Le 19 mai dernier, vous avez peut-être suivi, comme près de 3 milliards de personnes*, le mariage du prince Harry et de Meghan Markle à la chapelle Saint George de Windsor. Et même si vous n’avez pas suivi la cérémonie, vous n’avez pas pu échapper à l’engouement massif autour de cet événement. Vous n’avez pas échappé à la robe de Meghan, aux cadeaux pour les invités, aux invités (ah, les 200 chanceux du cercle rapproché), à l’euphorie de la foule massée le long du cortège.
Le mariage du prince Harry et de Meghan Markle a été plus suivi que celui de son frère William** et que celui de sa mère Diana. Plus de 6 millions de personnes ont tweeté le samedi 19 mai***. C’est 3 fois plus de tweets que pour le mariage du prince William et de Kate Middleton. Les experts estiment qu’il devrait injecter dans l’économie britannique plus de 1,1 milliard de livres sterling. Près de 70 millions de livres sterling**** ont été dépensées en produits dérivés à l’effigie du couple royal : mugs, tee-shirts, gâteaux, drapeaux et même préservatifs. Certains hôtels n’ont pas hésité à proposer pour l’occasion des « royal wedding packages ». Mais comment expliquer cet engouement pour la famille royale britannique ?
La famille royale, une icône de la culture britannique
Bien que la plupart des familles royales n’ait plus de fonction politique, elles gardent une aura importante. Certaines familles royales ont un impact très local et on n'en entend peu parler hors de leur pays. D’autres familles royales, comme la famille royale britannique, ont une importance et une visibilité majeures, qui va bien au-delà des frontières nationales.
La famille royale britannique est une icône de la culture britannique. La grande majorité des britanniques reste très attachée à la monarchie et à la figure de la reine. La reine, et plus largement la famille royale, est l’incarnation de l’héritage de la nation. Ils sont les dépositaires de l’histoire et des traditions du pays et représentent un élément clé de l’unité nationale.
Au-delà de la nation, la reine est une icône du Commonwealth. Elle représente un lien symbolique majeur avec l’ensemble des anciens pays de l’empire colonial britannique. Toutefois, l’aura de la famille royale britannique dépasse largement les frontières de la Grande-Bretagne et des pays du Commonwealth. Le phénomène est désormais planétaire.
L’aura de la famille royale britannique est largement entretenue par les tabloïdes anglais qui suivent et médiatisent ses moindres faits et gestes de ses membres. Ces éléments sont souvent repris par la presse internationale qui entretient et nourrit cet engouement pour la famille royale britannique hors de la Grande-Bretagne : les mariages respectifs du prince William et Harry, le Jubilée de la Reine, les grossesses de Kate Middleton, les prénoms choisis pour les enfants, les premiers pas de la princesse Charlotte, etc. Tous ces événements ont été largement commentés dans la presse internationale et sur les réseaux sociaux.
Ce phénomène est également entretenu par la famille royale elle-même qui a trouvé dans la médiatisation une façon de survivre. Institution souvent jugée trop obscure, trop fermée, trop inaccessible, la position de la famille royale britannique devenait fragile. Figure symbolique plutôt que vraie incarnation du pouvoir, elle s'apparentait à une relique d’un autre temps, isolée des citoyens et coupée du monde. Pour survivre, il leur a fallu s’adapter, ouvrir, s’ouvrir. Cette modernisation a commencé avec l’arrivée au pouvoir d’Elizabeth II et la première diffusion à la télé de la cérémonie du couronnement. Elle continuera avec le mariage du Prince Charles en 1981, l’ouverture au public de Buckingham Palace en 1993. Cela permet d’entretenir le mythe et de garder le contrôle sur la façon dont le mythe est diffusé.
Cette médiatisation permet à la famille royale de contrôler l’image donnée au public mais, elle est également une source non négligeable de revenus. L’entretien des châteaux et le train de vie royal est très coûteux. Et autant le public anglais reste fortement attaché à la monarchie et à la figure de la reine, autant lorsqu’on commence à parler chiffres, il est beaucoup moins à l’aise et moins sûr de vouloir couvrir les dépenses de la famille royale*****. La famille royale a donc été contrainte de trouver de nouvelles sources de financement. Elle a nourri intentionnellement l’engouement ; elle alimente et entretient sa propre « starification ». Elle écrit et raconte sa propre histoire et entretient le mythe.
Consommer la famille royale
Cette mythification de la famille royale a donné lieu à de nombreuses pratiques de consommation. On "consomme" la famille royale. Au-delà des produits dérivés à l'effigie de la famille royale, on « consomme la famille royale » à travers la presse people, et plus largement l’ensemble des médias qui mettent en scène leurs instants de vie. Mais, on la consomme également à travers des films historiques et des films de fiction sur la famille royale. On consomme la famille royale aussi par mimétisme : on s'habille comme Kate Middleton, on se coiffe comme Diana, etc. Que signifie « consommer la famille royale » ?
