À la fin de l'année dernière, la 20e réunion de la Conférence des Parties (COP20) de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a eu lieu à Lima, où les représentants de 196 pays sont parvenus à un accord de dernière minute. Certains soutiennent que cette réunion était une étape importante vers un nouvel accord universel sur le changement climatique - qui, nous l'espérons, devrait être entériné à la COP 21 à Paris le mois prochain. Au moment des préparatifs de la conférence de Paris, les dirigeants du monde entier ont exprimé leur désir brûlant de parvenir à un accord novateur, ambitieux et universel, malgré son lot de contraintes. Toutefois, l’accord précurseur acquis à la COP 20 à Lima, nous en apprend beaucoup sur la difficulté à établir pareils compromis.
Un entretien avec Marco Chiu[i], au service régional pour l'Amérique latine et les Caraïbes dans le Programme de développement des Nations Unies, m'a permis de discuter des implications de la COP 20 de Lima.
"Universel"
Malgré l'appel à une réponse collective et unifiée pour atténuer les émissions à effet de serre, appel prononcé à la COP 20, les faits sont bien loin de suivre les paroles. Les critiques ont pointé en particulier concernant la décision 9, qui énonce que chaque pays décide - au niveau national - de sa contribution prévue au niveau émissions de gaz à effet de serre.
À certains égards, cela fait sens: l'Amérique latine, par exemple, a aligné officiellement ses objectifs sur ceux des pays développés, faisant valoir que ce sont les pays du Nord qui devraient prendre l'initiative dans la limitation des émissions des gaz à effet de serre. Pour l'Amérique latine, et en particulier pour de nombreux États des Caraïbes, la première priorité n’est donc pas la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais l'adaptation au changement climatique.
Toutefois, et là est le problème, il faut que l’accord attendu à la COP 21 de Paris redresse la situation : la réduction des émissions attendue devrait venir de toutes les parties de la CCNUCC. Par conséquent, tous les pays qui sont signataires de la CCNUCC, et dans l'utilisation de leurs capacités souveraines, sont invités à présenter leurs contributions, quel que soit leur niveau de développement. Il ne faut plus attendre des pays peu développés qu’ils laissent l’initiative aux pays riches dans l’assainissement de l’atmosphère.
"Ambitieux"
Qu'entendons-nous lorsque nous parlons de buts «ambitieux» sur le changement climatique? Une chose est devenue claire à Lima: quantifier les objectifs et mesurer les résultats est plus facile à dire qu'à faire. Et ceci d’autant plus lorsque le travail concerne l’Amérique latine.
Comme indiqué dans la décision 14 de la COP 20, il est laissé à chaque pays le choix d'inclure (ou non) dans sa contribution les informations quantifiables prévues sur le point de référence : par exemple, l'année de base, le temps des périodes de mise en œuvre, de la portée et de la couverture, et les aspects méthodologiques liés à l'estimation et la comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre.
En effet, lors de la consultation de la carte interactive des objectifs et des actions de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de réduction des émissions pré-2020, les pays latino-américains se différencient par leurs actions et par la façon dont ils décrivent ces actions. Des pays tels que l'Équateur, la Bolivie, le Panama et le Paraguay ne donnent pas d'informations sur les actions en cours ou destinées à l’adaptation aux changements climatiques, tandis que d'autres pays fournissent des informations très limitées sur les méthodologies, les secteurs touchés, les délais, et les points de référence. En revanche, des pays comme le Brésil sont plus explicites dans les détails de leur plan d'action et les méthodes utilisées pour atteindre les objectifs d'émissions prévues.
Le Brésil a fixé une fourchette cible d'émissions ainsi qu’une série de mesures telles que la réduction de la déforestation en Amazonie, la restauration des prairies, et l’utilisation accrue des centrales hydroélectriques d'ici 2020. De même, au Mexique un projet de loi a été adopté récemment visant la réduction des gaz à effet de serre d’origine domestique, tandis que le Costa Rica a annoncé «un effort de long-terme pour utiliser les économies d’échelles et atteindre la neutralité carbone d'ici 2021».
Plusieurs pays d'Amérique latine vont au-delà de la stratégie régionale d'adaptation sans explicitement signaler leurs efforts à la CCNUCC. L’Équateur, par exemple, n'a pas communiqué officiellement d’action concernant les émissions de gaz à effet de serre, alors que dans le même temps, le pays change sa matrice énergétique en utilisant l'énergie hydraulique à la place de combustibles fossiles. En d'autres termes, les données de la CCNUCC (y compris INDCs) ne reflètent pas les actions en cours qui atténuent les émissions de gaz à effet de serre en Amérique latine. Des pays tels que l'Équateur se sont engagés dans ces activités sans s’imposer de divulguer des chiffres.
« Clarificateur »
La nature juridique de la nouvelle convention n’est pas claire, mais il est prévu que l’épisode parisien précise tout cela. Un autre élément doit être reconsidéré : la politique de changement climatique et le cadre juridique qui l’encadre au niveau national, au sein des différents pays de l'ALC. Les nombreux changements juridiques et la variété des activités visant à atténuer les émissions de gaz à effet de serre dans les pays d'Amérique latine pourraient en effet pénaliser le business de nombreuses entreprises privées. En particulier les entreprises de gaz à effet de serre des industries intenses pourraient avoir à développer des modèles d'affaires plus économes en énergie, utilisant différentes sources d'énergie, et mobilisant moins de matières premières pour rester compétitifs. Tout cela bien sûr au sein des cadres juridiques nationaux. Même dans de nombreux pays dits «en développement», les activités gouvernementales et les cadres juridiques concernant les émissions de gaz à effet de serre peuvent être sophistiqués et calqués sur ceux des pays développés.
Ce sont les autorités locales qui doivent impulser les nouvelles réglementations, pour faire comprendre aux entreprises qu’elles gagnent à s’éloigner de leurs stratégies de profit initiales. Elles peuvent être profitables, tout en adoptant de nouveaux paradigmes, plus respectueux de l’environnement. Ainsi, dans de nombreux pays d'Amérique latine, introduire des incitations financières sous la forme d'exonérations ou de réductions fiscales pour les entreprises semble une bonne solution.
Face à ces nouveaux enjeux, les écoles de commerce doivent évoluer. Pourquoi ne pas imaginer des cours de base traitant du découplage et du sourcing d'énergies alternatives, des conférences sur la gestion de l'eau, l’économie de l'environnement, … ? De quoi apprendre aux futurs décideurs à faire des affaires de façon durable et responsable.
[i] Ses vues ont été présentés tenu de son expérience passée sur les négociations de la CCNUCC, et non dans sa capacité actuelle avec le PNUD.