Avec Arijit Chatterjee et Hugues Bouthinon-Dumas et Bernard Leca
"Il nous appartient de concevoir de nouvelles règles du jeu en matière de management face aux défis sociaux et environnementaux."
-Préface, “Navigating the Ecological Transition: A Business School Perspective”
Nous avons tous la responsabilité de rendre notre monde meilleur. Les écoles de management doivent y prendre toute leur part. Dans un nouveau livre, "Navigating the Ecological Transition: A Business School Perspective", les professeurs de l’ESSEC Hugues Bouthinon-Dumas, Arijit Chatterjee et Bernard Leca ont réuni les contributions d'une douzaine de leurs collègues. Ensemble, ils proposent une perspective pluridisciplinaire sur la manière dont les écoles de management peuvent accompagner la transition et répondre aux attentes des parties prenantes. Ils y partagent également des solutions fondées sur la recherche pour relever les défis contemporains.
Qu'est-ce qui a conduit à la réalisation de ce livre ? La transition écologique transforme notre façon de faire des affaires. Cela signifie que les écoles de management doivent s'adapter, car les étudiants ont vocation à jouer un rôle clé dans cette transition. La nouvelle génération ne veut plus continuer le "business as usual" : il suffit de regarder l'activisme étudiant, dans des épisodes comme le mouvement Occupy Wall Street ainsi que les innombrables manifestations étudiantes de ces dernières années pour constater leur impact et leur prise de conscience. Les écoles de management et les établissements d'enseignement supérieur doivent rester à l’écoute des étudiants pour les guider et les former d’une manière qui réponde à leurs besoins et à leurs attentes.
Les auteurs du livre ont choisi d’adopter une perspective de long terme pour proposer une réflexion sur les origines des écoles de management, sur leur rôle dans la société et leur avenir. Ils notent l'essor des transitions numérique et écologique qui déterminent notre façon de vivre et de travailler. Ces transitions sont souvent imbriquées, notamment parce que de nouvelles technologies, comme l'intelligence artificielle générative, consomment souvent d'énormes quantités d'énergie. Les futurs chefs d'entreprise doivent être responsables et tenir compte de l'environnement en plus des résultats financiers. À l'ESSEC, les professeurs explorent différentes façons d'aborder cette transformation, de la finance verte à l'innovation responsable en passant par l'égalité des genres dans le monde du travail. Dans ce livre, des professeurs de six départements différents (management, comptabilité et contrôle de gestion, économie, systèmes d'information, data analytics et opérations, marketing, et droit et environnement de l’entreprise) apportent leur expertise. Ils examinent comment mettre en œuvre ces transformations, l'importance de la transparence dans la réussite, etc. Poursuivez votre lecture pour découvrir les points clés de chaque section.
Un changement de paradigme : changer les cœurs et les esprits à tous les niveaux de la société.
Les gouvernements et les entreprises privées s’engagent en faveur de l'environnement mais le succès de ces initiatives dépend de façon décisive de l’adhésion et du soutien du public. A cet égard, certains facteurs apparaissent essentiels pour la réussite de la transition : la sensibilisation du public, des conditions économiques et culturelles favorables, le développement d’un « capital social », la confiance dans les ONG et les entreprises privées et la science.
Renforcer la propension du public à soutenir la transition pourrait pourrait se faire via des initiatives de communication plus solides, une meilleure prise en compte de l'opinion publique et une meilleure connaissance des réactions sociales aux politiques et aux interventions publiques, un évitement de la dilution des responsabilités et un renforcement des partenariats public-privé.
Le public est directement concerné par le changement de mentalité et d’attitude qu’exige la transition. C’est à un changement de paradigme auquel on assiste. On peut citer l’exemple du passage du règne de la voiture toute puissante à la mobilité douce dans les villes. À Paris, la maire Anne Hidalgo a créé des pistes cyclables et introduit des restrictions à la circulation automobile, mettant en place l'infrastructure nécessaire à une transition. Une fois ces changements réalisés, le public est appelé à utiliser plus souvent les transports en commun, à marcher ou à faire du vélo. Il y a bien sûr des résistances attendues, par exemple de la part des conducteurs de SUV. Mais les modifications tangibles apportées par la ville créent les conditions d’un approfondissement de la discussion entre les uns et les autres et favorisent les solutions alternatives (voitures électriques, déplacements à vélo, etc.). Ensemble, tous ces changements peuvent conduire à un changement de paradigme et à une transformation collective des comportements.
La transition écologique appelle également à un leadership responsable. Comme les entreprises produisent des effets très importants, notamment sur le réchauffement climatique, nous avons besoin de leaders qui développeront des business models durables. Les dirigeants devraient être responsables non seulement vis-à-vis de leurs actionnaires, mais également vis-à-vis de la société et de la planète. Cela implique que les entreprises travaillent main dans la main avec les parties prenantes et aient la soutenabilité comme horizon. Cela implique aussi d’élargir les objectifs des entreprises au-delà du simple profit, en incluant des objectifs sociaux et environnementaux.
