Avec Nicolas Mottis et Marie-Laure Djelic
Empreinte carbone. Durabilité. Impact sur les communautés locales. Est-ce que vos gestionnaires d’actifs lambda prennent en considération ces sortes de facteurs de résultats non-financiers quand ils achètent des actions et construisent un portefeuille ? Plus que jamais, la réponse est oui.
« Les investissements socialement responsables (ou ISR) étaient au départ un niche d’expertise pour quelques gestionnaires d’actifs, explique le professeur Nicolas Mottis. Il y a cinq ou dix ans, si vous parliez de développement durable ou de résultats non-financiers, personne ne comprenait. À présent, l’attitude face à ces questions a totalement changé. De plus en plus d’investisseurs s’appuient sur les critères ESG (Environnementaux, Sociétaux, de Gouvernance) pour décider s’ils vont ou non investir dans une entreprise. Ils ne regardent pas seulement les sommes générées, mais aussi les résultats non-financiers. » En effet, nombreux sont ceux qui affirment que la balance penche de ce côté, que les critères ESG sont devenus un point commun de référence et que les ISR sont devenus monnaie courante.
Selon le professeur Mottis, c’est particulièrement le cas en France. Il explique qu’afin de déterminer l’étendue de la tendance des ISR « nous avons lancé une étude sur les analystes ISR en France et nous leur avons demandé comment ils interagissaient avec les analystes financiers traditionnels et avec les gestionnaires d’actifs traditionnels : est-ce qu’ils écoutent vos analyses ? Comment parvenez-vous à influencer le secteur du contrôle de gestion traditionnel ? Les résultats ont montré qu’il y a une réelle tendance montante au sens où de plus en plus de gestionnaires d’actifs se réfèrent aux critères ESG pour prendre des décisions sur leur portefeuille. »
Et qu’en est-il de la vieille croyance selon laquelle les ISR ont des résultats plus faibles ou sont peu diversifiés ? Ce mode de pensée est dépassé. L’incertitude de la situation économique actuelle pousse en réalité les investisseurs à regarder vers les résultats non-financiers afin de mieux évaluer les risques d’investissements. Elle encourage les investisseurs à prendre en compte le cadre général.
« Une des conséquences de la crise a été l’augmentation du niveau de risque pour de nombreux investisseurs, ce qui les pousse à regarder vers d’autres critères, surtout ceux qui ne sont pas financiers. C’est une manière de réduire les risques et d’anticiper plus précisément l’effet que peu avoir une mauvaise image de l’entreprise, comme l’impact qu’une catastrophe environnementale pourrait avoir sur une entreprise et ses actions, explique le professeur Mottis. Nous croyons que la crise peut avoir un impact positif sur la tendance montante des ISR. Cela pourrait vraiment encourager les investisseurs à regarder vers d’autres critères sans se focaliser sur les données purement financières. »
Aujourd’hui, le concept de la responsabilité sociétale est d’une portée considérable, s’introduisant à la fois dans la pensée des universitaires et le discours public. Cette tendance est manifeste à l’ESSEC, où elle est analysée, sous une forme ou sous une autre, par tous les départements et a été un facteur très important pour la fondation du Center for Capitalism, Globalization and Governance, le centre intellectuel dirigé par Marie-Laure Djelic. L’intérêt récent pour les ISR a donc coulé de source.
« Une des préoccupations du centre, qui est liée plus précisément au séminaire que nous avons organisé en juin 2012 sur les investissements socialement responsables, a à voir avec la responsabilité sociétale des entreprises dans le contexte de la mondialisation et du capitalisme mondialisé, explique Marie-Laure Djelic. Il existe de nombreux débats dans les cercles universitaires en ce qui concerne les investissements socialement responsables », si bien que le séminaire a été mis sur pied aisément.
