Le 23 juin 2016, quarante-trois ans après l’entrée du Royaume-Uni (UK) dans la Communauté Economique Européenne, les Britanniques doivent se prononcer par referendum sur la sortie du pays de l’Union Européenne (UE). Ne serait-ce que par la taille de son économie, l’UK apparaît comme un pays important de l’UE: en 2015 sa population était de 65 millions d’habitants, contre 443 millions d’habitants pour le reste des autres 27 pays membres de l’UE. Son PIB de 2569 milliards d’euros représentait 17.5% du PIB de l’UE. Avec un PIB par habitant de 39500 euros, l’UK se présente comme un pays, dont le niveau de développement est très important (la moyenne de l’UE étant de 28700 euros). Pays ouvert vers l’extérieur avec un ratio exportations/PIB de 27.6%, sa balance commerciale est déficitaire depuis 1998. Si l’on se focalise sur ses deux principaux partenaires commerciaux, l’UK dégage un excédent commercial avec les Etats-Unis, et un déficit avec l’Allemagne.
Des nombreuses études ont cherché à estimer l’impact de la sortie de l’UK de l'UE sur l’économie de l’UK même. Cet exercice est très difficile vu le nombre considérable de changements qu’elle entraînerait, et la difficulté de prévoir les dynamiques économiques et sociales qui pourraient en résulter. Pour la plupart des analystes, les coûts engendrés par la moindre intégration des marchés UK-EU devraient l’emporter sur les bénéfices associés aux économies budgétaires et à l’indépendance de décision économique accrue, mais l’ordre de grandeur serait relativement modeste (Dhingra et al. 2016). En conclusion, les Britanniques devraient pouvoir gérer ce type de transition, et la décision de sortir ou non apparaît plus que jamais comme une décision politique.
Si pour les Britanniques la sortie de l’UE ne devrait pas créer des difficultés économiques insurmontables, on pourrait conclure hâtivement que le départ de l’UK devrait être encore plus insignifiant pour l’UE. Clairement, si la sortie devrait engendrer la hausse des barrières commerciales et une éventuelle réduction des échanges avec l'UK, l’impact sur le bien-être des citoyens de l’UE devrait être marginal. En effet, Buiter et al. (2016) ont calculé que dans la période 2010-2014 les exportations de l’UE (hors UK) vers le UK ne représentaient que 2.9 % du PIB de la région ; les importations en provenance de UK représentaient quant à elles 2.4% du PIB. Un rééquilibrage devrait également être opéré au niveau du budget de l’UE dans la mesure où l’UK représente 19% des contributions nettes (2014), mais les enjeux sont limités par la faiblesse des montants en jeu.
Le vrai coût pour l’UE d’un éventuel départ de l’UK de la structure que représente l’UE est d’une toute autre nature. Au fil des années, des négociations et des traités, l’UE s’est transformé en une vaste machine à niveler les institutions nationales, suivant dans un grand nombre de cas une logique de corporatisme et d’interventionnisme.
L’exemple typique de cet affrontement d’idées est la « directive européenne sur le temps de travail », adoptée en 1993, et imposée à la Grande Bretagne en 1998 (elle a pu négocier un régime restreint d’exception). La directive réglemente à l’échelle européenne le temps de travail maximal hebdomadaire, les pauses, les congés. Présentée par l’UE comme une grande avancée pour la protection des individus face aux prétendus abus des entreprises, cette directive illustre comment l’UE entrave la liberté des individus de décider des horaires qu’ils souhaitent effecteur et l’impose à tous les pays. Depuis son adoption en 1993 et jusqu’à aujourd’hui, les gouvernements britanniques successifs se sont exprimés contre cette ingérence dans la bonne gestion du marché du travail, sans pouvoir infléchir la position de la Commission Européenne.
Les Cassandres qui prédisent le déclin de l’industrie financière anglaise si le pays ose sortir de l’UE perdent de vue les plans terrifiants de régulation bancaire et de taxation des transactions financières qui traînent sur les bureaux de la Commission Européenne, à l’initiative des gouvernements qui n’ont pas vraiment saisi le rôle fondamental de l’industrie financière dans l’allocation de l’épargne vers l’investissement, et qui occultent consciemment les conséquences de la mauvaise régulation dans l’émergence des crises financières.
Dans les instances européennes, et notamment à la Commission Européenne, bras exécutif de l’UE, l’UK a toujours joué un rôle crucial, pour instiller une dose de libéralisme économique, une croyance dans l’efficacité du marché et dans la liberté d’entreprendre. Il faut reconnaître que le Royaume-Uni n’est pas seul dans cette croisade contre l’interventionnisme, étant soutenu en général par les pays nordiques, les pays baltes et certains pays de l’Est. Le départ de l’UK porterait un coup dur à cette alliance, et renforcerait le courant de pensée protectionniste et centralisateur au sein de l’UE, avec tous les risques pour le développement économique à long terme qu’une telle évolution pourrait engendrer.
Si l’on suit le raisonnement des économistes dits « autrichiens », dont Friedrich Hayek est le représentant le plus célèbre, l’économie est un organisme vivant censé s’adapter continuellement aux changements, en répondant aux signaux transmis par les prix. Dans ce contexte, tout comme la concurrence entres firmes les pousse à donner le meilleur d’elles mêmes pour satisfaire les consommateurs, la concurrence entre institutions permet de tester différents modèles d’organisation et de choisir celui qui correspond au mieux aux aspirations des citoyens. Si l’UE supprime la concurrence entre institutions en imposant aux pays membres les mêmes règles, la même organisation, la même pensée économique, alors elle fait défaut à sa mission. Une véritable UE doit créer le même terrain de jeu pour tous, en laissant aux pays la liberté de faire des choix institutionnels.
En cas de Brexit, certains vont blâmer les Anglais pour leur prétendu égoïsme, déploreront leur anti-européanisme et en profiteront pour incriminer leurs bonnes relations avec les Etats-Unis. Il faudrait plutôt se demander qui veut vraiment de cette orientation interventionniste de l’Europe, de ses lourdeurs administratives, de sa protection excessive au détriment de la compétitivité. Si des pays préfèrent la voie de la liberté économique, non seulement ils ont le droit de la suivre, mais ils peuvent monter le chemin vers une autre Europe, plus dynamique, plus moderne, et plus performante sur le plan économique.
References :
Buiter, W., E. Rahbari, C. Schultz, 2016, The implications of Brexit for the rest of the EU, VOX CEPR Portal, March.
Dhingra, S., G. Ottaviano, J. P. Pesoa, T. Sampson and J. Van Reene, 2016, The Consequences of Brexit for UK trade and living standards, CEP Brexit Analysis 2, On-line at: cep.lse.ac.uk/pubs/download/brexit02.pdf.