Les leaders d'aujourd'hui et de demain doivent apprendre à écouter les parties prenantes. Corrélativement, les parties prenantes doivent comprendre comment les entreprises fonctionnent et ce qu'il est raisonnable d'attendre d'elles lorsqu'elles sont mises sous pression. Le livre représente une initiative constructive sur ce sujet car l'ESSEC a pour vocation fondamentale de construire des ponts entre le monde des affaires et d'autres secteurs (les autorités publiques, les organisations à but non lucratif et les activistes entre autres).
Il faut donc former des leaders responsables et c’est naturellement à ce niveau que les écoles de management sont attendues. À l'ESSEC, cette préoccupation est au cœur de notre pédagogie. Il nous apparaît essentiel de mettre l’accent sur une formation transdisciplinaire et sur la compréhension de la gestion d'un monde en transition.
Durabilité : le besoin de transparence et de responsabilité
Pour suivre les progrès en matière de durabilité, réduire et prévenir le greenwashing, la comptabilité et le contrôle de la marche des entreprises sont des pièces maîtresses. Les comptes des entreprises doivent inclure non seulement les informations habituelles sur les bénéfices, les pertes et les actifs des entreprises, mais aussi des indicateurs sur la durabilité. La décomposition de la valeur ajoutée est une piste intéressante, car elle explique comment la valeur créée par les entreprises est répartie entre les parties prenantes, y compris les employés, l'État, la société et l'entreprise elle-même.
La comptabilité en matière de durabilité peut même être utilisée comme un catalyseur du changement positif. Un exemple est le cas de l'exportation australienne de moutons vivants : des chercheurs ont proposé une sorte de reporting sur le bien-être animal pour lever le voile sur la chaîne de production et sa rigueur pour les animaux, en tenant compte de l'impact du processus sur les moutons. Cela offre un outil d’analyse intégré pour évaluer le processus. On peut penser que cette information, devenue disponible, suscitera une certaine émotion dans le public et que cela constituera un appel au changement.
La comptabilité peut également être utilisée comme un outil de lutte contre le greenwashing, en obligeant les entreprises à être plus transparentes. L'Union européenne a mis en œuvre des réglementations pour encourager l'investissement durable et renforcer la transparence, établissant toute une taxonomie de la finance verte. Cela aidera à harmoniser la terminologie et les normes, même au-delà de l'UE, et à améliorer les initiatives de finance durable à l'échelle mondiale.
Pour une innovation responsable
À la lumière de ces défis mondiaux, nous devons remettre en question notre façon de penser l'innovation. L'innovation responsable est devenue essentielle pour un progrès durable. Cela implique de prendre en compte des facteurs environnementaux, politiques et humains et de s’interroger : cette innovation est-elle nécessaire, quelles en sont les conséquences directes et les impacts indirects ? En effet, toutes les innovations ne sont pas positives. Adopter une approche d'innovation responsable peut contribuer à un progrès durable et respectueux de notre planète.
S’il y a bien un type d'innovation ambiguë, c’est bien les biens électriques et électroniques. Bien qu'ils soient inestimables (et inévitables) dans notre monde moderne, nous ne les conservons pas indéfiniment. Cette "obsolescence perçue" génère d'énormes quantités de déchets. Beaucoup de personnes acquèrent un nouveau modèle de téléphone même si leur ancien fonctionne encore, en raison des nouvelles technologies disponibles, de la comparaison sociale ou encore d’un désir de nouveauté. Nous pouvons lutter contre cela en comprenant le processus de prise de décision des consommateurs, en offrant des informations transparentes pour comparer les produits et en sensibilisant au coût du remplacement de ces mêmes produits.
Durabilité : le rôle de la formation et de l'engagement
Toutes ces actions nécessitent de sensibiliser le public et de développer un sens partagé des responsabilités. C'est là qu’interviennent à nouveau les Écoles de commerce. Nous pouvons intégrer la durabilité dans nos programmes pour aider les étudiants à penser la transition énergétique à travers un prisme multidisciplinaire. Les étudiants doivent en outre être encouragés à écouter, lire, poser des questions, partager leurs expériences et leurs connaissances, et à réfléchir de manière critique, afin de définir à quoi ressemblera leur contribution. Les professeurs doivent également partager leur expérience, être ouverts à l'expertise des étudiants et travailler avec eux pour encourager le dialogue.
Les écoles ne sont pas les seules organisations à pouvoir contribuer ; les hôpitaux jouent également un rôle important. Cela peut être difficile, car les écosystèmes hospitaliers ont des procédures administratives complexes et nécessitent la coordination de professionnels hautement spécialisés. Cela nécessite un « travail de démarcation », c'est-à-dire un travail individuel ou collectif pour influencer les frontières et les distinctions d'une organisation. En France, les hôpitaux publics sont devenus plus écologiques grâce à la collaboration et la mobilisation des directeurs d'hôpitaux, des responsables du développement durable et des différents départements. Les responsables du développement durable jouent un rôle crucial, car ils influencent les politiques et posent les bases pour que les initiatives écologiques se déploient.