Comme l’explique le professeur Djelic, les questions liées à la responsabilité sociétale se prêtent bien à une analyse transdisciplinaire. Après avoir rencontré séparément plusieurs collègues de différentes institutions travaillant sur ce sujet, il apparut au professeur Djelic que ces universitaires pouvaient tirer parti de réunions et d’échanges sur le long terme. Après quoi « ce fut très simple de rassembler des articles sur ce sujet. Certains des auteurs se connaissaient mais n’avaient pas forcément eu l’opportunité de discuter ensemble de ces questions. C’est très utile d’échanger dans ce type de cadre, un petit atelier ciblé. »
L’analyse a donné des résultats intéressants puisque le sujet des investissements socialement responsables est à la charnière entre le monde de l’entreprise et le monde de la finance. Parmi les participants à la discussion se trouvaient Afshin Mehrpouya de HEC, Aurélien Acquier de l’ESCP, Fabrizio Ferraro de l’IESE et Diane-Laure Arjaliès de HEC. Il en est ressorti en fin de compte un tableau de la tendance des ISR.
Tous les interlocuteurs ont convenu que le champ des ISR avait évolué de manière significative en dix ans et était devenu une notion familière aux cercles financiers. Cela a bien été illustré par le changement profond de la logique qui caractérisait le secteur : vers la disparition de l’opprobre, de la condamnation et de l’exclusion et de plus en plus vers l’engagement participatif et le dialogue.
Mais selon le professeur Mottis, ce qui est vraiment intéressant c’est l’impact que la tendance montante des ISR peut avoir en définitive sur les opérations au niveau des unités opérationnelles à travers l’influence que les gestionnaires d’actifs peuvent avoir sur les PDG. « Nous commençons à pouvoir observer, selon lui, de plus en plus de signes d’influence au niveau opérationnel. Dans les usines on trouve bien plus d’instructions de sécurité et de protection de l’environnement que dans le passé. »
En revanche, la question qui se pose à présent est : sont-ce les signes d’un impact réel ou est-ce simplement de l’éco-blanchiment ? « L’éco-blanchiment est un grand risque, confirme le professeur Mottis. Quand vous regardez les deux interfaces entre les entreprises et les marchés financiers, il est relativement facile pour une entreprise de publier une jolie brochure avec de jolis exemples de leur responsabilité sociétale. Est-ce juste une exception ou est-ce que vous pourriez la trouver dans n’importe quelle unité opérationnelle ? »
S’il est facile d’être cynique, cette nouvelle attention sur les critères ESG et les ISR attirent l’attention sur de grandes questions. Selon le professeur Mottis, vous voyez vraiment plus loin que les risques d’éco-blanchiment et vous saisissez les bénéfices potentiels de cette tendance si vous regardez les retombées sur les pratiques des entreprises. « Quand vous regardez l’autre interface, à savoir les interactions entre les PDG et les unités opérationnelles, vous pouvez voir de plus en plus d’exemples de changement de pratiques, sur la sécurité, sur les problèmes environnementaux et sur les questions de gouvernance. Les choses sont vraiment en train de changer. » Si certaines entreprises pratiquent certainement l’éco-blanchiment, en fin de compte on peut établir un lien entre l’importance de plus en plus grande des critères ESG dans les marchés financiers et une augmentation des pratiques de responsabilité sociétale au niveau des unités opérationnelles.
Avant d’acheter, les investisseurs qui veulent construire un portefeuille d’investissements socialement responsables devraient collecter le plus d’informations possibles sur l’impact environnemental et sociétal de l’entreprise. C’est une étape importante dans la bonne direction. En définitive, leur attention aux critères ESG et leur implication dans les investissements socialement responsables permettent d’encourager le leadership d’entreprise responsable.
Pour approfondir :
"L'ISR à la recherche de nouveaux élans", publié dans Revue Française de Gestion
"Socially Responsible Investment in France", publié dans Business & Society
"L'investissement socialement responsable en France : opportunité "de niche" ou placement "mainstream" ?", publié dans Gérer et comprendre
"Création de valeur, 10 ans après...", publié dans Revue Française de Gestion