Est-ce que les écoles de commerce ne valent désormais que par leur recherche ?

Est-ce que les écoles de commerce ne valent désormais que par leur recherche ?

Cet article a été rédigé après la tenue du forum de l’EIASM (European Institute for Adavanced Studies in Management) sur la stratégie des écoles de commerce et la qualité de la recherche.

L’environnement économique des écoles de commerce européennes connaît des changements rapides : il y a trente ans, les institutions d’enseignement supérieur vivaient confortablement dans un quasi-monopole ; les diplômes délivrés dans un pays n’auraient pas été reconnus dans un autre ; par conséquent, les étudiants étaient peu enclins à faire leur marché à la recherche du meilleur rapport qualité-prix. Il ne serait venu à l’idée de personne de comparer un cursus allemand à un cursus français. Entre temps, la disparition des frontières et des obstacles administratifs, assorti d’un processus intense de standardisation, a conduit à la création d’un véritable marché international des écoles de commerce. Par conséquent, de nombreuses revues sur l’éducation et les affaires publient désormais divers classements, peu importe leur pays d’origine. C’est dans l’Union Européenne, où le processus de normalisation des diplômes est presque achevé, que ces changements sont les plus importants. 

Les écoles de commerce, qui doivent désormais faire face à une concurrence bien plus forte, ont pris conscience que la « stratégie » comptait pour elles, tout comme les « affaires intérieures », qui sont le contenu de l’enseignement et de la recherche. Une bonne gestion et une bonne stratégie nécessitent que les instances de direction de l’école soient capables de prendre le bon virage au bon moment. La plupart du temps, de tels virages entraînent des différences dans le « produit », d’un point de vue géographique (les écoles peuvent exporter leurs activités à l’étranger), horizontal (elles peuvent investir dans une image de marque et se lancer dans une spécialisation modérée) et vertical (en renforçant la qualité des programmes). À cet égard, le comportement des écoles de commerce se rapproche désormais beaucoup de celui des entreprises privées : les discussions du comité de direction des écoles ressemblent de plus en plus à celui d’une entreprise ; les directeurs d’école parlent de modèle économique, valeur actuelle nette, stratégie de différenciation, communication, etc. Certaines écoles poussent la comparaison avec les entreprises jusqu’à parler des étudiants comme de « clients ». Comme dans les entreprises privées, le personnel des ressources humaines parle couramment d’indemnités basées sur les performances. La plupart des écoles de commerce européennes utilisent désormais un système complexe d’incitations, sous la forme en général d’un système de bonus pour les publications.

L’expérience prouve qu’une bonne stratégie peut aider une école à figurer parmi les premières dans les classements, mais aussi auprès des étudiants et des recruteurs ; au contraire, une mauvaise stratégie peut rapidement faire baisser la cote de l’école.  Ce court article n’a évidemment pas pour but de répondre à la question de savoir ce qu’est une bonne stratégie, et encore moins de chercher à comprendre ce qu’est une bonne gestion de la recherche.

À une ou deux exceptions près, les écoles de commerce les mieux cotées sont toutes de solides institutions de recherche, contribuant à l’avancée de la connaissance en gestion et produisant une impressionnante quantité de publications dans les revues majeures. En outre, il est difficile de juger de la valeur générale d’un diplôme car elle repose sur de nombreuses dimensions, subjectives et parfois sujettes au changement. Dans ce contexte, un moyen de signifier qu’une école peut dispenser un enseignement de grande qualité consiste à prendre exemple sur ces écoles phares et à publier de nombreuses publications de recherches. Dans cet environnement d’informations incomplètes, les écoles qui ne jouent pas le jeu des publications risquent de voir leur réputation, ainsi que leurs ressources, décroître rapidement. Que cela plaise ou non, un des facteurs clés de succès de nos jours pour une école de commerce réside dans le fait d’avoir une (bonne) stratégie de recherche (voir la note).

