Les avantages et les inconvénients de la croissance économique sont devenus un sujet de débat important dans les forums sociaux, politiques et économiques. D’une part, on affirme que la croissance économique est nécessaire au maintien de la prospérité économique et du bien-être social. D’autre part, la croissance économique peut être associée à la dégradation des écosystèmes, notamment au changement climatique, à la perte de biodiversité, à la pollution et à la destruction de ressources naturelles dont dépend notre vie sociale et économique. Il est devenu impératif de trouver de nouveaux modèles dans lesquels la création de valeur économique est découplée de la dégradation de l’environnement, ou associée à une amélioration environnementale et sociale.
Que la croissance économique et la dégradation de l’environnement puissent ou non être découplées, il est certain que dans notre quête d’un nouvel équilibre économique, de nouvelles solutions entrepreneuriales et entreprises entrepreneuriales devront être développées, pour remplacer les produits, services et méthodes de production existants désormais obsolètes. En s’engageant dans la "destruction créatrice" schumpétérienne, l’initiative entrepreneuriale pourrait alors déclencher une décroissance de ces activités économiques, heureusement accompagnée de l’émergence, de la croissance et du développement d’une nouvelle activité économique plus souhaitable. Contrairement à la croissance économique globale, parvenir à une croissance entrepreneuriale ambitieuse et rapide n’est donc pas seulement souhaité, cela est nécessaire pour faire émerger des solutions créatives et plus durables dont nous avons besoin de toute urgence.
La réussite entrepreneuriale n’est cependant pas un exploit facile à réaliser. Par définition, l’esprit d’entreprise consiste à développer une opportunité alors que son existence est incertaine : même les entrepreneurs et les investisseurs les plus expérimentés ont tort plus souvent qu’ils n’ont raison en matière d’opportunités entrepreneuriales. En outre, il est souvent difficile d’anticiper si les nouvelles idées entrepreneuriales mèneront effectivement à des solutions bénéfiques pour la société, et les gouvernements du monde entier sont dans la position délicate de stimuler l’émergence d’une nouvelle activité entrepreneuriale tout en orientant cette activité de manière à ce qu’elle soit conforme aux objectifs sociétaux.
Dans un article publié dans Technological Forecasting and Social Change, Jan Lepoutre et Augustina Oguntoye ont comparé l’émergence du mobile money au Kenya, et le succès massif de M-Pesa, avec la non-émergence du mobile money au Nigeria, afin d’explorer les raisons pour lesquelles une même idée entrepreneuriale peut décoller dans un pays et échouer dans un autre. L’émergence de M-Pesa est une véritable histoire intrapreneuriale (un projet entrepreneurial lancé au sein d’une entreprise existante, en l’occurrence Vodaphone) : une série d’essais et d’erreurs, d’apprentissage collectif et ingénieux, de surprises et de vraies découvertes. Pourtant, pour que l’entreprise atteigne la croissance massive qu’elle a connue, elle a eu besoin d’un soutien financier et réglementaire important. Le Kenya et le Nigeria, pourtant deux pays au développement socio-économique et technologique similaire, différaient par leur capacité gouvernementale à superviser et à contrôler l’impact social et les risques associés à nouvelle cette innovation financière. Si le gouvernement nigérian n’était pas opposé à au paiement par mobile, il n’avait pas les capacités et bande passante nécessaires, après la crise financière, pour superviser une activité financière inconnue. Le gouvernement kenyan, quant à lui, était actionnaire de la filiale kenyane de Vodaphone (Safaricom) où M-Pesa était en cours de développement. Il a ainsi pu apprendre à connaître l’innovation financière aux côtés de M-Pesa et développer le cadre réglementaire approprié.
Les enseignements tirés de cette recherche ne sont pas seulement utiles aux services financiers des pays en développement. La vitesse à laquelle les écosystèmes entrepreneuriaux peuvent produire des succès entrepreneuriaux dépend de la capacité — individuelle ou collective — à absorber les coûts de l’erreur, à transformer les erreurs en connaissances et en information, et à trouver des solutions aux contraintes des uns et des autres. Ces dernières années, les écosystèmes entrepreneuriaux du monde entier ont été inondés de capitaux financiers, et l’augmentation impressionnante du nombre de licornes, des entreprises non cotées en bourse de moins de 10 ans dont la valorisation atteint au moins 1 milliard de dollars, montre à quel point le terreau de la croissance entrepreneuriale est actuellement fertile. Très souvent, cependant, les contraintes de la réussite et de la croissance entrepreneuriale se situent ailleurs, et ce sont des ressources autres que financières qui étouffent le développement des opportunités : un manque de talent, de légitimité réglementaire ou sociale, de matières premières et plus encore.
C’est pour cette raison qu’à l’ESSEC Business School, nous investissons massivement dans le développement de talents capables de décrypter l’environnement économique dans lequel les opportunités se développent, et ayant une forte compréhension des défis environnementaux, sociologiques, organisationnels et humains qui sont impliqués dans ce processus. En confrontant les étudiants à ces défis dès le début, ils sont en mesure de se lancer dans le monde du travail et de contribuer plus rapidement à surmonter les difficultés liées au développement de projets entrepreneuriaux et de scale-ups.
Référence
Lepoutre, J., & Oguntoye, A. (2018). The (non-) emergence of mobile money systems in Sub-Saharan Africa: A comparative multilevel perspective of Kenya and Nigeria. Technological Forecasting and Social Change, 131, 262-275.