Radu Vranceanu, Professeur et Directeur du Département d’Economie de l’ESSEC Business School, se penche sur l’impact durable de la dernière crise financière mondiale sur la zone Euro et évalue les stratégies mises en place pour redresser la situation
Ca choque et ça secoue toujours
Les secousses de la crise financière mondiale de 2007-2009 font encore trembler l’économie dix après leur impact initial. En particulier, la réponse des pays de la zone Euro est à la fois inquiétante et révélatrice des faiblesses structurelles de la région.
Contrairement aux Etats-Unis, les gouvernements de la zone Euro ont dû inverser brutalement leur relance budgétaire en 2010 quand une nouvelle crise, liée à leurs dettes souveraines, a émergé. Suivant un modèle jusqu’à présent observé principalement dans les pays en développement, le refus des investisseurs à refinancer la dette publique a provoqué le défaut de la Grèce en 2012, ainsi que des difficultés majeures pour quatre autres économies de la zone Euro (Portugal, Espagne, Irlande, Chypre) qui ont dû être renflouées par le fonds de soutien de l’Union Européenne et le FMI. Les tensions sur la viabilité des dettes publiques italienne et espagnole en 2012 ont finalement incité la Banque Centrale Européenne (BCE) à adopter le programme OMT (Outright Monetary Transactions) autorisant l’éventuel financent des gouvernements en détresse, que de nombreux observateurs ont interprété comme une renonciation à son engagement de ne pas renflouer.
La confiance fait le ciment
Le tissu financier des économies de la zone Euro ne s’est pas encore complètement remis de ces deux crises majeures. Si les indicateurs prudentiels sont, dans de nombreux pays, revenus à leur niveau d’avant la crise et se sont parfois améliorés, l’actif le plus important ne l’a pas complètement récupéré. Cet actif clé c’est la confiance : faire confiance aux intermédiaires financiers, aux experts financiers et se faire confiance lorsqu’on est engagé dans une relation prêteur/emprunteur. Comme l’a déclaré l’économiste Kenneth Arrow il y a quelques années (The Limits of Organization, 1974), la confiance est un ingrédient clé pour le bon fonctionnement de toute économie de marché, car elle permet de réduire les coûts de transaction. Sur les marchés financiers, le manque de confiance dans les institutions peut conduire à des situations de panique auto-réalisatrice telles que les paniques bancaires ou des épisodes de fuite massive de capitaux.
En conséquence de cet état généralisé de méfiance, tout choc mineur peut subir une amplification majeure. En effet, si l’on souhaite analyser une situation de panique basée sur la méfiance, on peut par exemple se pencher sur la forte baisse des actions des banques la zone Euro déclenchée par la chute surprise du prix du pétrole en 2015qui avait remis en question la qualité des prêts et des investissement dans des projets et entreprises pétrolières. Jusqu’à présent, la création en 2014 du Mécanisme de Surveillance Unique (MSU) et du Mécanisme de Résolution Unique (MRU) ne semble pas suffisante pour restaurer cette confiance nécessaire dans le secteur bancaire de la zone Euro.
Comment pouvons-nous être positivement atypiques ?
Le seul acteur qui semblait capable de surmonter toutes ces difficultés était la BCE. Comme déjà mentionné, la BCE a, en effet, freiné la crise de la dette souveraine en 2012 lorsque Mario Draghi a présenté le programme (OTM). Quelque temps plus tard, la BCE a semblé en mesure de fournir le stimulus nécessaire pour les économies de la zone Euro alors que les gouvernements devaient adopter des objectifs de déficits publics plus stricts imposés par l’adoption du Fiscal Compact, une version renouvelée du Pacte de Stabilité et de Croissance. En effet, après avoir épuisé son arme conventionnelle – réduisant à zéro les taux d’intérêt à court terme – la BCE a évolué activement vers des « mesures non conventionnelles » telles que les achats d’obligations et la réalisation de trois vagues d’opérations de refinancement à long terme. En conséquence de ce contrôle discrétionnaire de la base monétaire, le bilan de la BCE est passé de 2 000 milliards d’euros en 2010 à 3 500 milliards d’euros en Octobre 2016.