Néanmoins, les similitudes entre les écoles de commerce et les entreprises privées s’arrêtent ici. À la différence des entreprises qui comportent des hiérarchies plus ou moins bien définies, avec des processus d’ordres et de contrôle strictement définis, les écoles sont basées sur la prise de décision collective et dépendent dans une large mesure de « l’auto-entreprenariat académique ». Si dans toute entreprise le sommet de la hiérarchie peut imposer une décision à la base, et ceux qui ne sont pas d’accord peuvent simplement s’en aller, dans une école une telle initiative serait obligatoirement vouée à l’échec. Toute stratégie concernant l’enseignement et la recherche doit être mise au point en collaboration avec les enseignants, c’est-à-dire ceux dont on attend qu’ils soient porteurs de cette stratégie.

Par conséquent, l’efficacité de toute stratégie dépend des processus qui sous-tendent l’élaboration et la mise en œuvre de cette même stratégie. Une stratégie ne peut pas être efficace si les personnes constituant la cible ne la comprennent pas et ne la partagent pas. Aucune stratégie de recherche ne peut être effective si les professeurs en majorité ne la soutiennent pas. Il est donc important de maintenir un niveau de vigilance permanent dans les centres de recherche quand les objectifs des écoles cherchent à dépasser le simple rapport des indicatifs de performance. Les professeurs, en tant qu’acteurs de la stratégie, devraient également contribuer à la définir ; cela n’exclut pas pour autant le rôle essentiel des dirigeants de l’école, qui sont chargés de développer les bons processus. Un bon processus doit être régi par des règles, qui doivent être justes, transparentes et doivent s’appliquer à tous de la même manière. Elles doivent viser un niveau de généralité convenable : des règles qui régissent les moindres détails tuent la prise d’initiatives et la créativité ; des règles trop vagues ouvrent la voie à des comportements opportunistes.

Pour qu’un processus soit bon, il faut que les discussions sur la stratégie de la recherche ne soient pas interrompues. Par exemple, si une école décidait de faire un remaniement stratégique tous les cinq ans, l’engagement des enseignants pour définir une stratégie de recherche devrait continuer au-delà. Cela pourrait passer par les projets annuels ou biannuels, tels que « Comment améliorer les performances de la recherche ? », « Quelle est la position de l’école en matière de recherche dans le panorama académique ? » « Quels sont les défis académiques majeurs pour les chercheurs dans les dix prochaines années ? », etc.

Ces discussions visent à s’assurer que les enseignants comprennent bien les objectifs de recherche de l’institution et, très important, qu’ils se comprennent les uns les autres. Il arrive que les tensions entre les enseignants soient dues à une mauvaise communication. La clarification des objectifs est un levier puissant pour augmenter la productivité de la recherche.

Un élément important dans le débat concerne les informations fournies par les auditeurs extérieurs, du moins s’ils prennent au sérieux leurs tâches. De nombreuses écoles sont confrontées au défi d’augmenter la qualité de leur recherche, ce qui demande un examen détaché et critique de leurs performances actuelles. Comme de nombreux autres exercices d’introspection, les évaluations de la recherche réalisées par une équipe interne se trouvent rapidement confrontées à la difficulté d’évaluer des collègues et amis. Ces évaluations faites de l’intérieur peuvent manquent à entraîner les réformes radicales pour améliorer de manière significative les performances. Il est certes vrai que les experts extérieurs peuvent moins bien saisir les dynamiques subtiles de la recherche dans une école et peuvent suggérer des solutions qui ne correspondent pas à la culture ou aux valeurs de l’institution. Il est probable qu’un mélange de recommandations externes et internes soit le meilleur moyen pour améliorer lentement mais sûrement la qualité de la recherche.

 

En savoir plus :

Fouad El Ouardighi, Konstantin Kogan, Radu Vranceanu. 2013 "Publish or teach? Analysis of the professor's optimal career path.” Journal of Economic Dynamics and Control Volume 37, Issue 10, Octobre 2013, pp. 1995–2009

Besancenot, Damien, Joao Ricardo Faria, et Radu Vranceanu. 2009, "Why business schools do so much research: A signaling explanation." Research Policy 38, 7, pp. 1093-1101.

ESSEC Knowledge sur X

Suivez nous sur les réseaux