Le légendaire slogan marketing de L'Oréal « Parce que je le vaux bien » est non seulement intemporel dans l'industrie de la beauté, mais décrit également bien la rémunération des PDG. Dans l'une des dernières études réalisées par Handelsblatt, la revue de commerce allemande a analysé les résultats de 2016 des PDG des grandes sociétés allemandes en fonction du revenu moyen de leurs salariés. L'étude a révélé que les dirigeants de l'entreprise gagnaient jusqu'à 190 fois plus que leurs employés. En outre, en 2015, les PDG aux États-Unis et au Royaume-Uni ont gagné respectivement 335 et 129 fois plus que la rémunération moyenne de leurs salariés.
Dans son article qui révèle les ratios de rémunération, Alex Edmans, professeur à la London Business School énumère les arguments qui visent à expliquer et justifier ces contrastes observés dans la disparité des revenus. Le premier affirme que les actions des PDG sont adaptables dans le sens où les améliorations faites au niveau de la culture d'entreprise ont par la suite des effets bénéfiques importants à l'échelle de toute l'entreprise. Le deuxième argument est de dire que les ratios de rémunération élevés pourraient être considérés comme un outil de motivation important pour les employés car ils indiquent de grandes opportunités de carrière et de promotion. Et enfin, vient l'argument selon lequel les meilleurs talents méritent les meilleures rémunérations.
Les faits, plus intrigants que la fiction
L'objet de ce court article n’est pas de contester ces arguments et ces hypothèses, sinon serait dans ce cas beaucoup plus long. En revanche, je crois qu'il est important d'attirer l'attention sur trois faits clés lorsque l'on considère l'ampleur de ces ratios.
Le premier d'entre eux est que de nombreux PDG continuent de recevoir des paiements importants et des récompenses financières, alors que leurs organisations licencient des milliers d'employés. Cela confirme une tendance déjà mise en évidence dans les années 2010, lorsqu'un rapport de l'Institute for Policy Studies concluaient déjà que les salaires des PDG augmentaient avec les licenciements d'employés. Si je ne critique pas le licenciement d’employés, on peut tout de même s’interroger sur la véracité du présupposé talent des dirigeants appliquant de telles pratiques.
Le deuxième facteur clé est que les PDG qui échouent dans leurs tâches, sont souvent à l’origine des décisions qui ont eu de graves répercussions financières et non financières pour leur organisation. Mais ils quittent tout de même leurs entreprises moyennant une forte rémunération financière, appelée parachutes dorés, comme le montrent le scandale des émissions de Volkswagen en 2015 ou encore plus récemment celui de Yahoo. Dans le cas de Volkswagen, le scandale des émissions a coûté à la société au moins 14,7 milliards de dollars et à 30 000 salariés de Volkswagen, leurs emplois d'ici 2020. L'ancien chef de la direction, Martin Winterkorn, a quitté la société en 2016 et a bénéficié alors d'une pension de 3 100 € par jour. Dans le cas de Yahoo, la PDG sortante Marissa Mayer est susceptible de quitter la société avec des indemnités de départ de 186 millions de dollars en dépit d'une série de décisions d'achats intempestifs et de graves violations de sécurité, qui a résulté en l’achat de Yahoo par Verizon pour un dixième de ce que Microsoft avait déboursé en 2008.
Et troisièmement, des recherches récentes ont confirmé que l’argument selon lequel les plus performants sont les plus compétents n’est pas adapté. En effet, un succès extraordinaire se produit habituellement dans des circonstances exceptionnelles. Des études ont montré que les plus performants ont souvent eu la chance de bénéficier d'une dynamique positive qui leur a permis d’augmenter leur fortune initiale. Ces études suggèrent également que les résultats sont attribués au charisme et aux compétences d'une certaine personne mais à tort, car il en va plutôt du contexte situationnel et du fait d'être « au bon endroit au bon moment ».
Pour ceux qui ont le nez dans le guidon : prenez du recul
Notre époque se caractérise par de grandes inégalités socioéconomiques et des scandales montrant la cupidité et l'insatiabilité des principaux décideurs et dirigeants d'entreprises dans le monde entier et ce quelques soient les secteurs, privé, politique et sportif. Cela peut être le moment de passer de l’indulgence à une plus grande remise en question.
Les décideurs et les chefs d'entreprise sont plus enclin à l'introspection lorsque les choses se passent mal et lorsque les objectifs de performance ne sont pas respectés. Ils analysent ce qui a conduit à l’échec et surtout ce qu'ils n'ont pas fait correctement pour obtenir des résultats positifs. Il pourrait également être utile d'introduire un tel mécanisme lorsque les choses vont très bien pour les dirigeants de l'entreprise. Ces derniers se rendraient compte que la majeure partie de leurs succès n'est pas seulement le fait de leurs propres compétences et de sa grandeur, mais également de la performance de leurs employés et de nombreux autres facteurs situationnels sur lesquels ils n’ont pas de pouvoir. Ainsi, les ratios de rémunération jusqu'à 335 fois supérieurs pourraient être reconsidérés par les leaders de l'entreprise et les décideurs qui en sont à l’origine même.