La recherche de pointe en linguistique sur l'origine du langage et son évolution et en sciences cognitives suggère que le langage joue un rôle clé dans la transmission des connaissances culturelles, pouvant influencer nos processus mentaux.
Cependant, si le langage a une emprise sur la vision du monde de ses locuteurs et/ou sur leurs systèmes cognitifs, comment influence-t-il leurs processus de décision en tant qu'agents économiques? Quel serait l'impact du langage -et plus spécifiquement des distinctions grammaticales masculin/féminin- sur les problématiques de discrimination de genre?
Pour répondre à ces questions, j'ai examiné, avec mes collègues Victor Gay et Amir Shoham, quatre variables relatives au genre, en se basant sur l'Atlas des structures des langues du monde, qui constitue la plus exhaustive source de données en matière de structures grammaticales.
- Première variable : le nombre de genres dans les langues. Des langues avec deux genres, telles que le français, impliquent généralement une opposition masculin/féminin. Tandis que des langues avec trois genres ou plus peuvent inclure un genre neutre, comme en allemand, ou des distinctions non liées au sexe.
- Seconde variable : la construction du système de genre par rapport au sexe. C'est-à-dire, si un système de genre est lié ou non au sexe biologique. Par exemple, le zoulou, le suédois ou le danois sont des langues dont les systèmes de genre ne sont pas corrélés au sexe.
- Troisième variable : les règles d'attribution de genre grammatical. L'attribution de genre désigne l'usage de règles de locution pour assigner des noms aux genres définis par le système de genre de la langue. L'affectation peut dépendre de la signification du nom (sémantique) ou de sa forme. Par exemple, l'anglais assigne le genre selon des bases sémantiques uniquement tandis que l'espagnol utilise des règles d'affectation sémantiques et de forme.
- Quatrième variable: les genres grammaticaux des pronoms montrent des distinctions de genres des pronoms personnels indépendants, qui peuvent être faites aux pronoms de la troisième personne, et à la première et/ou deuxième personne. Par exemple, l'anglais ne distingue le genre que pour les pronoms de la troisième personne.
Les résultats de notre analyse montrent que les pays dont la langue dominante marque plus fortement les genres ont un taux d'emploi des femmes significativement plus bas. Selon les données extraites par les auteurs, un système de genre basé sur le sexe diminue en moyenne de 12 points de pourcentage le nombre de femmes qui travaillent comparé aux pays ne possédant pas de système genré, ceteris paribus.
Nous avons également constaté que l'accroissement des distinctions masculin/féminin du langage a une incidence sur les quotas de sexe en politique, qui constituent actuellement l'un des principaux déterminants de la participation politique des femmes. Les pays dont la langue dominante souligne davantage les distinctions masculin/féminin sont plus susceptibles de réguler la présence de femmes en politique par le recours aux quotas et aux sanctions pour assurer leur application. De plus, ces pays montrent une augmentation plus nette de la participation politique des femmes après l'adoption des quotas.
Parce que la langue est susceptible de refléter la culture de nos ancêtres, qu'elle influence notre cadre cognitif, la formation de stéréotypes et la catégorisation de l'environnement social, déterminer l'importance de la langue constitue une orientation de recherche d'autant plus complexe dans l'avenir que les migrants se déplacent avec leur langue.
Quoi qu'il en soit, les données rassemblées dans notre étude indiquent que l'intensité des distinctions masculin/féminin dans une langue donnée a des effets importants sur la participation de la main d'œuvre féminine, la discrimination dans le marché du travail, les quotas en faveur de la participation politique des femmes et potentiellement dans le vaste paysage des choix économiques des femmes et des contraintes qu'elles affrontent.