Un mythe contemporain et accessible
A travers la vie de la famille royale britannique, on retrouve les figures mythiques de la princesse et du prince charmant et des thèmes associés, l’amour, la beauté, etc. On se trouve au cœur d’un mythe contemporain dont on peut suivre en direct les rebondissements divers et variés : succès, échecs, mensonges, trahisons, coalitions, etc.
Il est intéressant de constater qu’une des figures les plus emblématiques reste la princesse Diana. La jolie princesse qui épousa le prince. Trahie par sa belle-mère et délaissée par son mari, elle périt tragiquement dans un accident de voiture. Finalement, suivre la vie de la famille royale, c’est pouvoir vivre un conte de fée contemporain. Pendant 17 ans, le public a suivi Diana, telle une star d’un feuilleton : ses déplacements, ses tenues, ses discours, ses sorties, son mariage désastreux, son divorce, ses amants… jusqu’à sa mort. Avec la mort de Diana, ce que le public a perdu, ce n’est pas une femme belle à la vie tumultueuse mais une figure iconique d’un mythe contemporain. Cette contemporanéité donne au mythe une certaine forme de proximité car on peut suivre en direct chaque rebondissement.
Cette proximité est d’autant plus forte que le mythe est désormais accessible. Il est potentiellement ouvert à tous et non plus réservé à un club aristocratique très fermé. Et c’est d’autant plus vrai avec le mariage du prince William et de Kate Middleton et du prince Harry et Meghan Markle. Meghan est afro-américaine divorcée, une star, amie avec d’autres stars, certaines venant de la télé-réalité. Il y a encore 50 ans, ce mariage n’aurait jamais pu être. Comme le note le tweet de Lucy Sempey : « One day you’re 15 and posing outside Buckingham and 22 years later you’re marrying the Prince ». Meghan a accompli ce que toute petite fille rêve d’accomplir. De fille (presque) ordinaire, elle se transforme en princesse. « Unreal ». Irréel.
Un mode de vie inaccessible et désirable
Les tabloïdes nous mettent dans la position de voyeurs, les voyeurs que nous voulons bien être, ils nous donnent accès à la vie privée des puissants, des riches et des personnalités célèbres. Parmi ces personnalités, on trouve essentiellement des acteurs, chanteurs, sportifs et mannequins, mais aussi la famille royale britannique.
Certaines célébrités exhibent intentionnellement leurs pratiques de consommation extravagantes. Elles démontrent leur statut par le gaspillage de temps et d’argent dans des objets et de pratiques de consommation extravagantes. Toutefois, pour que le mécanisme de l’ostentation puisse parfaitement fonctionner, il faut qu’elle engendre une forte désirabilité auprès de ceux qui n’ont pas accès à ces modes de consommation. Il ne s’agit donc pas simplement de gaspiller son argent, il faut le montrer et le rendre désirable auprès de ceux qui n’ont pas les moyens de telles dépenses.
Les pratiques de consommation ostentatoire de la famille royale britannique ne passent pas comme pour Kim Kardashian ou Jay Z par une consommation extravagante mais par des objets et des pratiques de consommation traditionnels tout aussi inaccessibles (châteaux, diadèmes, carrosses, uniformes, etc.). Ces pratiques sont mises en scène de facto, de par leur fonction symbolique associée au statut de la famille royale. Grâce aux événements majeurs tels que les cérémonies de mariage, les médias nous permettent d’entrer dans leur intimité. A côté de ces événements officiels, les tabloïds traquent les faits et gestes de la famille royale pour repérer les pratiques ostentatoires les plus extravagantes de la famille royale (soirées de débauche du Prince Harry, soirée dans un palace de la princesse Diana, etc. ). Grâce à la presse people, on peut avoir accès à un univers et un mode de vie inaccessible et désirable.
La désirabilité entraîne un phénomène de ruissellement par le bas. On cherche à consommer des objets similaires et à adopter des pratiques de consommation : s’habiller comme Kate Middleton, se coiffer comme Diana. Plus récemment, on a constaté un engouement pour les taches de rousseur de Meghan Markle. Des centaines de jeunes filles se font tatouer sur les joues des taches de rousseur « à la Meghan Markle ».
A travers sa forte médiatisation, la famille royale est devenue une icône de marché. Être une icône de marché, c’est obéir à la logique dudit marché. Panem et circenses. Du pain et des jeux, c’est ce que nous semblons réclamer et c’est ce que nous avons.
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* https://www.lci.fr/sujet/prince-harry-et-meghan-markle-le-mariage-de-l-annee/
** http://www.francesoir.fr/culture-celebrites/quelle-audience-pour-le-mariage-du-prince-harry-et-de-meghan-markle
*** https://www.firstpost.com/world/british-royal-wedding-more-than-six-million-tweets-on-prince-harry-meghan-markles-big-day-thrice-more-than-william-kate-wedding-4476087.html
**** https://inews.co.uk/news/uk/royal-wedding-desperate-marketing-mr-kipling-commemorative-condoms-britain-cashing-prince-harry-meghan-markle/
***** https://www.independent.co.uk/news/people/the-biggest-myth-about-the-queen-her-contribution-to-the-british-economy-10491277.html