Les entreprises et organisations responsables devraient également prendre le temps de communiquer sur leurs actions. Lorsqu'elles ont une stratégie claire, un plan d'action et des investissements spécifiques, elles ont également tendance à adopter des actions plus fortes et un engagement plus marqué en faveur de la durabilité. Cette transparence et cette communication les aident également à s’assurer du soutien des actionnaires et présentent des avantages en termes de réputation. En France, la loi PACTE encouragent les entreprises à prendre en compte les défis sociaux et environnementaux le cas échéant dans leur raison d’être. Ainsi il apparaît crucial pour les entreprises d'être durables et de le démontrer.
La transition énergétique : focus sur l'Asie et l'Afrique
La transition doit être envisagée dans une perspective mondiale car nous sommes tous concernés. Certains pays comme la Chine ont un impact énorme. La Chine a connu un boom économique ces dernières décennies, mais ce progrès a eu un coût terrible pour l'environnement, avec une augmentation considérable de leurs émissions de gaz à effet de serre. Le gouvernement chinois prévoit désormais d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2060 en utilisant des sources d'énergie nucléaire et renouvelables. Cela nécessitera une coopération avec d'autres pays et leurs initiatives en matière de durabilité auront des conséquences géopolitiques.
Plus près de chez nous, le Maroc (ESSEC Afrique étant situé à Rabat) émerge comme un leader de la transition énergétique en Afrique. Le Maroc a mis en place une politique ambitieuse en matière d'énergie renouvelable qui pourrait servir de modèle pour le continent africain. Cette politique est le fruit d’un engagement au plus haut niveau de l'État. Cependant, cette politique a un coût et le pays doit désormais prendre en compte d'autres défis tels que le stress hydrique et le développement inclusif.
Cet exemple rappelle qu’aucun pays ne sera épargné par le réchauffement climatique et que tous les pays doivent s'engager pour la transition écologique.
Comment les écoles de management peuvent façonner un progrès responsable
Janvier 2025 a été le mois de janvier le plus chaud jamais enregistré et cette tendance risque de continuer. Cela signifie que le "business as usual" ne peut pas continuer. Comme le montre ce livre, une perspective véritablement multidisciplinaire est nécessaire. Les écoles de management jouent à cet égard un rôle important, en tant que centre de recherche académique, lieu propice au débat et à la remise en question du statu quo et établissement de formation des leaders de demain. Nous pouvons repenser les modèles économiques et la manière dont nous les enseignons et les évaluons, en amorçant une transition vers une façon plus durable de faire affaires. Nous devons également donner aux étudiants l'état d'esprit et des outils nécessaires pour gérer les grands défis du siècle et collaborer avec divers acteurs pour relever ces défis de manière holistique. L'ESSEC s'est depuis longtemps engagée sur cette voie et la transition sociale et écologique constitue un élément clé de sa stratégie Transcend 2024-2028. L'urgence de la crise climatique exige des actions audacieuses. Les écoles de management doivent continuer à évoluer, inspirant l'innovation et la responsabilité chez la prochaine génération de décideurs. Le livre appelle à une réflexion approfondie sur les responsabilités des écoles de management.
Ce livre présente des contributions de :
Part 1: From sinners to saints? How companies, mindsets, and paradigms can contribute to sustainability transition?
Shaping citizens’ attitudes to engage in climate action in the global south and global north
Vincenzo Esposito Vinzi, Estefania Santacreu-Vasut, Radu Vranceanu, Cristina Davino
Responsible leadership and sustainable business practices
Stefan Gröschl
Wishing for a shift: a paradigm perspective on ecological transition
Fabrice Cavarretta
Part 2: Sustainability: the need for transparency and accountability
In search of a compass for navigating the ecological transition
Adrian Zicari
Animal welfare: how sustainability accounting can trigger awareness and positive change?
Mark Christensen and Geoffrey Lamberton
From anti-greenwashing toolbox to EU leadership’s sword
Geneviève Helleringer
Part III: From products and profit to responsible innovation
Responsible innovation as a driving force for ecological transition
Xavier Pavie
Replacing old with new: perceived product obsolescence—its impact on consumer behaviour and the planet
Emmanuelle Le Nagard
Part IV: Sustainability: the role of education and engagement
A pragmatic way to teach energy transition stakes in a business school
Laurence De Carlo
When French public hospitals go green? Reworking the boundaries of hospital practices
Marie-Léandre Gomez and Marion Ligonie
How environmental shareholder activism spurs large corporations to communicate on their environmental commitment?
Viviane de Beaufort
Part V: The energy transition: a focus on Asia and Africa
Geopolitical perspectives on China’s sustainability initiatives
Cédomir Nestorovic
Why and how Morocco is pioneering Africa’s energy transition?
Hugues Bouthinon-Dumas and Hamid Bouchikhi
Relecture par Tom Gamble, Council Coordinator, the Council on Business & Society
Pour en lire plus
Bouthinon-Dumas, H., Chatterjee, A., & Leca, B. (Eds.). (2024). Navigating the Ecological Transition: A Business School Perspective (1st ed.). Routledge .https://doi.org/10.4324/9781003522355