Recruter des data scientists n’est pas chose aisée, et les garder peut s’avérer franchement compliqué. Cette difficulté provient bien souvent d’un manque d’alignement. D’un côté, les data scientists sont formés aux techniques statistiques les plus pointues, au machine learning et à la programmation. Les meilleurs ont une capacité à comprendre le business et à participer à sa transformation. Ils s’épanouissent avec leurs pairs, dans un environnement où ils peuvent continuer à apprendre, approfondir leurs connaissances, notamment autour de problématiques très pointues. De l’autre côté, de plus en plus en d’entreprises ont besoin de recruter des profils qui sachent avant tout poser les bonnes questions business, comprendre comment les initiatives liées à la data créent de la valeur pour les métiers, tout en activant les bons leviers technologiques. Ces dernières années, les écoles de commerce ont développé des programmes visant à former des étudiants « data ready » pour combler ce fossé et répondre à l’intérêt croissant du marché de l’emploi pour ces profils.
Les étudiants des écoles de commerce qui suivent une spécialisation dans la data au cours de leur cursus – les data talents – disposent d’un bagage technique suffisamment solide pour leur permettre de collaborer efficacement avec les « purs » data scientists. Ils disposent en outre de compétences métier acquises notamment au travers d’études de cas de cas très poussées, études de cas réalisées à partir de set de données très importants (big data) permettant de résoudre des problématiques business stratégiques. En fait, avant de manipuler les données, ils apprennent à poser les bonnes questions, à imaginer des solutions innovantes, mais aussi à comprendre comment leur projet ne restera pas à l’état de POC et à estimer la valeur que leur projet apportera à l’entreprise. Ils comprennent l’importance du rôle joué par les processus, la technologie et la culture d’entreprise pour le succès des initiatives qui utilisent l’analyse de données de façon avancée ; enfin ils maîtrisent le data storytelling pour convaincre les dirigeants de déployer leurs solutions.
Apprendre à créer de la valeur en partant des données est long, nécessite plusieurs itérations, d’accepter de se tromper, et une bonne dose d’agilité. Cet apprentissage repose sur un cadre méthodologique éprouvé, alimenté par plusieurs expérimentations terrain. Les data talents le savent et aspirent à des métiers dans lesquels ils pourront continuer à travailler sur des problématiques stimulantes autour de la valorisation des données, tout en étant encadrés par des managers qui les inspirent et leur transmettent leur savoir. Les dirigeants commencent à réaliser qu’un environnement qui favorise le développement continu de ces compétences – hybride et supervisé – devient incontournable pour devenir « data-centric ». La question qui vient naturellement est « comment les jeunes diplômés de la data voient-ils l’environnement de travail idéal ? ».
Nous sommes les premiers à avoir conduit une enquête détaillée auprès de jeunes diplômés spécialisés en data pour mieux comprendre leurs aspirations. Les résultats nous ont permis de mieux comprendre ce qui les attire, comment ils voient leur carrière, et ce qui leur importe au quotidien. Ils nous ont aussi permis d’établir un certain nombre de recommandations pour les dirigeants et les RH, destinées à mieux attirer et conserver les talents de la data.
Il s’avère que les talents de la data sont attirés avant tout par des univers où ils pourront se confronter à des problématiques ardues, avoir des tâches variées, et surtout changer régulièrement de projets pour développer plus avant leurs compétences. La variété et la transversalité leur semble un terreau plus fertile que l’approfondissement d’une problématique ciblée. Sans surprise, ils considèrent l’environnement du conseil comme le plus attractif. Le domaine d’activité de leur futur employeur leur importe peu. Ils sont prêts à faire le choix des grands groupes ou des GAFA, tant que le champ des possibles reste ouvert. Le niveau de salaire ne semble pas faire partie de leurs préoccupations premières – ils seront bien payés et ils le savent – tant ils ont conscience de la rareté de leurs compétences sur le marché et s’attendent à une courbe croissante de leur rémunération à venir. De façon plus surprenante, ils semblent attacher moins d’importance aux valeurs ou à la mission de leur futur employeur.
Pour résumer, les data talents aspirent avant tout à développer leurs compétences au travers de projets variés, dans un environnement agile et convivial, encadrés par des managers ayant de fortes compétences techniques.
Ces résultats doivent pousser les entreprises – notamment celles qui mettent an avant les messages corporate ou les incentives RH – à revoir leur politique en matière de talents. Elles auront tout intérêt à développer une culture d’apprentissage continu permettant l’approfondissement des compétences, à créer des parcours de carrière balisés et ouverts, dont la diversité permettra d’accélérer la prise de responsabilités. Pour ce faire, une piste serait de mettre en place les bons écosystèmes, allant au-delà des silos internes et misant sur les collaborations externes, notamment académiques.
Des managers entretenant des relations de proximité avec ces data talents sont eux aussi essentiels pour les attirer et les retenir. Leur implication dans le processus de recrutement est déterminante pour que les candidats puissent toucher du doigt la réalité du métier au quotidien, au-delà de la communication institutionnelle. Mais plus important encore est l’enjeu de la formation de ces managers : leur apprendre à collaborer, coacher les plus jeunes, et développer leur agilité. Il sera également utile qu’ils apprennent à transformer d’immenses sources de données en initiatives créant réellement de la valeur : c’est à ce prix qu’ils pourront développer et faire grandir leurs équipes.
Les écosystèmes plus ouverts et le management ad hoc sont à combiner pour répondre aujourd’hui aux attentes des data talents.
Quelques chiffres clés
- La valeur la plus importante pour 63 % des data talents : apprendre
- La priorité #1 pour 47 % d’entre eux : avoir des tâches variées et intéressantes
- L’attente #1 en matière de politique RH pour 41 % d’entre eux : les possibilités de développement de carrière
- 83 % des data talents ne feront pas de la mission de l'entreprise un argument discriminant
Auteurs
Fabrice Marque – Directeur Exécutif, ESSEC Business School
Jeroen Rombouts – Professeur, ESSEC Business School
Arnaud Gilberton – CEO, Idoko
Timothy Lê – General Manager, Idoko
Merci à Joris Fayard et Yang Kai-Lin pour leur aide.