Les pays développés sont parfois tentés de pointer du doigt la contribution majeure des pays en développement à la pollution mondiale et au réchauffement climatique. De récents travaux sur l’Amérique du Sud, "Sustainability Indices in Latin America: Can Financial Markets Push for CSR?", ont néanmoins pu montrer un élan dans l’élaboration par les pays émergents d’indices socialement responsables à une échelle locale, destinés aux investisseurs cherchant à placer leur argent dans des entreprises respectant l’environnement.
A quoi servent ces indices ?
Bien que les reportages sur la pollution industrielle mondiale et le réchauffement de la planète restent légitiment légion, l’Investissement Socialement Responsable (ISR) et l’élaboration d’indices socialement responsables constituent deux exemples d’efforts tangibles visant à faire avancer les choses. L’investissement socialement responsable, aussi connu sous le nom d’investissement vert ou éthique, vise à obtenir un rendement tout en choisissant spécifiquement des entreprises ayant une conduite responsable vis à vis de la société et de l’environnement. Afin que l’investisseur puisse placer son argent à cet effet, il doit être en mesure de pouvoir évaluer ce que fait réellement l’entreprise en faveur de la RSE. C’est ici qu’interviennent les indices socialement responsables, attribuant aux actions une note sur des critères sociaux, environnementaux ou de gouvernance.
Ces indices existent depuis un certain temps dans les pays industrialisés, par exemple, le Dow Jones Sustainability Index (DJSI) ou le FTSEGood index ont été respectivement lancés en 1999 et en 2001. Ils servent souvent de modèles pour pointer du doigt les lacunes des pays émergents en la matière. Mais ce point de vue légèrement moralisateur semble injustifié. D’abord, de tels indices ne peuvent émerger seulement lorsqu’un seuil de maturité élevé est atteint par le marché, et par ailleurs, il existe déjà au sein de plusieurs marchés émergents des initiatives visant à améliorer les choses. Ils les mettent en place en prenant en compte les contextes locaux et en s’attaquant au défi de pouvoir offrir aux investisseurs responsables des informations fiables et de qualité, qui représentent un coût non négligeable, malgré leur faible volume de liquidités comparativement aux pays développés. On peut s’intéresser à l’exemple de l’Amérique Latine, et plus spécifiquement du Brésil, du Mexique et du Chili, au centre de mes travaux sur l’ISR.
Le choix d’une nouvelle approche en Amérique Latine
L’ISR se développe de façon différente en Amérique Latine, avec en tête de pont le Brésil, le Mexique et le Chili, offrant une nouvelle approche qui pourrait se montrer intéressante pour d’autres pays de la région ou ailleurs dans le monde. Le développement de nouveaux indices financiers éthiques dans la région est assez remarquable. La pratique de l’ISR est récente dans ces pays, alors qu’elle est devenue assez habituelle dans les pays développés. Par exemple, aux Etats-Unis, l’ISR représente approximativement un sixième des fonds investis (US SIF, 2014).
Ce qui caractérise l’approche latino-américaine c’est la contribution directe des places boursières locales, dans l’objectif de rassembler la masse critique nécessaire de parties prenantes fiables et respectées. Cela peut être expliqué principalement par deux facteurs : le faible nombre de places boursières en Amérique latine et le coût élevé de l’obtention des données ESG.
Dans les marchés développés, ces données sont collectées et rassemblées par les fonds d’investissement ou par les agences de notation spécialisées, ce qui représente un coût important. En utilisant les indices créés par leurs propres places boursières locales, accessibles gratuitement, le Brésil, le Mexique et le Chili ont réussi à faire preuve de créativité pour éviter le caractère très onéreux de la démarche.
Mais est-ce que ça marche ?
Au Brésil, la bourse de Sao Paulo a créé un indice “ISE” dès 2005. C’était à l’époque le 4e indice dans le monde, et le 2e sur un marché émergent. Les données sont collectées sur la base du volontariat et répondent à sept critères différents : général, nature du produit, gouvernance, économie et finance, environnement, social, et changement climatique. Un bon score et un minimum de liquidités sont nécessaires avant la sélection. Dans l’ensemble, l’indice ne semble pas avoir de meilleurs rendements par rapport à un portefeuille d’investissements classique. Cependant, à rendements similaires, les investisseurs ISR préfèrent investir dans des sociétés présentant une meilleure performance ESG. Par ailleurs, l’indice ISE influence directement le comportement des entreprises et est en cela attractif pour les firmes souhaitant être plus visibles, et même se prévaloir de leur “note” pour se distinguer de leurs concurrents ou négocier avec leurs fournisseurs.
Le Mexique a quant à lui son “IPC Sustentable”, créé par la bourse mexicaine en 2011, avec la contribution de l’agence de notation européenne Eiris. On a ici aussi une exigence de liquidités minimales, et une évaluation des entreprises sur trois critères : environnementaux (50% du score), sociaux (40%) et relatif à la gouvernance (10%). Comme l’indice ISE au Brésil, l’indice IPC revoit sa liste tous les ans.
Le dernier arrivé est le Chilean Sustainability Index, lancé en 2015 conjointement par la bourse chilienne et le S&P Dow Jones. Connu aussi sous le nom de Dow Jones Sustainability Index Chile, il a toutes les caractéristiques des meilleurs indices ISR, et revêt une approche “best-in-class”. Il sélectionne rigoureusement les entreprises dans tous les secteurs, les évaluant à partir des informations qu’elles transmettent. Si elles ne souhaitent pas répondre, des données publiques sont utilisées pour élaborer une note. La plus grande différence avec les indices brésilien ou mexicain est le fait que celui-ci revêt le label “Dow Jones”. Il sera intéressant de voir dans les prochaines années si ce choix de lancer un indice avec une marque d’autorité permettra d’accélérer la visibilité et la reconnaissance internationale de l’indice.
Aider les investisseurs responsables à prendre leurs décisions
Pour les investisseurs, la donnée la plus précieuse n’est pas l’indice lui-même mais la méthodologie sous-jacente utilisée pour évaluer la performance ESG. C’est pourquoi l’approche “best-in-class” de l’indice chilien peut être difficile à comprendre par l’investisseur responsable. En effet, des entreprises opérant dans des secteurs controversés comme le pétrole ou le tabac peuvent se retrouver dans l’indice, et par ailleurs, comme il ne sélectionne que les meilleurs, de nombreuses firmes pour autant socialement responsables peuvent être écartées. On comprend dès lors que les indices socialement responsables ne peuvent pas remplacer parfaitement l’absence d’agence de notation ESG indépendante. En effet, les deux ont des objectifs différents : les premiers ont pour objet de servir de référence au sein d’un portefeuille ISR, et les seconds évaluent plus concrètement la performance ESG de certaines entreprises. Cependant, les informations provenant de ces indices dans le contexte propre de l’Amérique Latine permettent indéniablement aux investisseurs de mûrir leurs décisions. Et sinon, l’investisseur responsable pourra toujours glaner des informations dans des rapports publics, des communiqués de presse, ou encore les flashes infos sensationnalistes des chaînes d’informations en continu.