Avec Peter O'Connor et Vincenzo Esposito Vinzi
Le tourisme peut être très important dans l’économie d’un pays, surtout dans les régions les moins développées, auxquelles il peut apporter de la croissance. Également, le tourisme a souvent un impact important sur l’environnement et la société dans son ensemble.
De nombreux chercheurs on étudié les conséquences du tourisme, peu ont enquêté sur l’aspect inverse : comment les facteurs économiques, sociaux et environnementaux conduisent au développement du tourisme ou au contraire le freiner. Les rares études qui se sont penchées sur le problème ont souvent utilisé les différents facteurs pour obtenir un « score » reflétant l’attractivité de chaque pays vu comme une destination touristique.
Nous avons voulu nous pencher encore plus sur ce sujet : non seulement comment les facteurs économiques, sociaux et environnementaux affectent le tourisme, mais comment ces facteurs influent les uns sur les autres, tant positivement que négativement. Pour ce faire, nous avons utilisé une méthode mathématique appelée la modélisation par équation structurelle, qui utilise un ensemble d’équations linéaires pour analyser les relations entre un ensemble de variables.
Choisir les variables
En nous appuyant sur les travaux de recherche précédents, nous avons d’abord développé un ensemble de variables couvrant quatre aspects d’une destination touristique : son économie, ses infrastructures, son environnement naturel et sa société.
Pour mesurer l’économie, nous avons utilisé cinq variables : l’indice des prix à la consommation, la parité de pouvoir d’achat, le volume des transactions, les investissements directs étrangers et la valeur ajouté par industrie. Ces variables reflètent la manière dont les prix plus bas sur la marché local ou un meilleur taux de change attirent les touristes et le fait que le tourisme profite souvent au pays quand les affaires vont bien.
Pour évaluer les questions environnementales, nous avons utilisé trois paramètres : la densité de population, les émissions de gaz carbonique et le nombre de traités sur l’environnement signés. L’environnement est important car les gens préfèrent vraisemblablement visiter des endroits propres.
Pour analyser les infrastructures, nous avons utilisé sept variables, à savoir le réseau routier, les normes sanitaires, l’approvisionnement en électricité, le nombre de véhicules, l’accès à Internet, le réseau de téléphones fixes et la couverture pour les téléphones portables. Tous ces facteurs améliorent l’expérience du touriste en facilitant les déplacements, en fournissant de l’eau potable et en améliorant la communication.
Enfin, la société dans une destination touristique se retrouvait dans les variables telles que l’éducation, l’espérance de vie, la possession de téléviseurs et d’ordinateurs portables et la lecture des journaux. Les questions sociales sont pertinentes dans la mesure où les populations peuvent réagir différemment au tourisme, soit en l’acceptant soit en le rejetant.
Les relations de cause à effet :
Une fois les variables déterminées, nous avons cherché à prédire quelles étaient les relations de cause à effet les plus probables entre ces quatre domaines et le tourisme.
Nous avons par exemple pensé qu’une économie forte pouvait avoir des effets à la fois négatifs et positifs : les prix locaux élevés pouvaient décourager les touristes, mais la croissance permet de développer les infrastructures et d’améliorer la société, ce qui aide indirectement le tourisme. Le tourisme se développe au fur et à mesure que les infrastructures se développent, -mais c’est au détriment de l’environnement.
De la même manière, les différences sociales entre les touristes et leurs « hôtes » peuvent soit favoriser le tourisme, soit le freiner, en fonction de la qualité de vie locale et de l’attitude des autochtones face aux sacrifices nécessaires pour avoir les dollars du touriste. Le progrès social peut également affecter l’environnement : plus la société est « évoluée », meilleure est son attitude envers le développement durable. Et plus l’environnement est plaisant, plus le secteur touristique en profite.
Améliorer le modèle
Nous avons testé nos hypothèses avec les données de 162 pays. Nous avons d’abord testé et affiné les données et avons rapidement découvert que notre notion de société et celle d’infrastructures étaient trop proches, si bien que nous les avons tous deux rassemblés dans les infrastructures. Nous avons aussi découvert que le réseau électrique concernait plus l’environnement que les infrastructures, donc nous l’avons changé de place. Enfin, trois variables (la densité de population, les investissements directs étrangers et la valeur ajoutée par industrie) n’étaient pas pertinents ; par conséquent nous les avons éliminés.
Nous avons alors obtenu un nouveau modèle, plus simple, comprenant l’économie, les infrastructures, l’environnement et le tourisme et qui fonctionnait bien mieux. Lors de l’analyse nos données selon ce modèle, nous avons découvert que certaines de nos hypothèses étaient fondées, mais que d’autres ne l’étaient pas.
Des résultats surprenants
Nos résultats montrent qu’une bonne économie n’a pas d’influence directe sur le tourisme. Cela va contre l’idée que des prix locaux peu élevés ou un taux de change favorable incitent les vacanciers à aller à telle ou telles destination.
En revanche, l’économie a un impact positif et direct sur les infrastructures et la société ; ces deux facteurs, en retour, influent sur le tourisme. Cela va dans le sens des conclusions des autres chercheurs, qui déclarent que de bonnes infrastructures favorisent le tourisme. En réalité, notre modèle montre que les infrastructures sont le facteur majeur, plus l’environnement ou l’économie.
Cette conclusion remet en cause une théorie formulée précédemment appelée « échange social », qui énonçait qu’une société démunie serait prête à supporter des inconvénients pour attirer les touristes. Dans notre modèle, plus la société est développée, plus elle soutient le tourisme.
Nous avons également trouvé que des infrastructures bien développées nuisent à l’environnement, comme nous nous y attendions. Mais une société plus développée ne se livre pas forcément à des améliorations en faveur de l’environnement, non plus qu’un bel environnement n’attire pas plus de touristes.
Des applications concrètes
Les études précédentes s’étaient penchées sur la manière dont ces domaines affectent le tourisme, sans prendre en compte leurs interactions. Notre étude est une première avancée pour trouver les relations de cause à effet entre les facteurs clés du secteur du tourisme et pour montrer en quoi ces facteurs affectent concrètement le tourisme. En utilisant des données prises du monde réel et en les soumettant à un affinage et à une analyse rigoureuses, nous avons montré comment on peut faire de la recherche de manière plus scientifique, plus expérimentale.
Notre étude a de nombreuses applications pratiques. Les politiques qui cherchent à promouvoir le tourisme dans leur pays peuvent s’appuyer dessus pour prendre des décisions en toute connaissance de cause pour ce qui est de l’allocation des ressources aux différentes aires de développement. Par exemple, si des prix locaux élevés peuvent être perçus négativement, il est important de comprendre qu’une économie forte induit des améliorations au niveau des infrastructures et de la société, ce qui encourage indirectement le tourisme.
De la même manière, le commerce extérieur est important, car il contribue à la croissance économique et à l’amélioration des infrastructures. Les télécommunications sont le facteur clé ; elles doivent être en lien avec le développement du réseau routier pour attirer les touristes. Enfin, le nombre de propriétaires d’ordinateurs, de voitures et de lecteurs de journaux est important, car ils contribuent au développement de la société, afin que le pays devienne plus attractif et plus accueillant pour les vacanciers d’outre-mer.
Pour approfondir :
"Structural Equation Modeling in Tourism Demand Forecasting: A Critical Review", published in Journal of Travel and Tourism Research.