Junko Takagi, Professeur de Management et Co-Titulaire de la Chaire de Leadership et Diversité à l’ESSEC Business School, étudie la question de la diversité et de l’inclusion, et propose aux entreprises des leçons à tirer des élections américaines.
Contrecoups, croyances et attitudes
L’élection de Donald Trump a mis en avant les fractures sociales aux Etats-Unis, et a tout particulièrement accentué la fracture entre les genres. Ce que nous semblons observer est l’équilibre fragile de la diversité et l’évolution non-linéaire des questions qui la concernent. Le terme de « contrecoup » a été utilisé pour décrire la défaite d’Hillary Clinton – contrecoup contre l’ordre établi, la mondialisation, la diversité. Nous observons des contrecoups lorsque les individus et groupes d’individus développent un sentiment d’injustice suite à la perte de privilèges jusqu’alors acquis. Nous pouvons observer les limites de l’impact des politiques de non-discrimination et des lois s’attaquant aux inégalités, et la complexité à faire changer des croyances et des attitudes fondamentalement différentes. Cela contraste vivement avec le discours sur la diversité que tiennent de nombreuses entreprises, dans le but d’atteindre une meilleure intégration de différentes formes de diversité dans leur main d’œuvre.
Quelles conséquences pour les entreprises ?
La diversité – qu’il s’agisse d’une candidate femme à la présidentielle dans un pays qui compte près de 230 années de présidents hommes, ou d’un trader malvoyant dans une banque – est une expérience bouleversante. Nous sommes poussés en territoire inconnu car nous n’avons pas d’exemples qui puissent nous indiquer quelles en seront les conséquences. Alors que l'avancée vers l’inconnu suppose aventure et découverte, qui peuvent être une source d’enthousiasme, c’est aussi une source potentielle de danger et d’anxiété. Cette idée du danger émerge de l’impossibilité de connaitre l’impact qu’aura notre reconnaissance et l’intégration des différences sur nous-mêmes et sur le statu quo. La diversité est source de malaise car elle questionne le soi – qui nous sommes et ce en quoi l’on croit, ainsi que les relations établies et perçues comme évidentes.
Comprendre l’instinct et la réaction
De manière à dépasser la diversité en tant que processus d’intégration et/ou d’inclusion, le phénomène de bouleversement lié à la diversité doit être entièrement reconnu et vécu. C’est sur ce point que de nombreuses formations sur la diversité du personnel sont peu satisfaisantes. Elles ne fournissent pas le malaise d’un moment bouleversant, qui nous permet de reconnaitre nos véritables croyances sur les différences d’autrui, de la même façon que des électeurs indécis qui n’étaient pas particulièrement favorables à Donald Trump ont néanmoins pu voter pour lui une fois confrontés à l’intimité d’une cabine de vote où ils doivent faire face à un choix décisif entre deux candidats – un homme, une femme, tous deux âgés d’environ 70 ans. Après tout, combien de femmes de 70 ans trouve-t-on dans des positions de pouvoir, par rapport aux hommes du même âge ? Ce n’est qu’en étant confrontés à nos réactions instinctives que l’on peut réellement mesurer notre position sur les questions de diversité.
Là où il y a de la différence, il y a de l’innovation
L’intégration peut être reformulée en ces termes : « Traitez les autres comme vous aimeriez être traité ». L’une des façons de gérer la diversité est de ne différencier personne et de traiter toutes les personnes de la même manière. Il s’agit sans aucun doute d’une étape cruciale pour dépasser les différences, et qui a permis d’ouvrir la voie de la non-discrimination pour de nombreuses entreprises. Cette approche répond à une conséquence négative de la diversité et pousse à l’égalité des chances. Cela dit, des études indiquent que lorsqu’on ne reconnait pas la différence, il y a aussi de fortes chances pour que l’on manque des opportunités d’innovation – l’une des conséquences positives de la diversité.
L’inclusion, en revanche, peut être reformulée en ces termes : « Traitez les autres comme ils aimeraient être traités ». En théorie, cela semble être un bon conseil, mais les femmes peuvent-elles réellement comprendre le fait d’être un homme, ou réciproquement, et peut-on réellement comprendre les difficultés d’autrui lorsque nous ne sommes mêmes par conscients de nos propres privilèges ?
Le bouleversement peut être positif
D'un point de vue de la diversité, les élections américaines sont peut-être apparues comme un moment bouleversant pour les électeurs. Dans ce cas, plutôt que de justifier leurs choix après les faits, ils peuvent utiliser cette opportunité pour prendre conscience de leurs croyances réelles sur la différence, telles que les femmes au pouvoir, et réfléchir au développement de nouveaux réflexes. Pour les défenseurs de la diversité, cela revient à poursuivre la promotion de la diversité et de l’égalité ; et pour ceux qui seraient surpris, cela suppose d’apprendre de cette sensation de perturbation. Pour les entreprises qui promeuvent l’inclusion, il est nécessaire de questionner les présupposés et processus de manière à identifier des inégalités persistantes, en créant ainsi des opportunités pour les populations jusqu’alors défavorisées, et identifier des mécanismes de contrecoups de manière à inclure aussi bien des groupes privilégiés que moins privilégiés. La route vers l’inclusion est longue et sinueuse, et en aucun cas linéaire. Cependant, tirer des leçons des moments de contrecoups peut permettre de faire deux pas en avant et un en arrière, plutôt qu’un pas en avant, et deux en arrière.
Regardez la vidéo "Diversity Disruption" par Junko Takagi
Liens utiles :
The Construction of Workplace Identities for Women: Some Reflections on the Impact of Female Quotas and Role Models. In: Diversity Quotas, Diverse Perspectives: The Case of Gender (with S. Moteabbed). Farnham (Royaume-Uni) : Stefan Gröschl, Junko Takagi, 2012, p. 149-158
Introduction: Gender Quotas in Management. In: Diversity Quotas, Diverse Perspectives: The Case of Gender. Farnham (Royaume-Uni) : Stefan Gröschl, Junko Takagi, 2012, p. 1-7
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The Challenge of Diversity: examples from France. In: Going Diverse: Innovative Answers to Future Challenges. Opladen, Farmington Hill (Allemagne, Etats-Unis) : Carmen Leicht-Scholten, Elke Breuer, Nathalie Tulodetzki, Andrea Worlffram, 2011, p. 77-87
"Pour une approche sociologique de la "diversité"" (J. Takagi), la revue internationale et stratégique , May 2009, Vol. Spring 2009, Issue 73, p. 109‑112