Le 30 Mars, un collectif de 15 professeurs et chercheurs en économie a publié une tribune dans Les Echos, exhortant le gouvernement français à procéder à une réforme ambitieuse du marché du travail. Mesure phare, la réforme proposée lèverait certaines barrières légales sur le licenciement économique et en le même temps modifierait le financement de l’assurance chômage (bonus/malus), renforcerait la formation professionnelle et recentrerait les avantages fiscaux autour du SMIC.
ESSEC Knowledge: Qui sont les économistes qui ont signé cette proposition dans les Echos ?
Radu Vranceanu: Ce sont des chercheurs reconnus dans leur domaine, travaillant dans des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, sans intérêt personnel quel qu’il soit. Nul besoin de présenter Jean Tirole, qui a été un ardent défenseur de ces réformes pour de nombreuses années.
EK: Pourquoi proposer d’augmenter la flexibilité du marché du travail? Pourquoi maintenant ?
Il y a vingt ans, en 1994, l'OCDE avait souligné, dans un rapport très influent, le fait que les marchés du travail en Europe continentale souffraient d’une protection légale de l'emploi excessive. L’étude faisait valoir que seul un marché du travail plus flexible pouvait à la fois contribuer à la réduction du chômage et donner aux entreprises les moyens pour maintenir leur compétitivité dans un monde de plus en plus ouvert. Des pays comme le Danemark, les Pays-Bas, l'Autriche, et dans une certaine mesure, l'Allemagne, ont opté pour une législation de protection de l'emploi plus légère où les entreprises peuvent licencier facilement pour des motifs économiques, mais en même temps seront plus à même d’embaucher dans des temps plus favorables. Bien sûr, personne ne parle ici de licenciement discriminatoire, qui est sévèrement sanctionné dans tous les pays occidentaux. L'idée était de protéger le revenu des particuliers, par le biais d'une assurance chômage relativement généreuse, et non de protéger les emplois.
Dans l'Europe du Sud (Espagne, Grèce, Italie, France, Portugal), vers la fin des années 90s l'exigence de flexibilité a incité les gouvernements à développer la catégorie des travailleurs temporaires, tout en rendant le licenciement des travailleurs sous contrat « classique » (appelé en France « à durée indéterminée ») encore plus difficile. Bien évidement, tous les ajustements d’effectifs pesaient sur la première catégorie. La structure du marché du travail devenait « duale ».
Au fil des années, et en particulier après la Grande Récession (2007-2009), la performance du marché du travail du premier groupe de pays a été largement supérieure à celle du second. Les pays à forte protection légale de l’emploi ont enregistré une montée du chômage de longue durée, des forts taux de chômage des jeunes et une dérive des coûts salariaux.
Ainsi, à la veille de la Grande Récession tous les pays d'Europe du Sud sauf la France ont décidé de supprimer ou de réduire les différences entre le contrat de travail « classique » et le contrat temporaire, notamment en diminuant les obstacles juridiques sur le licenciement des travailleurs du premier type. Cette réforme n'a pas seulement une justification théorique solide, mais ses conséquences positives sur l’emploi peuvent déjà être observées dans les pays qui l'ont adoptée.
EK: Peut-on s’attendre à des retombées positives de cette réforme du marché du travail sur l’économie en général?
Tout d'abord la réforme augmenterait la demande de travail des entreprises et stimulerait l'emploi. L'effet positif devrait être le plus fort pour les emplois peu qualifiés, où la rigidité contractuelle actuelle incite les entreprises à utiliser des solutions alternatives à l'embauche, comme l'automatisation et la délocalisation de la production.
Les économies sont en permanence soumises à des chocs qui réclament des réallocations d’effectifs d’un secteur à l’autre. Une plus grande flexibilité du marché du travail garantirait le fait que la structure sectorielle se rapproche en permanence de la structure optimale, avec un gain de production pour le pays. Bien sûr, une plus grande souplesse dans l'ajustement du personnel doit être mise en œuvre simultanément avec une amélioration du système de formation professionnelle et un renforcement des prestations de chômage couplées avec des mesures d’activations plus efficaces.
Enfin, la flexibilité du marché du travail devrait absorber plus facilement les chocs macroéconomiques du type de la Grande Récession, en permettant la modération salariale en période de ralentissement économique et la hausse des salaires dans les temps meilleurs. Comme il est difficile de manipuler le taux de change, il est apparu qu’en temps de récession la modération salariale est le seul moyen pour les entreprises pour regagner leur compétitivité, et, finalement, pour protéger l'emploi.
EK: Ce ne serait pas une autre proposition d’économistes vivant dans leur tour d’ivoire ?
Pas du tout. Ce type de réforme a été préconisé pendant de nombreuses années par l'OCDE, la Commission Européenne sous le concept de «flexi-sécurité», et de nombreux chercheurs qui ont étudié la performance du marché du travail des pays qui l’ont mise en œuvre. Ce qu'il faut souligner est que les économistes sont souvent critiqués parce qu'ils ne font aucune proposition constructive. Cette proposition prouve le contraire, en fournissant aux décideurs les bons conseils sur la façon de moderniser une composante fondamentale de l'économie française, son marché du travail. La proposition du collectif d’économistes à l'avantage d'être simple, efficace, et en conformité avec les réglementations internationales.
EK: Justement, que pouvez vous nous dire sur la conformité avec les réglementations internationales ?
La France est l'un des dix pays occidentaux à avoir signé en 1982 la très exigeante Convention de l’Organisation Internationale du Travail nr. 158 sur le licenciement. La question de savoir si la cette Convention a encore un sens dans un monde globalisé, où les entreprises doivent s’adapter en permanence à de nouveaux défis, est ouverte au débat. Comme plus de 10 ans depuis la signature se sont écoulés, la France peut la dénoncer si elle le souhaite. Mais même sans recourir à cette action extrême, le droit du travail en France va bien au-delà ce que la convention exige. Selon l’article 4 de la convention, « un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, établissement ou du service». En France, ce «besoin opérationnel» est devenu une condition explicite pour l'entreprise d'enregistrer des pertes financière, quelque chose que la convention n’exige pas.