Quand nous entendons le mot « communauté », nous avons tendance à imaginer un groupe de personnes très soudé, cloîtré dans un seul endroit et dont la cohésion est assurée par des caractéristiques ou des traditions profondément enracinées. Cependant, dans le monde moderne, les communautés peuvent être très différentes.
Les populations des pays développés gagnent en liberté pour se définir elles-mêmes comme des individus ; ces individus ont de plus en plus la possibilité de choisir les communautés dont ils veulent faire partie. Il est probable qu’ils appartiennent à plusieurs communautés à la fois, dans lesquelles ils entrent et qu’ils quittent selon leur volonté. Par conséquent, les communautés ne sont pas tellement fixes, rigides et fermées, mais sont bien plutôt dynamiques, souples et ouvertes.
Les membres d’une communauté moderne n’ont pas besoin d’être proches physiquement ; dans bien des cas, la proximité symbolique peut remplacer la proximité physique. Les communautés tournent autour d’idées et de projets partagés, ou de visions communes du monde. Comme il arrive que certains membres de la communauté ne se voient ou ne se rencontrent jamais, la communauté est en un sens « imaginée » par ses membres. Une communauté virtuelle, structurée autour de la communication électronique qui permet son existence, est une version poussée à l’extrême de la communauté « imaginée ». Cette définition souple de la communauté implique que le groupe peut s’accommoder d’une plus grande diversité interne ; elle implique aussi que ses membres peuvent être affiliés à de nombreuses autres communautés en même temps.
Les communautés traditionnelles sont souvent définies en termes d’appartenance ethnique, de religion ou de culture de leurs membres. Par exemple, nous pouvons parler de « communauté chinoise » dans une grande ville comme New York. Les attributs tels que l’appartenance ethnique ou la religion étant difficiles voire impossibles à changer, les gens ne peuvent quitter cette communauté qu’en s’éloignant physiquement. Au contraire, les communautés modernes se caractérisent par une « appartenance à responsabilité limitée ». Les membres sont plutôt comme des investisseurs dans une start-up : ils s’engagent avec parcimonie et peuvent s’en aller à tout moment. Certains membres peuvent être très actifs et engagés dans la communauté, pendant différentes périodes, tandis que d’autres sont des « satellites » ou des « suiveurs ».
Qu’est-ce que les communautés transnationales ?
Les communautés modernes n’étant pas liées à un endroit géographique, elles peuvent s’étendre sur plusieurs pays. Ces communautés transnationales sont de plus en plus importantes et actives dans le monde actuel, ce qui a motivé notre intérêt académique à leur égard. Nous définissons les communautés transnationales comme des groupes sociaux émergeant d’interactions mutuelles par-delà les frontières nationales, et orientées autour d’un projet commun ou d’une « identité » imaginée.
Les communautés transnationales ont toujours existé. Parmi les exemples historiques importants de communautés transnationales, on compte les cartels internationaux, les ligues commerçantes, les Églises et l’Internationale Communiste, tout comme les communautés de migrants. En revanche, notre centre d’intérêt porte sur les variantes les plus récentes de ces types de communautés. Nous nous occupons des communautés transnationales basées sur le partage d’intérêts, de projets ou de causes, telles que celles qui sont structurées autour de normes comptables, de gouvernance financière, de normes environnementales ou de normes de travail au niveau international.
L’origine des communautés transnationales
Comment les communautés transnationales se créent-elles et se développent-elles ? Il existe deux manières : de la base vers le sommet et du sommet vers la base. Dans le cadre développement de la base vers le sommet, les communautés transnationales sont bâties au fur et à mesure que les membres de différentes communautés locales ou nationales se rejoignent par-delà les frontières. Au fil du temps ces communautés forgent une identité partagée, tandis qu’une intégration transnationale s’effectue peu à peu ; au final, ces communautés deviennent puissantes et acquièrent une certaine autorité. Les corps professionnels et les communautés de logiciels open-source sont de bons exemples de développement de la base vers le sommet.
