De nombreux dirigeants politiques parlent de plans de relance fiscaux supplémentaires et inspirés du keynésianisme comme manières possibles de relancer la croissance et l’emploi. En dépit des réserves de l’Allemagne, le Conseil européen a approuvé, les 28 et 29 juin 2012, le Pacte européen pour la croissance et l’emploi, censé stimuler le financement de l’économie européenne en injectant 120 millions d’euros. Est-ce la réponse la plus adaptée à la situation de la zone euro ? Je dirais plutôt que cette approche risque d’aggraver les difficultés économiques de l’Europe.
Pendant de nombreuses années, les citoyens des pays industrialisés ont vécu dans l’illusion que la dette publique ne présentait pas de risques de cessation de paiement. Si cette croyance avait pu être fondée dans les années 1960, quand la dette publique de ces pays s’élevait à moins de 50 % du PIB, aujourd’hui, la menace du défaut de paiement est présente, de nombreux pays se dirigeant vers le seuil inquiétant du ratio de 100 % du PIB. Il est certain que cette augmentation de la dette publique peut être attribuée à la grande récession de 2007-2009. Néanmoins, la responsabilité publique augmentait déjà bien avant la crise, sans que l’orientation politique des gouvernements successifs n’y fasse quoi que ce soit.
Les demandes de relance fiscale s’appuient sur une version à présent dépassée du modèle keynésien de l’économie, qui ne prend pas en compte les risques financiers. Ce modèle élémentaire ignore en particulier l’impact des gros déficits et des dettes sur le risque de cessation de paiement d’illiquidités et sur l’effet d’évincement des investissements que des taux d’intérêts plus élevés et ajustés aux risques peuvent entraîner. L’impact sur la croissance d’une relance fiscale donnée peut être faible ou fort en fonction du montant de la dette publique et de la perception de sa durabilité. Si la dette publique est trop importante et si les investisseurs doutent de la capacité de remboursement du gouvernement, l’augmentation des taux d’intérêts après une relance fiscale sera amplifiée et les investissements privés seront évincés ; cela réduira en retour l’efficacité du plan de relance initial.
Comme vous pouvez le constater dans le tableau n°1, la relation a été très négative entre le taux de croissance annuel dans 30 pays européens et leurs ratios dette / PIB. Dans une publication récente portant sur 26 pays européens (Vranceanu et Besancenot, 2012), nous avons montré qu’au cours des 15 dernières années l’efficacité de la politique fiscale a été affectée négativement par un ratio dette / PIB élevé, et les montants élevés de la dette peuvent être associés à des taux de croissance bas. Une relation négative entre la croissance et la dette publique à long terme avait déjà été mise en évidence par deux économistes du FMI, Monmohan Kumar et Jaejoon Woo. Dans une autre étude, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont montré que la croissance est significativement plus faible dans les pays qui ont un ratio dette / PIB de plus de 90 %, en comparaison avec les pays dont le ratio se situe en-dessous.
En y regardant de plus près, nous découvrons également que ces pays qui utilisent la monnaie commune se heurtent à des défis plus grands quant il s’agit de la durabilité de la dette publique et de sa gestion, même si le ratio moyen dette / PIB n’est pas aussi élevé que celui du Royaume-Uni ou des États-Unis, par exemple.
Pourquoi est-ce ainsi ? D’abord parce que le groupe de pays qui a lancé l’euro a choisi au départ d’empêcher la Banque Centrale Européenne (BCE) de renflouer les gouvernements, même s’ils étaient solvables mais momentanément à court de liquidités. En revanche, comme Besancenot, Huynh et Vranceanu l’ont montré dans un article « prémonitoire » en 2005, quand le risque d’illiquidité s’accompagne d’un risque, même lointain, d’insolvabilité, cela peut conduire à engager la dette publique dans une impasse. Par conséquent, sans l’intervention en dernier recours d’un prêteur, aucun gouvernement de la zone euro avec un ratio dette / PIB de plus de 40 % n’est à l’abri du risque de défaut de paiement.
Bien sûr, ce risque d’illiquidité pourrait être contenu si les pays de la zone euro accordaient à la BCE la capacité de monétiser les dettes. Comme ceux du Royaume-Uni et des États-Unis, les gouvernements de la zone euro auraient alors la possibilité de repousser les déficits et la dette publique encore plus loin. Néanmoins, cela ouvrirait la porte à ce qui risque de devenir un abus de confiance systématique sur le dos des citoyens européens et cela ne ferait que repousser une crise encore plus profonde, si la dette publique continuait à augmenter. Pouvons-nous changer les statuts de la BCE et ses règles de conduite avant de tester la capacité de tous les gouvernements de la zone euro à contrôler leurs dépenses ?
De nombreux observateurs européens affirment que le seul moyen de sortir de cette situation embrouillée est de continuer encore plus l’intégration, jusqu’à même créer une fédération européenne avec un gouvernement central. Je ne suis pas du tout d’accord avec eux et j’affirme que ce dont nous avons besoin à présent c’est d’une désintégration ordonnée, avec un accent mis par l’Union Européenne sur le but du libre-échange, ainsi qu’un respect renouvelé pour la diversité et la liberté.
Références :
Besancenot, Damien, Kim Huynh, Radu Vranceanu, 2004, Default on sustainable public debt: Illiquidity suspect convicted, Economics Letters, 82, 2, pp. 205-211.
Kumar, Manmohan and Jaejoon Woo, 2010, Public debt and growth, IMF Working Paper, WP/10/174.
Reinhart, Carmen and Kenneth Rogoff, 2010, Growth in a time of debt, American Economic Review, 100, 2, pp. 573-578.
Vranceanu, Radu and Damien Besancenot, 2012, Fiscal stimulus in a time of massive public debt, Essec Working Paper, July 2012.