Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief
Alors que les fêtes de fin d’année approchent, notre capacité à maîtriser nos portefeuilles et nos estomacs devient un enjeu majeur. Impossible d’éviter la succession de publicités qui vous invitent à acheter cette écharpe, à manger ce cookie de Noël ou à boire cette coupe de champagne Dans ces moments,connaître l’impact des campagnes marketing sur nos décisions peut beaucoup aider. Dans cet article, le professeur Sonja Prokopec évoque ses récentes recherches sur le lien entre l’information sur le coût et la maîtrise de soi.
Avant d’effectuer un achat, nous avons un panel d’informations pour nous décider à passer à l’acte. Vous vérifierez probablement le prix, pour voir s’il rentre dans votre budget ou semble raisonnable par rapport à d’autres options ; si c’est de la nourriture, vous examinerez peut-être le contenu nutritionnel pour vérifier que l’apport calorique n’est pas astronomique et que la teneur en sucres n’excède pas la recommandation quotidienne pour un adulte. De façon évidente, les informations que nous prenons en compte comportent souvent des chiffres, et une abondante recherche indique que la façon de présenter ces mêmes chiffres influence grandement notre perception du produit, et ainsi notre probabilité de l’acquérir ou non. L’étude du professeur Sonja Prokopec, menée avec le professeur Keith Wilcox (Columbia Business School), déroule ce fil conducteur dans une série d’expérimentations. Elle prouve ainsi que les gens sont particulièrement influencés par la présentation de l’information du prix s’ils ont été encouragés à se contrôler. Ce désir de contrôle peut en effet les rendre aveugles et inhiber leur objectif de maîtrise d’eux-mêmes.
La taille a de l’importance : qu’est-ce que la numérosité et comment impacte-t-elle nos décisions ?
Devant un produit sur lequel nous essayons de nous décider, nous réalisons une série d’évaluations rapides. L’une d’entre elles est nécessairement sa valeur, et c’est là que ça coince : nous ne l’évaluons pas toujours correctement, même en disposant des informations nécessaires. Au contraire, nous avons tendance à considérer le nombre d’éléments qui nous motivent et l’échelle sur laquelle ceux-cis sont présentés, et à penser que les choses sont plus grosses lorsqu’elles ont plus d’éléments ou sont sur une échelle plus importante, sans prendre en compte leur signification présente ou leur valeur. Mais toujours plus gros n’est pas toujours synonyme de meilleur, et cette heuristique peut nous égarer. Par exemple, confronté au choix d’acheter un rouge à lèvres vanté comme étant « vendu 100 000 fois par an ! » au lieu de celui « vendu 9000 fois par mois ! », nous penserons que le premier est l’option la plus prisée, même si le deuxième se vend plus sur l’année. De même, une semaine semble plus longue lorsqu’on utilise la formule « sept jours » - l’échelle de référence utilisée est importante. Comme nous n’analysons pas toujours cette information de façon plus poussée, nous ne prenons pas toujours la décision la plus logique. Les professeurs Prokopec et Wilcox ont examiné ceci en manipulant la présentation d’un produit, pour que les informations d’un même produit soient montrées avec une numérosité plus ou moins importante (présentées sur une petite échelle plus condensée, ou une échelle plus grande) pour voir comment les gens réagissaient et comment leur contrôle, maîtrise de soi, et intention d’éviter des sentiments négatifs motivaient leur décision.
Comment les émotions entrent-elles en jeu ?
La capacité à résister à la tentation et à garder le cap, autrement connue sous le nom de maîtrise de soi, est importante pour une foule de conséquences, allant de votre carrière à votre bien-être. Devant la tentation, nous traversons un processus de prise de décision pour déterminer si nous y succombons ou non. Dans ce processus d’évaluation, nous réfléchissons notamment à comment nous allons nous sentir après cette décision. Dans la mesure où une action contraire à nos idéaux personnels est souvent suivie de sentiments négatifs, comme la culpabilité, les gens apprennent à associer la perte de contrôle de soi avec des émotions négatives. Pensez à l’expression « plaisir coupable » ou comment nous faisons référence à un trop-plein d’indulgence pour les « cheat days » ou « jours de triche » : elles associent des termes négatifs avec l’abandon de la maîtrise de soi. Comme les gens savent que ce type de « tricherie » est souvent accompagné d’un sentiment coupable, ils s’auto-contrôlent et s’accrochent à leurs objectifs pour ne pas se sentir coupables. En d’autres termes, les gens qui essaient vraiment de se contrôler exercent leur maîtrise de soi en pensant aux sentiments négatifs qui surgiront inévitablement s’ils n’agissent pas d’une certaine manière. Ils vont donc se concentrer excessivement sur la façon d’éviter les informations négatives, en resserrant leur attention sur des informations facilement accessibles, comme l’information sur le coût (le prix ou la valeur nutritionnelle), sans vraiment analyser cette information.
