent à établir des règles pour cette relation, n’ont en fin de compte pas réussi à empêcher la crise financière de 2009. Il est temps de revenir aux fondamentaux et de trouver des solutions qui fonctionnent.
Est-ce que les entreprises sont responsables seulement devant les actionnaires ou devant la société toute entière ? Si la question n’est pas nouvelle, le débat qui l’entoure a été récemment monté en épingle. En effet, la gouvernance d’entreprise –c’est-à-dire la manière dont les entreprises sont dirigées par les relations entre la direction, les conseils, les actionnaires et les parties prenantes extérieures- a un impact considérable sur la plupart des défis auxquels est confrontée la société dans son ensemble : l’économie en perte de vitesse, la détérioration de l’environnement naturel, l’épuisement des ressources et les droits de l’homme.
« La gouvernance d’entreprise et la responsabilité sociétale des entreprises sont des sujets de discussion qui acquièrent une importance de plus en plus grande tant pour les dirigeants d’entreprise que pour les hommes politiques et les universitaires », explique le professeur Patricia Charléty, directrice du département d’économie de l’ESSEC, conseiller scientifique et financier auprès de l’Autorité des marchés financiers, et spécialiste des questions de gouvernance d’entreprise. « Le monde est en train de changer. Auparavant, ceux qui voulaient aborder ces questions devaient compter largement sur les codes –c’est-à-dire les recommandations volontaires de gouvernance. Aujourd’hui je pense qu’il est temps de revenir aux fondamentaux. Certes les codes jouent un rôle dans la régulation de la gouvernance d’entreprise, mais ce n’est pas assez. »
Évolution de la notion de gouvernance d’entreprise :
Le débat sur la manière dont les entreprises sont dirigées est presque aussi ancien que les entreprises elles-mêmes. En revanche, les codes de gouvernance d’entreprise se sont développés récemment, à la suite de nombreux scandales au sein des entreprises dans les années 1990.
À l’heure actuelle, on dénombre une bonne centaine de codes dans le monde liés aux questions de gouvernance d’entreprise. Mais s’ils convergent globalement sur les principaux enjeux, tels que le respect des droits des actionnaires, la transparence financière, l’exactitude des informations et la responsabilité du conseil d’administration, ces codes se sont pourtant développés de manières différentes et les entreprises qu’ils entendent réguler sont vraiment très différentes.
Comme l’explique le professeur Charléty, c’est aux États-Unis que les universitaires se sont penchés le plus longtemps sur les enjeux de la gouvernance d’entreprise ; la réflexion a été activement mise en place après le krach boursier de 1929. Si notamment la faillite d’Enron a permis de relancer le débat au début du XXIème siècle, la notion de gouvernance d’entreprise était déjà depuis longtemps un sujet d’étude.
Au Royaume-Uni, en revanche, les premiers codes sont apparus soudainement, en réaction à la crise de gouvernance engendrée par le scandale Robert Maxwell.
En France, les codes de gouvernance d’entreprise ont été instaurés à la même époque par les grandes entreprises françaises elles-mêmes et des représentants du Conseil National du Patronat Français (CNPF) et l’Association Française des Entreprises Privées (AFEP).
« Ce qui est très intéressant dans cette phase de développement, c’est que les acteurs qui ont mis en places ces différents codes sont très différents, notamment quand on compare les pays entre eux, explique le professeur Charléty. La question a été traitée par des personnes différentes ayant des points de vue différents. Néanmoins, les codes convergent sur les questions centrales, notamment en matière de finance. »
Un consensus sur ces sujets se dessine. Néanmoins, dans le sillage de la crise financière de 2009, il y a eu des catastrophes malgré la présence de ces codes. Pourquoi donc ? Pour répondre à cette question, le professeur Charléty dirait qu’il faut mieux laisser de côté les codes pour se pencher sur les mécanismes de gouvernance interne.
Il va sans dire qu’une entreprise doit avoir des mécanismes de gouvernance interne pour réduire les risques liés aux investissements et par conséquent pour rester compétitive dans le climat économique actuel. Mais le cœur de la gouvernance n’est pas uniquement financier. Les éléments intangibles, tels que l’environnement et les questions sociales et éthiques, sont de plus en plus prises en compte ; ce sont tous des indicateurs de la performance générale de l’entreprise. Et en effet, ces facteurs peuvent avoir un impact considérable sur le passif financier et la réputation de l’entreprise.
Une nouvelle approche qui redonne un nouveau souffle à l’analyse
La prise en compte de ces facteurs conduit à approcher le problème d’une manière nouvelle. Afin de diffuser cette approche, Patricia Charléty organise et participe au Council on Business and Society Global Forum les 16 et 17 novembre 2012, et présentera ses travaux sur la puissance et les responsabilités des actionnaires du monde entier. Le but de l’évènement est de rassembler des acteurs du monde des affaires, des professeurs et des étudiants pour discuter de la gouvernance d’entreprise en termes d’impact et de responsabilité des entreprises envers la société et l’environnement.
« Le Council on Business and Society est un partenariat entre cinq écoles de commerce : l’ESSEC Business School, Mannheim Business School (Allemagne), Tuck School of Business at Darmouth (États-Unis), Fudan University School of Management (Chine) et Keio Business School (Japon). Les débats ayant évolué différemment selon les régions du monde, je pense que les universitaires ont beaucoup à apprendre les uns des autres. Surtout, ce forum permet de rassembler les étudiants et je suis convaincue que nous avons beaucoup à apprendre de la nouvelle génération.
Mais ce qui est intéressant ici c’est que rien dans la conférence ne porte sur les codes en eux-mêmes. Cela reflète la manière de penser actuelle : les gens pensent que les codes en font partie mais qu’ils ne sont pas le seul facteur d’importance. Je pense que lors de ce colloque nous reviendrons aux fondamentaux et regarderons en profondeur les différents mécanismes et les acteurs qui les mettent en mouvement. »
Il est encourageant de voir que le débat sur la gouvernance d’entreprise est actuellement en passe de devenir plus interactif, alors qu’auparavant les codes ont été mis en place comme réactions face aux excès des entreprises. L’ambiance évolue. Les entreprises commencent à comprendre que les actionnaires veulent une plus grande responsabilité dans les mécanismes de gouvernance ainsi qu’envers la société.