Économie de l'offre : guide à l'usage des nouveaux convertis

Économie de l'offre : guide à l'usage des nouveaux convertis

Avec Marc Guyot

Le président Hollande a pris de court les journalistes à la conférence de presse du 14 janvier 2014 avec son « coming out » en tant que partisan de l’économie de l’offre. Il s’agit d’un courant de pensée économique dont les plus célèbres partisans en politique étaient Ronald Reagan et Margaret Thatcher, ainsi que, dans une certaine mesure, Tony Blair et Gerhard Schroeder, ou Milton Friedman, du cercle des économistes de profession.

Ces idées ont une longue histoire : l’économiste français Jean-Baptiste Say l’avait résumée au début de XIXème siècle en « l’offre crée sa propre demande ». François Hollande serait-il un nouveau partisan de ce courant de pensée ?

Le nouveau credo de François Hollande se traduit par une nouvelle politique, appelée « pacte de responsabilité ». Le gouvernement s’apprête à réduire de 30 millions d’euros l’impôt sur les sociétés (soit 1,4 % du PIB), du moment que les entreprises s’engagent à créer des emplois (les chiffres ne sont pas encore établis, mais certains parlent d’un million d’emplois sur cinq ans). La création d’un observatoire national est prévue pour superviser la mise en place de cette politique.

On peut penser que toute réduction d’impôts pour les entreprises est une réforme du côté de l’offre. Mais le marché administratif d’Hollande (que l’on peut simplifier en « Je diminue les impôts et vous embauchez ») est à des kilomètres de la philosophie générale de l’économie de l’offre. Demander aux entreprises des contreparties pour le moindre pas favorable ne fait que miner le terrain pour celles-ci et augmente la complexité et la confusion. Quand en janvier 2013 le même gouvernement a introduit le crédit d’impôts pour la compétitivité et l’emploi, la complexité des procédures d’application était tellement complexe que la plupart des entreprises ont eu peur et n’ont pas demandé de réduction d’impôts.

L’ingrédient essentiel d’une économie de l’offre réside dans la non-intervention de l’État, qui ne doit pas se mêler de la gestion à l’échelle locale du secteur privé. Au contraire, il doit faire en sorte de créer un climat favorable aux entreprises en supprimant les contraintes bureaucratiques qui pèsent sur les marchés et les entreprises ; pour cela, l’État doit soutenir la flexibilité des prix à l’importation et à l’exportation, en protégeant la concurrence, les contrats et la propriété privée. Cela ne peut avoir lieu que dans un cadre de régulation transparent et stable et dans un environnement macro-économique sain, avec des prix stables et une politique fiscale rigoureuse.

Un environnement qui soutient les entreprises conduit à l’augmentation non seulement du taux d’emploi mais aussi de la productivité, deux facteurs clés de la croissance économique. Quand les entreprises retrouvent leur « droit à se gérer elles-mêmes », elles se mettent à embaucher et à investir. Des investissements élevés augmentent le capital par travailleur, ce qui augmente la contribution de chaque travailleur au processus de production. Quand la concurrence est forte mais saine, les entreprises ont toute latitude pour innover –et cela encourage la productivité.

L’économie de l’offre va de pair avec une sécurité sociale puissante et des politiques de redistribution cohérentes ; elle ne s’appuie pas sur des profondes inégalités de revenus. En revanche, l’économie de l’offre considère qu’il vaut mieux un gouvernement limité qu’un gouvernement étendu. Si un grand nombre de domaines publics doivent être fournis par le gouvernement, comme un système judiciaire efficace ou l’approvisionnement de l’armée, de nombreux autres domaines, comme l’enseignement supérieur ou la recherche fondamentale et appliquée peuvent être transférées vers le secteur privé.

L’économie de l’offre est respectueuse de l’environnement et favoriserait l’application de lois fortes pour la protection de l’environnement. Quant aux chômeurs, l’économie de l’offre n’a rien contre un système d’allocations chômage généreuses, du moment que des politiques d’activation efficaces sont mises en œuvre. Elle considère que la meilleure protection pour les employés réside dans un faible taux de chômage, dû à un marché du travail flexible. De la même manière, elle considère que la meilleure protection pour le consommateur réside dans une forte concurrence entre les entreprises.

