Pour les entreprises, les moyens pour innover passent surtout par la recombinaison de technologies existantes. Ce nouveau sujet de recherche, qui a remporté le mois dernier le prix ESSEC Foundation Awards, montre que l’amélioration des capacités recombinantes peut favoriser de manière significative le succès d’une entreprise dans la course à l’innovation.
Pourquoi certaines entreprises sont-elles meilleures que d’autres pour recombiner des idées ? Le nouveau sujet de recherche mené par Elisa Operti (ESSEC) et Gianluca Carnabuci (Université de Lugano), intitulé « Where do firms’ recombinant capabilities come from? Intra-organizational networks, knowledge, and firms’ ability to innovate by technological recombination » et paru dans le Strategic Management Journal, traite cette question en séparant deux compétences, souvent prises l’une pour l’autre : la création recombinante et la réutilisation recombinante.
« La création recombinante consiste en la combinaison de technologies qui n’avaient jamais été combinées auparavant, explique Elisa Operti. Ainsi, en 1977, Texas Instruments a créé le modulateur spatial de lumière en combinant des composants électriques micro-électriques et micro-mécaniques (MEMS) – deux technologies que l’entreprise n’avait jamais réunies auparavant.
La réutilisation, d’un autre côté, se rapporte à l’affinage de combinaisons existantes pour résoudre de nouveaux problèmes et identifier de nouveaux contextes où les connaissances acquises précédemment peuvent être utilisées. Par exemple, après l’invention du modulateur spatial de lumière, les ingénieurs de Texas Instruments ont approfondi leur compréhension de cette combinaison technologique et ont inventé une nouvelle série d’outils technologiques plus avancés. »
L’étude, qui tient compte de cette différence, considère que la capacité d’une entreprise de recombiner –en créant ou en réutilisant- dépend de sa structure organisationnelle. Un réseau intra-organisationnel intégré, où les inventeurs peuvent interagir de manière rapprochée et compter sur le savoir des uns et des autres, favorise la réutilisation recombinante mais minimise la création recombinante. À l’inverse, un réseau peu dense, composé d’éléments multiples, favorise la création recombinante mais minimise la réutilisation.
« En d’autres termes, toujours selon Elisa Operti, la diversité au niveau du savoir a tendance à réduire la capacité d’une entreprise à innover en réutilisant des combinaisons connues, car il manque aux inventeurs spécialisés dans différents domaines des « langages » ou des « mondes imaginaires » qu’ils auraient en commun concernant la technologie. Cela dit, la diversité au niveau du savoir permet aussi aux inventeurs, pris isolément, de créer de nouveaux liens ; elle favorise également d’innovation de l’entreprise en créant de nouvelles combinaisons. Par conséquent, les entreprises comportant à la fois un réseau intra-organisationnel intégré et une grande diversification des savoirs peuvent se livrer à la fois à la création et à la réutilisation recombinantes.
Pris ensemble, ces résultats indiquent que, si l’on veut démultiplier de manière significative la recombinaison technologique et l’innovation, les managers devraient détourner leur attention des structures formelles et la tourner vers la partie informelle de leur entreprise. Ils devraient s’intéresser aux facteurs sociaux, culturels, architecturaux ou géographiques, qui peuvent affecter le travail en collaboration au sein de l’organisation, ainsi qu’à la spécialisation technologique vers laquelle les inventeurs se dirigent.
Cela dit, les managers devraient également avoir conscience que développer les deux capacités en même temps est un défi, car les facteurs favorisant une capacité ont tendance à minimiser l’autre. Par conséquent, deux stratégies peuvent être suivies. Par exemple, Hewlett Packard réussit à développer dans les années 1970 de nouvelles combinaisons technologiques dans le domaine des imprimantes laser et à jet d’encre, en mettant en place une unité de recherche composée de divers experts dans les États de l’Idaho et de Washington, loin du siège central de Californie. Une fois que la technologie eut abouti et eut obtenu une large reconnaissance au niveau des experts et du marché, l’entreprise reconnecta l’unité aux autres bureaux et recentra le réseau autour d’eux. Cet exemple illustre les conclusions de cette étude et confirme que, même s’il peut être difficile ou coûteux en temps de changer les structures informelles, l’amélioration des capacités recombinantes peut aider de manière significative l’entreprise à réussir dans la course à l’innovation.
Pour approfondir:
"Where do firms’ recombinant capabilities come from? Intra-organizational networks, knowledge, and firms’ ability to innovate by technological recombination », paru dans le Strategic Management Journal.