Alors que le monde occidental commence lentement à sortir de la crise, le scénario que nous avions construit autour des économies émergentes semble peut-être s’étioler. Les investisseurs concentrent donc leur attention sur la volatilité et le risque afin de mieux optimiser leur investissement dans la région. Cependant, que savons-nous réellement des risques sur les marchés asiatiques ?
« Si les crises de 2009 nous apprennent quelque chose, c'est que nous avons besoin d'identifier les risques extrêmes aussi rapidement et aussi précisément que possible », explique le professeur Marie Kratz, directrice du Centre de recherche econofinancière et actuarielle sur les risques (CREAR ). « Mais nous devons encore aller au-delà d'une analyse qualitative en Asie et mettre des chiffres sur ce que nous y observons ».
En effet, la plupart des recherches actuarielles sont actuellement concentrées sur les marchés américains et européens où les données sont plus facilement disponibles. Paradoxalement, même si la crise de 2009 a révélé leur vulnérabilité, les économies développées sont généralement moins sujettes à des risques extrêmes que les économies en développement. Or plus l’enjeu est important, plus les connaissances sont lacunaires.
Dans le cadre d'un système international toujours plus complexe, l'un des principaux objectifs du CREAR est d'attacher des données réelles à de nouveaux modèles théoriques afin de mieux quantifier la longévité, la morbidité et les risques. Sur la question des marchés asiatiques, entre autres, le CREAR travaille en étroite collaboration avec ses partenaires, dont le réassureur français SCOR.
Plus que jamais, les professionnels veulent collaborer avec les académiques
« Plus que jamais, les professionnels sont désireux de travailler avec des universitaires pour mieux analyser les risques », explique Michel Dacorogna, conseiller scientifique chez SCOR. « En Asie, par exemple, le Professeur Kratz et moi-même avons assisté à une conférence sur les risques d'assurance. La salle était remplie de professionnels qui se tournent vers le monde académique pour trouver des réponses. L'analyse des risques est effectivement l’un de ces domaines clés dans le monde du business où les professionnels démontrent une envie de travailler avec des universitaires pour puiser dans leur expertise ».
D’un côté, les entreprises asiatiques vont devoir faire face à de nouveaux défis. De l’autre coté, l’analyse traditionnelle des risques s’est montrée largement inefficace pour prédire la crise de 2009 - les entreprises et les investisseurs ont énormément sous-estimé le crash qui devait arriver, même si les moyens étaient là pour modéliser correctement sa probabilité. Donc selon le Professeur Kratz, il est plus important que jamais de regarder au-delà du bilan comptable et de trouver les bons outils pour prévenir les risques extrêmes. De plus, pour les entreprises, de meilleures capacités d'analyse des risques signifient une compétitivité accrue puisqu’elles sont davantage en mesure de choisir le juste niveau de risque pour un retour souhaité ou de réduire le risque pour obtenir un retour différent.
La recherche devrait clarifier la prévision des risques, non le complexifier
«Malheureusement, l'une des grandes tendances aujourd’hui dans le secteur financier est une complexité accrue, ce qui rend plus difficile la modélisation des risques », dit-elle. « Les centres de recherche tel que le CREAR ou encore le centre de recherche financière (IRFRC) de Nanyang Business School cherchent à développer des approches plus réalistes, basées sur des données et des théories les plus avancées, tout en tenant compte des besoins du marché asiatique, car c’est un environnement très spécifique. »
La complexité des marchés est d’autant plus dangereuse qu’elle cache des interdépendances qui sont difficiles à évaluer et à modéliser. Par conséquent, le CREAR cherche à développer des approches plus adaptées à cette complexité, tout en conservant une modélisation plus universelle. Néanmoins, la spécificité du marché asiatique commence à attirer plus d’attention : L’IRFRC par exemple, également parrainé par SCOR, est l'un des premiers centres de recherche sur les risques et la finance en Asie.
« Selon Warren Buffet, vous ne devez assurer que ce que vous comprenez », ajoute le Dr Dacorogna. « Quand la recherche nous aide à prédire le genre de résultats extrêmes qui ont caractérisé la crise de 2009, nous sommes mieux préparés parce que nous comprenons les mécanismes en jeu. Malheureusement, la tendance va vers une complexité grandissante, mais nous nous impliquons en faveur d'une meilleure connaissance fondamentale ».