André Fourçans, professeur éminent à l’ESSEC, économiste réputé et ancien député au Parlement européen (de 1986 à 1999) nous donne son point de vue.
Est-ce que la zone euro est aujourd’hui à la croisée des chemins?
La zone euro est à la croisée des chemins depuis des années, mais à présent nous sommes arrivés à un point où il faut faire des choix. Si nous parlons de choisir entre aller vers un système plus fédéral ou pratiquer la solution radicale de la désintégration totale, je ne pense pas que l’explosion de la zone euro soit un scénario réaliste ou même recommandé. En fait, je crois que la zone euro est déjà en train de devenir un système plus fédéral. De nombreuses initiatives récentes vont dans ce sens, dont la ratification très prochaine du traité fiscal de l’Union Européenne ainsi que la proposition d’union bancaire qui aboutirait à une supervision de la part des institutions européennes.
Il faut admettre que le précédent Pacte européen de stabilité et de croissance, datant de 1997, n’a pas réussi à contrôler le déficit des pays membres car les règlementations prévues n’ont pas été respectées. Néanmoins, le traité fiscal proposé en 2012 diffère en ce qu’il demande aux pays, au niveau national, de transformer en loi la règlementation du déficit zéro, allant même jusqu’à demander aux pays d’inscrire, dans la mesure du possible, cette clause dans la constitution. En d’autres termes, les pays seront directement impliqués dans la mise en œuvre de ces régulations et par conséquent seront censés mieux les respecter.
Néanmoins, je ne peux pas prédire le succès de la mise en place de ces nouvelles mesures –la politique n’est pas une science exacte. En revanche, je considère que le pacte fiscal et l’union bancaire sont un grand pas dans la bonne direction. En fait, en tant que député du Parlement, j’ai soumis un rapport proposant un système européen de supervision du secteur bancaire, déjà en 1994. Je suis content que, environ vingt ans après, nous allions dans ce sens.
Est-ce que l’implosion reste une possibilité ?
Je ne pense pas que l’implosion de la zone euro soit une option réaliste. C’est facile de dire, depuis une tour d’ivoire, que nous devrions revenir à l’état antérieur, mais en réalité la désintégration serait compliquée et coûteuse. Elle serait coûteuse en Europe et dans le monde à cause de l’incertitude qu’elle créerait –incertitude sur les taux d’intérêts, des taux de change, sur l’inflation et la croissance économique. Le risque de retrait massif des dépôts augmenterait, mais il serait également difficile pour certains pays de rembourser leur dette avec leur monnaie qui aurait dorénavant été dévaluée. L’impact serait énorme et le taux de croissance, ainsi que le taux de chômage, serait certainement affecté de manière négative dans toute l’Europe.
Manifestement, si les problèmes bancaires actuels et la crise de la dette souveraine avaient déjà existé en 1991, lors de la première création de la zone euro, la plupart des économistes, moi inclus, n’auraient pas conseillé le passage à la monnaie unique. Mais la réalité d’aujourd’hui est que nous avons vraiment une monnaie unique et que nous devons regarder en avant, et non en arrière.
Est-ce que la Grèce va quitter la zone euro et retourner à la drachme ?
Je ne pense pas que le retour de la Grèce à la drachme résolve quoi que ce soit. Au contraire, le poids de leur dette va augmenter de manière substantielle car elle devra être payée en euros. En outre, je ne pense pas que la dévaluation de la drachme stimulerait suffisamment les exportations puisque, si l’on excepte le tourisme, les exportations grecques sont minimes. Le vrai problème qu’il faut résoudre est l’énorme évasion fiscale hors de la Grèce, un secteur public en expansion et une faible compétitivité –aucun des ces trois problèmes ne sera résolu à coups de dévaluation.
Je ne crois pas que le départ de la Grèce de la zone euro déclencherait l’implosion totale de cette zone, mais je pense que cela créerait de sérieux problèmes non seulement pour la Grèce, mais aussi pour les autres pays membres –d’abord et avant tout parce que ce départ entraînerait certainement des retraits massifs de dépôts en Grèce et en entraînerait potentiellement dans les autres pays européens. Par exemple, de nombreuses banques françaises ont prêté un capital substantiel aux banques grecques, ce qui les exposerait à ce risque.
Est-ce que une relance économique aiderait à créer la croissance ?
La question de la création de croissance est compliquée. Tout le monde parle de la « croissance » et il me paraît difficile de trouver un homme politique ou un économiste qui ne dit pas qu’il veut que la croissance reparte. Si certains pensent qu’une stimulation keynésienne créerait de la croissance, pour ma part j’ai des doutes.
Une stimulation fiscale implique l’augmentation des dépenses publiques, ce qui creuse le déficit du pays et contribue au problème de la dette souveraine, au moins sur le court terme –ce court terme pouvant s’avérer très long ! Si nous essayons de résoudre le problème de la dette souveraine, cela n’a pas de sens pour moi de l’aggraver. En théorie, la stimulation permet d’augmenter la croissance, ce qui va faire diminuer la dette, mais l’efficacité de cette approche est loin d’être prouvée. À mon avis, un vœu pieux de ce genre est dangereux et une stimulation monétaire serait plus appropriée. Néanmoins, la Banque Centrale Européenne a déjà essayé cette approche dans une certaine mesure, qui n’a pas été très réussie jusqu’à ce jour pour des raisons techniques. Et il y a toujours le risque d’une inflation future.
Même si le terme d’austérité fait peur aux gens, il faut prendre des mesures pour réduire la dette publique. Pour le dire simplement, il faudrait contrôler les dépenses du gouvernement et diminuer le déficit, petit à petit, lentement mais sûrement. Des mesures structurelles devraient également être prises pour rétablir la confiance dans les marchés financiers et pour tous les agents économiques, afin de les inciter à investir et à consommer.
Une supervision financière au niveau européen parachèvera cet objectif. Dans l’avancée vers ce type de « système fédéral », cela prendra bien sûr des mois voire des années pour que les dirigeants européens construisent les institutions nécessaires. Néanmoins, ce processus semble être en bonne voie. Espérons que j’aie raison.