Dans quel type de situation fait-on l’expérience de ce rétrécissement de l’attention ? Généralement devant une menace : nous nous concentrons sur l’information la plus importante pour affronter la situation. Dans ce cas, cela se traduisait par une concentration accrue sur la présentation de l’information de coût.
L’expérimentation
Pour voir comment l’information de coût, la maîtrise de soi et le contrôle interagissent, les professeurs Prokopec et Wilcox ont mis en place une série d’expérimentations avec des participants recrutés en ligne. Dans la première étude, ils ont comparé deux façons de dépenser son argent : ceux qui ont tendance à contrôler leur porte-monnaie et les dépensiers. Ceux plus retenus par nature se maîtrisent moins et dépensent plus devant une offre à plus grande échelle : ils sont ainsi victimes de la numérosité de l’information de coût.
Leur seconde étude fut construite à partir de ces conclusions, encourageant les participants à être plus ou moins retenus et leur demandant ensuite de faire un choix devant une mauvaise alimentation, avec l’information encore une fois montrée sur une petite ou grande échelle. Les gens prêts à se contrôler se dirigeaient vers un snack mauvais pour la santé lorsque l’information était présentée sur une plus petite échelle, bien qu’il soit tout aussi mauvais pour la santé présenté sur une plus grande échelle. Pour ceux qui n’avaient pas été invités à se contrôler, l’information de coût n’avait pas d’influence sur leur probabilité de manger ce snack déséquilibré.
Jusqu’ici, nous pouvons déduire que ceux qui se contrôlent le plus, soit naturellement soit de manière encouragée, ont tendance à être plus induits en erreur par la façon dont l’information sur le coût d’un produit est présentée. Mais pourquoi ? C’est ici que le rétrécissement du champ de l’attention intervient : grâce à la troisième étude, nous apprenons que c’est important pour leur maîtrise de soi, et non que ces gens évaluent le coût et la valeur différemment. Les gens plus contenus indiquent qu’ils évaluent les objets de la même manière, donc la différence de biais induite par l’information sur le coût repose sur leur désir de se maîtriser. Une étude ultérieure a montré que les gens veulent avant tout éviter les émotions négatives. Les chercheurs ont trouvé que les participants retenus se maîtrisaient moins lorsque les informations nutritionnelles étaient présentées sur une échelle condensée, car ils anticipaient le fait qu’ils allaient se sentir moins coupables. Ceux qui se retiennent moins ne sont pas influencés par ce type d’échelle.
Que se passe-t-il lorsque votre attention n’est pas rétrécie de cette manière ? Êtes-vous capable d’engranger plus d’informations et d’éviter d’être « dupé » ? La réponse est oui : lorsque les chercheurs ont introduit une étape qui élargissait l’attention des participants, même les plus contraints d’entre eux n’étaient pas autant biaisés par la présentation de l’information sur le coût. De fait, lorsque les gens qui essaient de se contrôler considèrent une décision qui nécessite de perdre le contrôle, ils anticipent la culpabilité de cette décision. Leur attention se concentre donc sur la façon d’éviter de se sentir coupable, ignorant ainsi d’autres informations potentiellement pertinentes et se concentrant sur ce qui est accessible facilement : l’information sur le coût. À cause de leur concentration plus centrée sur un point, ils sont plus biaisés par la façon dont l’information est présentée. En d’autres termes, ceux qui essaient de se contrôler le plus essaient d’exercer leur maîtrise de soi en se rappelant combien ils se sentiront coupables d’avoir cédé, et cela veut dire qu’ils auront plus tendance à être biaisés par la façon dont l’information sur le coût d’un produit (son prix ou son contenu nutritionnel) est présentée.
Pourquoi faire cela dans un laboratoire plutôt que dans la « vraie vie » ? En utilisant les expérimentations comme les chercheurs l’ont fait, ils gardent le contrôle sur tous les aspects du scénario et peuvent modifier plusieurs facteurs (l’information sur le coût, le contrôle et l’attention), ce qui permet un test d’hypothèse plus rigoureux. Ce niveau de rigueur signifie aussi que leurs conclusions seront probablement justes dans d’autres contextes et avec d’autres gens… alors attention la prochaine fois que vous êtes devant ce second verre de vin !
À retenir pour la maîtrise de soi
Que pouvons-nous garder en tête de cette étude et l’appliquer à nos propres efforts pour se maîtriser en cette période de fêtes ? Souvenez-vous des points suivants :
- Plus que la valeur nominale : pensez au sens et à la valeur des nombres que vous voyez, plutôt que leur taille.
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Soyez positifs : ne laissez pas la peur d’être coupable vous empêcher de céder : soyez conscients qu’essayer d’éviter de mauvaises décisions peut influencer votre processus de prise de décision.
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Soyez ouverts d’esprit : prenez en compte toute l’information disponible sur le produit avant de prendre votre décision.