Dans le cadre du développement du sommet vers la base, la communauté est transnationale dès le départ. Un petit groupe élitiste et transnational se crée avec un projet ou un planning particulier ; ensuite il se met à créer de nouveaux liens, à élargir la base internationale de travail pour ses activités et à persuader les communautés locales ou nationales de s’impliquer avec eux.
Les communautés transnationales et la gouvernance transfrontalière
Comme elles sont profondément liées avec la société, le monde des affaires et l’économie, les communautés transnationales ont un impact important sur la gouvernance économique transfrontalière. Parmi les domaines dans lesquels elles peuvent avoir de l’influence se trouvent l’environnement, le droit du travail, les normes comptables, la concurrence, Internet et la responsabilité sociale.
L’influence des communautés transnationales prend six directions. En premier, elles aident à définir et à cadrer des problèmes de gouvernance, ce qui crée un « espace de problèmes » transnational, où des individus et des organisations différents peuvent se rencontrer et collaborer. Il est difficile de prédire quels seront leurs centres d’intérêt : par exemple, les communautés de certifications ont fait de la protection de la forêt leur enjeu majeur, et ont accordé moins l’attention aux autres problèmes, qui se révèlent plus urgents encore.
Deuxièmement, après avoir identifié le problème, les communautés transnationales aident à susciter une action collective par la définition des objectifs, la mise en commun les ressources et la mise au point d’efforts communs. Elles peuvent aussi trouver moyen d’impliquer d’autres organisations dans le projet.
La troisième manière dont les communautés transnationales influent sur la gouvernance réside dans le fait qu’elles servent de place publique pour la discussion et, certaines fois, le conflit. Les communautés transnationales ne sont pas toujours harmonieuses : ce sont aussi des endroits où des visions et des intérêts divergents se heurtent ; au final, il faut trouver des solutions de compromis aux problèmes complexes qui se posent.
Par la suite, le quatrième rôle des communautés transnationales intervient : encourager l’alignement des opinions. À la suite des discussions et des débats, les membres alignent peu à peu leur opinion les uns sur les autres, soit parce qu’ils ont appris de nouvelles choses et découvert de nouvelles perspectives, soit parce que les autres membres de la communauté, ou ses dirigeants, exercent une pression sur eux. Mais quelqu’en soit la raison, les opinions et les préférences tendent à s’égaliser.
Le cinquième rôle des communautés transnationales consiste à établir des règles. Les communautés transnationales franchissent les frontières des pays et des organisations, et leurs membres sont souvent très divers, si bien qu’elles sont dans une position privilégiée pour définir des règles qui aident à surmonter la fragmentation. Le lien se fait vers leur sixième domaine d’activité, qui consiste à imposer des sanctions et un contrôle social sur leurs membres. Les sanctions peuvent être soit officielles soit informelles, et s’appuient souvent sur la menace d’exclusion de la communauté.
Questions pour le futur
Nous pressentons que les communautés transnationales sont un domaine de recherche capital pour les recherches académiques à venir. C’est en continuant à les observer que nous pouvons en apprendre plus sur le fonctionnement, l’impact et les limitations de la gouvernance transfrontalière, ainsi que sur l’importance des liens sociaux et des perceptions partagées dans une gouvernance efficace.
Il semble que les communautés où les initiatives vont de la base au sommet ont une large portée et une bonne capacité pour mobiliser les ressources, mais sont moins souples. À l’inverse, les communautés où les initiatives vont du sommet à la base sont mieux placées pour agir d’un seul tenant, mais ont une portée plus limitée. Il serait intéressant de dire quel type de communauté atteint le mieux ses objectifs ; la réponse peut être qu’une collaboration entre les deux types est ce qui fonctionne le mieux.
Un autre point d’intérêt est le lien entre les communautés transnationales et les organisations officielles, et la manière dont les premières forment leurs propres structures internes. Enfin, il serait intéressant d’explorer la manière dont les communautés des deux types parviennent à trouver leur légitimité et à l’asseoir, au sens où on les perçoit comme des communautés sans parti pris mais dotées d’autorité dans leur domaine.
Pour approfondir :
Transnational Communities: Shaping Global Economic Governance