Faire du bien tout en faisant du bien : le cas des initiatives informatiques en entreprise

Faire du bien tout en faisant du bien : le cas des initiatives informatiques en entreprise

Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief

Comment les organisations peuvent-elles faire le bien (aider l’environnement) tout en faisant du bien (stimuler la croissance économique) ? Bien qu’il s’agisse de deux objectifs louables, ils peuvent être en contradiction l’un avec l’autre, créant un dilemme pour les organisations qui souhaitent à la fois contribuer à la durabilité environnementale et maintenir la croissance économique.

 Yan Li (ESSEC Business School), Xue Yang (Nanjing University) et Lele Kang (Nanjing University) ont examiné les études de cas de huit organisations en Chine et à Singapour et ont identifié trois types de facteurs stratégiques qui influencent les décisions prises par les organisations en matière d’informatique verte. Ils ont également constaté que les deux objectifs s’alignent lorsque l’on considère l’investissement à court terme et les avantages à long terme, que l’on conçoit une stratégie appropriée et que l’on réagit à la pression extérieure. Ces informations peuvent aider les organisations à planifier plus efficacement leurs initiatives de durabilité.

Tout ce qui brille n’est pas vert

Les technologies de l’information (TI) sont un moteur important du développement économique et social, mais ce progrès a un coût environnemental élevé. La dépendance des organisations à l’égard des TI a entraîné une augmentation de la puissance de calcul et le développement de grands centres de données qui fournissent des services d’analyse et de cloud computing. Il en résulte une augmentation de la consommation d’énergie, des émissions de carbone et des déchets électroniques. Cela a conduit au développement d’initiatives d’informatique verte pour faire face aux conséquences environnementales, c’est-à-dire des produits et services informatiques qui réduisent l’impact négatif et améliorent la durabilité. Les recherches existantes soutiennent l’idée que le lancement d’initiatives d’informatique verte peut améliorer les résultats en matière de durabilité, par exemple en gérant la consommation d’énergie. Parmi les autres exemples d’initiatives informatiques vertes, citons l’alimentation des centres de données à l’aide de sources d’énergie renouvelables, la réduction des déchets provenant d’équipements informatiques obsolètes et l’encouragement du télétravail et de l’administration à distance pour réduire les émissions liées au transport. Il existe plusieurs façons de mettre en œuvre une initiative informatique verte, mais elles nécessitent toutes un effort concerté du personnel et impliquent des processus et des produits informatiques.

Il s’agira très probablement d’une tendance technologique importante ayant des implications sociales vastes. Cependant, tout ce qui brille n’est pas vert, et la mise en œuvre de mesures d’informatique verte s’accompagne de complications telles que la perturbation des systèmes existants, les retours imprévisibles et la demande du marché, le coût et la réaction des parties prenantes. Cela produit un dilemme entre faire le bien et réussir : si les entreprises souhaitent faire du bien en mettant en œuvre des initiatives d’informatique verte, elles peuvent avoir des préoccupations légitimes quant à la façon dont cela affecte leurs résultats (faire du bien). En effet, une grande partie de la recherche s’est concentrée sur les implications en matière de durabilité et moins sur les implications économiques.

Ce dilemme a conduit les chercheurs à examiner les facteurs qui influent sur la motivation d’une organisation à adopter des initiatives informatiques vertes et leur lien avec cette conciliation entre durabilité et profit.

Quel est le moteur de ce processus ?

Pour répondre à cette question, les chercheurs ont mené une étude qualitative sur huit organisations en Chine et à Singapour, car il est essentiel d’étudier comment la mise en œuvre de l’informatique verte se déroule dans le monde réel plutôt que dans un laboratoire. Ces entreprises opéraient dans les secteurs des télécommunications et de l’informatique. Toutes les huit étaient de grandes entreprises comptant plus de 3000 employés et des pionnières de la technologie verte. L’équipe de recherche a utilisé une approche de collecte de données à plusieurs volets, en menant des entretiens et en clarifiant les informations par des  mails, des appels téléphoniques, des observations sur le terrain et des données d’archives.

