Le rôle de la confiance dans les liens entre démarches individuelles et politiques environnementales

Le rôle de la confiance dans les liens entre démarches individuelles et politiques environnementales

Avec Radu Vranceanu

Les conséquences négatives du changement climatiques sont facteurs de craintes pour les décideurs politiques ainsi que pour l’ensemble des citoyens. Pour répondre à ces préoccupations légitimes, les institutions privées comme publiques multiplient les démarches et les dispositifs juridiques pour protéger l’environnement, sensibiliser à l’importance de ces enjeux et promouvoir des comportements plus responsables. Des travaux récents publiés dans la revue Social Indicators Research*, par les Professeurs Cristina Davino (Università degli Studi di Napoli Federico II), Vincenzo Esposito Vinzi* (ESSEC, Département Systèmes d’Information, Sciences de la Décision et Statistiques), Estefania Santacreu-Vasut (ESSEC, Département d’Economie) et Radu Vranceanu (ESSEC, Département d'Économie) étudient comment la prise de conscience et la confiance peuvent influencer les comportements individuels à soutenir activement les politiques environnementales.

Au cours de ces dix dernières années, l’opinion publique a reconnu l’importance grandissante des enjeux climatiques ainsi que la nécessité d’agir collectivement pour protéger l’environnement, autant dans les pays développés que dans les pays en développement, en faisant notamment reposer le débat sur les émissions de gaz à effets de serre (GES). En effet, les problèmes environnementaux concernent l’ensemble des habitants sur Terre, au niveau local comme global, et dès lors, il n’est possible de trouver des solutions qu’à une échelle internationale. Pourtant, les désaccords demeurent nombreux, notamment quant à la question de savoir qui est responsable de la situation actuelle. Les pays développés ont émis (et continuent d’émettre) des quantités importantes de CO2. Ainsi, les pays en développement peuvent légitimement avoir le sentiment de ne pas avoir à payer le prix de comportements qui les ont précédés.

Indépendamment du débat sur la répartition des efforts d’ajustement à faire, les habitants, qu’ils viennent de pays émergents ou développés, peuvent avoir des visions différentes sur la façon de résoudre le problème. Une des explications possibles est le fait que les institutions fonctionnent de façons différentes selon le niveau de développement, ce qui peut avoir un impact sur l’image que se font les individus de leur participation à l’effort collectif. Par exemple, dans les pays où l’imposition est déjà élevée, les contribuables peuvent être peu enclins à l’utilisation de dispositifs fiscaux pour financer les politiques publiques en faveur de l’environnement. De plus, la préférence pour des acteurs publics ou privés pour conduire ces changements peut dépendre de la confiance qu’ils ont dans leurs institutions.

Les travaux des chercheurs ont consisté à analyser les données de l’enquête sur les perceptions et les attitudes provenant du 5ème volet de l’enquête sur les valeurs mondiales de 2007-2009* (World Values Survey). Ils introduisent un modèle nouveau suivant l’approche PLS qui prend en compte la sensibilisation aux enjeux environnementaux, le capital social et l’action. Cette nouvelle méthode évalue dans un premier temps la totalité des 35 000 observations individuelles de 42 pays, puis séparément selon leur niveau de développement, et spécifiquement pour la Chine, l’Allemagne, l’Inde et les Etats-Unis.

Cette analyse révèle qu’au-delà du canal habituel de la prise de conscience des enjeux, la confiance dans les organisations publiques et les ONG joue un rôle majeur dans le façonnement d’une attitude favorable envers les politiques publiques environnementales. Elle est mesurée par leur capacité ou leur envie à payer plus ou à gagner moins dans l’objectif de financer la transition écologique. 

Au contraire, l’analyse empirique suggère que les citoyens qui font confiance aux institutions privées expriment un soutien moindre aux politiques publiques environnementales, ce qui permet d’émettre l’hypothèse qu’ils transfèrent une partie de leur responsabilité environnementale individuelle vers les entreprises, plutôt que sur les institutions publiques ou eux-mêmes. Il est intéressant de constater que cette relation est plus faible dans les pays en développement que dans les pays développés. Cela pourrait-il être la conséquence des plans de communication parfois excessifs des entreprises sur leur politique environnementale ? Il est vrai que si les individus dans ces pays pensent que les entreprises sont effectivement précurseurs et proactives sur ces questions, ils pourraient être amenés à réduire leur propre engagement. A l’avenir, les efforts de communication des entreprises pourraient plutôt s’attacher à faire état des partenariats public-privé qui eux n'entraînent pas d’effet négatif non-intentionnel sur la contribution de chacun à l’effort.

Enfin, la confiance dans la science et la technologie peut aussi jouer un rôle important dans le façonnement du comportement face aux enjeux climatiques. Les individus peuvent être plus ou moins optimistes quant aux capacités des scientifiques à répondre aux problèmes sociaux ou à mettre fin aux famines et à la pauvreté ou à explorer l’espace. Dans le domaine de l’environnement, du moins en Europe, les progrès technologiques ont contribué à réduire les coûts de production des énergies renouvelables. Des progrès substantiels ont été réalisés dans le domaine des technologies vertes qui permettent de réduire la pollution et la consommation d’énergie. Néanmoins, ces progrès technologiques ont parfois été trop lents et les investissements dans la R&D verte demeurent sensibles aux variations du cours des combustibles fossiles. A l’échelle individuelle, un fort enthousiasme pour la science et pour la technologie peut en outre affecter négativement le comportement vis-à-vis des politiques en faveur de l’environnement. En effet, les citoyens friands de technologies peuvent reposer leur conscience sur des innovations futures mais incertaines, et rejeter leur part de responsabilité présente pour leur confiance dans l’avenir. Bien sûr, cela peut aussi avoir un effet positif si le citoyen est réceptif aux preuves scientifiques sur les causes et les conséquences du changement climatique et qu’il peut les partager. Notre analyse suggère que cet effet positif prévaut dans les pays développés comme dans les pays en développement.

En décembre 2015, 188 gouvernements réunis à Paris pour la COP21 se sont mis d’accord sur des valeurs cibles de préservation de l’environnement qui, si elles sont mises en place et respectées, peuvent permettre aux températures de ne pas augmenter de plus de 2°C. Cet accord a été récemment terni par le retrait unilatéral du gouvernement américain. Mais le succès des politiques de lutte contre le changement climatique dépend non seulement de cette nécessaire coopération internationale et d’un leadership gouvernemental sur la question (ou de l’absence de leadership), mais aussi de l’acceptabilité de ces politiques par les citoyens. Nos travaux suggèrent que les comportements favorables ou non des citoyens vis-à-vis des différents dispositifs, et le niveau de confiance qu’ils ont dans les institutions les mettant en œuvre peuvent influencer la façon par laquelle la communauté internationale s’attaque au changement climatique. Ce constat est capital, car dans cette lutte pour la protection de l’environnement, il est essentiel que tous les leviers soient activés.

*Davino, C., Esposito Vinzi, V., Santacreu-Vasut, E. and R. Vranceanu, An Attitude Model of Environmental Action: Evidence from Developing and Developed Countries, Social Indicators Research (2018).
*Aussi Directeur général du groupe ESSEC
* See http://www.worldvaluessurvey.org

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