Si le président Hollande veut vraiment mettre en œuvre une politique économique de l’offre, voici quelques menues suggestions pour faire coïncider ses actes et ses paroles :

  • Pour aider les entreprises à survivre dans un environnement mondial difficile, s’assurer qu’elles puissent ajuster les coûts en cas de besoin. Pour ce faire, il est nécessaire que l’augmentation des salaires ne soit pas supérieure aux gains de productivité. Cela passe une dérégulation du marché du travail pour rendre les salaires flexibles. Plus exactement, en temps de crises les salaires ne devraient pas augmenter mais diminuer. Les entreprises devraient également pouvoir licencier les employés en trop.
  • Pour aider les entreprises à créer des emplois, ne pas les empêcher de licencier les employés en trop. Pour ce faire, il faut supprimer les contraintes et les procédures légales absurdes qui pèsent sur le licenciement pour motifs économiques, et créer un seul contrat de travail, en supprimant la distinction entre contrats à durée déterminée et contrats à durée indéterminée.
  • Abandonner l’obligation minimale du travail à temps partiel de 24 heures par semaine. La plupart des temps partiels sont occupés par des personnes n’ayant besoin de travailler que peu de temps : les étudiants, les travailleurs pauvres déjà employés ailleurs, les mères s’occupant de leurs enfants, etc.
  • Simplifier la législation du travail. 1 200 pages, c’est trop.
  • Moduler le salaire minimum selon les secteurs et selon l’âge des travailleurs.
  • Pour que les syndicats se préoccupent du chômage, faire renter des chômeurs dans les syndicats Ensuite, déplacer la négociation annuelle sur les salaires au niveau national ou par secteurs.
  • Cesser de demander un diplôme d’État ou une certification pour les métiers où ce n’est vraiment pas nécessaire.
  • Réduire le taux supérieur d’imposition sur le revenu ; dissuader un ingénieur nucléaire de faire des heures supplémentaires n’encourage pas les entreprises à embaucher plus de travailleurs non qualifiés.
  • Surveiller les monopoles et oligopoles et pourchasser tous les abus de pouvoir sur le marché. S’assurer notamment que ces abus de pouvoir n’ont pas lieu dans les secteurs de la banque, des services publics et du commerce de détail. Privatiser les entreprises qui seraient plus efficaces sous contrôle privé (cela vaut pour la plupart d’entre elles). Ouvrir à la concurrence tous les marchés protégés.
  • Permettre aux entreprises qui vont disparaître de disparaître, même si elles ont été considérées comme des « champions nationaux ».
  • Le gouvernement peut aider les entreprises à réduire les coûts de main d’œuvre unitaire en réduisant les impôts sur les sociétés sur les bénéfices et sur la main d’œuvre. Le problème avec les réductions d’impôts est qu’elles doivent être compensées. Cela peut passer par le levée d’autres impôts tels que la TVA ou par la réduction des dépenses. Gardez à l’esprit que l’imposition sur la consommation peut réduire la consommation, ce qui a des effets pervers pour les entreprises. Oui, vraiment, cela nuit tant aux entreprises nationales qu’aux importations.
  • La réduction des dépenses publiques est la solution la plus intéressante. Toutes les dépenses publiques ne sont pas bénéfiques. Assurez-vous que le secteur public ne crée pas sa propre raison d’être. Certains administratifs sont payés à écrire des pages et des pages sur les réglementations, ce qui engendre de la confusion, qui engendre à son tour encore plus de réglementations.
  • Les investisseurs nationaux et internationaux peuvent très finir par douter de la capacité du gouvernement français à gérer l’immense dette publique, qui représente actuellement 90 % du PIB et ne cesse d’augmenter. Les restrictions budgétaires actuelles doivent être encouragées et d’autres efforts doivent être menés pour équilibrer le système de retraites.

Le problème avec le passage d’une économie administrative vers une économie de l’offre est que toutes les réformes doivent être mises en œuvre en même temps. Le président Hollande aura-t-il le courage politique de mettre en œuvre l’économie de l’offre ? Seul l’avenir nous le dira.

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