Ils ont examiné les facteurs internes et externes, en les classant en trois catégories : compétitivité, légitimation et responsabilité écologique. Les moteurs internes, ou moteurs organisationnels, comprennent des facteurs tels que les attitudes des parties prenantes, les considérations économiques et les compétences technologiques. Les moteurs externes comprennent des facteurs tels que les pressions politiques et industrielles, comme les réglementations sur l’élimination des déchets et la consommation d’énergie. Pour aller plus loin, la compétitivité est le lien entre les actions écologiques et la rentabilité à long terme ; la légitimation est la volonté de l’organisation d’aligner ses actions sur un certain ensemble de normes ou de règlements ; et la responsabilité écologique renvoie aux réflexions d’une organisation sur son devoir envers la société et ses valeurs.

Les chercheurs ont constaté que les pratiques informatiques vertes étaient considérées comme des considérations stratégiques essentielles pour ces entreprises. Ils ont également constaté que les organisations ne parvenaient pas toujours à concilier l’écart entre la durabilité et le profit en répondant aux objectifs de compétitivité, de légitimation et de responsabilité écologique. Pour les entreprises qui ont noté une pression gouvernementale importante, un moteur externe, seul un niveau moyen de conciliation a été atteint. Les organisations avaient tendance à avoir un moteur principal, comme la pression gouvernementale pour les entreprises chinoises et la responsabilité sociale des entreprises pour les singapouriennes, mais étaient également motivées par les autres moteurs. Dans l’ensemble, les organisations ont eu tendance à être davantage motivées par la réduction des coûts, les moteurs du marché, la pression gouvernementale et la responsabilité sociale des entreprises.

En ce qui concerne le rapprochement de la durabilité et des bénéfices, les chercheurs ont constaté que le calendrier compte : si les initiatives informatiques ont tendance à nécessiter un investissement à court terme, elles apporteront des avantages à long terme qui dépasseront l’investissement initial. La stratégie déployée joue également un rôle : une entreprise a investi dans l’informatique en nuage hybride, ce qui lui a permis de se démarquer de la concurrence, et donc d’améliorer ses bénéfices. Le fait d’avoir une image verte constitue également un avantage concurrentiel, car cela peut renforcer la satisfaction des clients. En outre, le dilemme devient moins important dans les cas où les entreprises subissent des pressions extérieures, comme celles du gouvernement ou des parties prenantes externes. Si le passage au vert est essentiel au succès commercial, les investissements financiers deviennent moins une considération et plus une exigence. Cela montre que le dilemme peut se poser de différentes manières et qu’il est important de prendre en compte l’impact des facteurs internes et externes sur la mise en œuvre d’une stratégie informatique verte.

Points à retenir

Les services informatiques sont omniprésents dans les affaires et la gestion, ce qui signifie que les organisations et les gestionnaires doivent donner la priorité à la mise en œuvre de l’informatique verte. Les organisations peuvent avoir différentes motivations pour le faire, motivations qui peuvent entrer dans les catégories de la compétitivité (pression économique), de la légitimation (changement de normes) ou de la responsabilité écologique (faire la bonne chose). Ces catégories peuvent inclure des facteurs externes et internes.

En pratique, cela met en évidence deux principaux moyens de motiver les entreprises à mettre en œuvre des pratiques informatiques vertes :

1. Une combinaison de pression de la part du gouvernement et des obligations de responsabilité sociale des entreprises.

2. L’alignement des mesures d’informatique verte sur l’objectif d’amélioration des bénéfices en satisfaisant la demande du marché et en réduisant les coûts d’exploitation.

Les chercheurs notent que la seconde solution est plus durable, mais que la première peut stimuler les progrès en mettant en œuvre des incitations (allégements fiscaux) ou des punitions (coûts énergétiques élevés).

La crise climatique est de plus en plus urgente et la protection de l’environnement exige qu’on mobilise toutes nos ressources. Face à l’explosion des besoins informatiques et aux conséquences environnementales qui en découlent, les processus informatiques verts sont probablement une tendance qui ne disparaîtra pas de sitôt. Cette étude nous permet de mieux comprendre ce qui motive les organisations à prendre des initiatives en matière d’informatique verte et comment elles peuvent concilier « faire le bien » et « le faire bien », ce qui enrichit notre compréhension des moteurs des initiatives informatiques des entreprises, une compréhension qui peut aider les organisations qui cherchent à prendre elles-mêmes de telles initiatives.

Pour en lire plus 

Yang, X., Li, Y., & Kang, L. (2020). Reconciling “doing good” and “doing well” in organizations’ green IT initiatives: A multi-case analysis. International Journal of Information Management51, 102052.

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