Le 4 octobre 2012 la Commission européenne a publié un compte-rendu des résultats d’un test de résistance mené sur une centrale nucléaire européenne. Les conclusions sont que les centrales en Europe devront faire l’objet de remaniements d’envergure afin d’assurer la sécurité en cas d’urgence. Qu’es-ce que cela signifie pour une Europe à court de liquidités ? Fernando Oliveira, professeur à l’ESSEC, répond à nos questions.
Est-ce qu’il existe actuellement en Europe un risque réel de catastrophe comme celles de Fukushima, Five Mile Island ou Tchernobyl ?
Est-ce qu’il y a un risque qu’une catastrophe nucléaire majeure s’abatte sur l’Europe ? La catastrophe de Tchernobyl n’a pas eu lieu il y a si longtemps que cela, mais évidemment personne ne peut dire si une catastrophe de ce type se produira à nouveau. Peu importe à quel point une centrale est préparée au risque, il y a toujours un risque.
Si vous aviez posé la même question aux Japonais avant l’accident de Fukushima, ils auraient répondu que leurs centrales étaient très sécurisées et que la probabilité d’un accident était très faible. Mais, en fin de compte, l’accident a eu lieu. Et même, peu importe la probabilité, tous les scénarios décris dans ce rapport de test de résistance sont imaginables dans une certaine mesure.
Il est clair que ce rapport est une manière pour l’Union Européenne de montrer qu’elle a tiré les leçons des erreurs commises au Japon. Le problème majeur à Fukushima a été la défaillance des systèmes de secours, si bien que ce texte en parle de manière très développée. Les recommandations comportent la mise en place d’un « plan C » en cas de défaillance du protocole de sûreté prévu au départ. Le problème est qu’il y aura toujours un risque de défaillance.
La vraie question est la suivante : peut-on vivre avec une défaillance ou est-ce impossible ? Il s’agit clairement d’un cas concret de gestion du risque car il y aura toujours un certain niveau de risque. Le rapport déclare qu’il y aura toujours un certain niveau de risque dans l’Union Européenne et qu’il est bien plus élevé que ce à quoi la plupart des gens se seraient attendus. Même si les centrales sont améliorées et les systèmes de secours sont renforcés, il n’y aura jamais de risque zéro.
Certains activistes disent que ce rapport n’a pas suffisamment insisté sur la technologie vieillissante, le facteur humain et le terrorisme. Êtes-vous d’accord ?
Ma première impression a été que ce rapport était moins professionnel que la plupart des autres rapports de l’Union Européenne que j’ai pu lire. D’abord et surtout, leur définition du risque est très limitée : il s’agit selon ce rapport de la capacité de chaque centrale à faire face aux conséquences de divers évènements inattendus. L’usage du terme « inattendu » laisse de côté les évènements improbables mais néanmoins attendus, comme un tremblement de terre. De nombreux dirigeants d’industries, dont le PDG d’EDF, ont exprimé leur préoccupation face à la préparation à ce genre d’évènement « attendu ».
Il me semble que dans ce rapport les débats concernant la menace terroriste adoptent un point de vue étroit. Il est longuement question du risque d’avions s’écrasant sur les centrales nucléaires, mais, il n’y a aucune tentative pour voir de manière plus large les risques auxquels une centrale nucléaire est confrontée, ni pour envisager les actions et les mesures qui pourraient être prises pour enrayer ces risques. De nombreux scénarios ne sont pas envisagés dans ce rapport.
Est-ce que les coûts de ces remaniements sont dans la plupart des cas plausibles ? Est-ce que c’est le consommateur qui va finalement régler la note ?
Les coûts dépendant vraiment du pays. En France par exemple, le coût serait assez élevé, 4 euros le mégawatt, mais pas ruineux. En revanche, comme environ 74 % de l’électricité française provient du nucléaire, il peut y avoir un impact sur le prix final payé par le consommateur. La France est un cas spécial parce qu’une grande part de notre énergie provient du nucléaire et qu’EDF a un monopole ; l’augmentation des tarifs sera sans doute payée par le consommateur.
Dans la plupart des autres pays, si le coût de production monte jusqu’à 4 euros pour l’énergie nucléaire, cela n’affectera pas le coût final de production pour les consommateurs, mais cela rendra simplement l’investissement dans les centrales nucléaires moins intéressant. À court terme, le prix de l’électricité ne devrait pas changer, notamment parce que dans un marché compétitif, c’est la technologie la plus coûteuse qui fixerait le prix. Dans la plupart des pays, cette énergie ne vient pas du nucléaire, mais du charbon ou du gaz.
Est-ce qu’il n’y a pas une opportunité pour explorer les énergies alternatives ?
À cause des renouvellements nécessaires en Europe, il sera moins intéressant d’investir dans l’énergie nucléaire à cour terme car les coûts de production seront plus élevés, ce qui créera moins de profit. En revanche, le résultat escompté est qu’à long terme l’avenir de l’énergie nucléaire soit assuré. En Chine et aux États-Unis, par exemple, le nombre de centrales nucléaires augmente. Et si certains pays européens –nommément l’Allemagne- ont décidé de ne plus investir dans l’énergie nucléaire, rien de prouve que cette tendance se généralise en Europe.
L’Allemagne a déclaré que d’ici 2022 toutes les centrales nucléaires allaient être fermées, ce qui est une affirmation audacieuse. Mais il peut se passer beaucoup de choses en dix ans et dans le passé l’Allemagne a déjà retardé ses promesses d’abandonner l’énergie nucléaire.
J’ai le sentiment que les pays ont tendance à parler de suppression progressive du nucléaire à court terme, mais à long terme l’exécution des objectifs sont toujours retardés. La promesse vaine de François Hollande de sortir du nucléaire en est un parfait exemple. Cet objectif n’est tout simplement pas crédible.
Le problème essentiel est qu’il y a peu d’énergies alternatives, dont la mise en œuvre est plausible et qui permettraient à l’Europe de maintenir une certaine indépendance énergétique. Dans les pays où les sources d’énergies renouvelables, telles que les fermes éoliennes, ont bénéficié de subventions et de garantie des prix dans un passé pas si lointain, le gouvernement, espagnol ou portugais par exemple, retire à présent cette aide. En outre, les fermes éoliennes ne sont pas une alternative populaire en France parce que les gens pensent qu’elles défigurent le paysage. En réalité, la crise incite davantage à investir dans le nucléaire parce qu’il s’agit du moyen le moins coûteux pour maintenir l’indépendance énergétique.
Néanmoins, alors que l’Europe a peu de ressources d’un point de vue général, l’exploitation du gaz de schiste pourrait se développer au cours des prochaines années. Utilisé à la place du gaz naturel, le gaz de schiste est extrait aux États-Unis, en Australie et en Afrique du Sud. En France et en Europe se trouvent des gisements de gaz de schiste, si bien que cela pourrait être une possibilité viable en tant que source d’énergie renouvelable. Le président Hollande a choisi de garder ses distances à cause des préoccupations sur la santé et l’environnement, ce qui confirme le fait que dans la France d’aujourd’hui il n’y a pas d’alternative viable.
Mon opinion est que le nucléaire sera utilisé en Europe pendant encore longtemps. La sécurité sera améliorée, mais je pense qu’une grande part des améliorations de sécurité viendra surtout de l’implantation de nouvelles centrales qui remplaceront les anciennes.