Cependant, après quatre années d’expérimentations de ses mesures monétaires « non conventionnelles », le résultat est inférieur aux attentes. Si le risque de déflation semble être repoussé, le taux d’inflation est encore trop faible, et bien en dessous de l’objectif à moyen terme de 2% par an. En outre, il n’est pas évident de savoir si la hausse des prix au cours des derniers mois est due à l’action directe de la BCE ou simplement à la hausse des prix de l’énergie et aux anticipations d’inflation plus fortes.
Liquidité : une hausse dangereuse ?
Les opérations de refinancement à long terme – par lesquelles la BCE prête aux banques de l’argent à taux zéro ou négatif sur trois ou quatre ans – semblent avoir contribué à accroitre le crédit dans le secteur privé de la zone Euro. Avec une croissance annuelle de 1,7% en août dernier, les prêts aux institutions non financières augmentent maintenant à un rythme normal.
Depuis mars 2015, la BCE acheté 60 milliards puis 80 milliards par mois – une politique plus connue sous le nom de Quantitative Easing (QE) et qui a connu un certain succès aux Etats-Unis. Il est probable que cette politique a contribué à faire baisser les taux d’intérêt à long terme. Pourtant, contrairement aux attentes, la baisse du taux d’intérêt à long terme a eu un impact modeste sur l’investissement privé. Inversement, il a érodé les marges des banques de la zone Euro, avec des conséquences dramatiques pour les plus fragiles d’entre elles. La rentabilité de ces banques les plus fragiles les incite à éviter les offres les plus risquées, et peut avoir un impact négatif sur les offres de prêt. Dans la mesure où la zone Euro se repose sur les banques pour financier l’économie nettement plus plus que les Etats-Unis , le Quantitative Easing peut finalement avoir un effet négatif sur la croissance et l’investissement dans des projets réels.
Si l’augmentation de la base monétaire orchestrée par la BCE n’a pas augmenté la production et les prix de manière significative, que nous a-t-elle apporté ? Plusieurs experts affirment que cet excès de liquidité alimente effectivement une hausse des prix des actifs financiers. Cette hypothèse est soutenue par des preuves sur la performance relativement forte des indices boursiers de la zone Euro. A titre d’exemple, depuis la mise en œuvre du QE, l’indice boursier principal en France (le CAC 40) a augmenté de 40%. Avec un ratio moyen Prix/Bénéfice (PER) aussi élevé que 21 (aussi élevé que le PER du S&P 500), les grandes entreprises semblent être surévaluées. Cela contraste avec le taux élevé du chômage en France qui se situe à 10% et avec la croissance médiocre de 1,3% au troisième trimestre 2016 par rapport au même trimestre de l’année précédente.
Les décisions à venir…
En décembre, la BCE va probablement devoir mesurer le risque d’entretenir une bulle d’actifs contre le risque de réduire le degré de détente monétaire et « tuer » la croissance déjà faible dans la zone Euro. Si la BCE décide d’arrêter le programme d’achat d’obligations – ce qui est communément appelé « tapering » - cela pourrait conduire à une augmentation des taux d’intérêt à long terme. Et des taux d’intérêt plus élevés viendraient alourdir le fardeau fiscal déjà élevé pour les gouvernements, en particulier pour ceux avec les plus courtes échéances de remboursement de leur dette. D’autre part, ce retour à la normale pourrait entrainer un effet positif sur l’investissement, puisque la profitabilité des banques serait meilleure et les banques seraient à même de prendre plus de risques.
La dernière décennie a montré que la zone Euro souffre de la« Japonisation » endémique en Europe du Sud, et que seules les réformes structurelles pourraient aider à résoudre le problème sur le long terme. Dans des analyses récentes, l’OCDE a souligné que la législation sur la protection excessive de l’emploi et la concurrence réduite sur les marchés de produits sont responsables de la mauvaise performance de nombreuses économies européennes (OECD Employment Outlook, 2016). Pourtant, à court terme, les réformes structurelles impliquent des coûts. Tout cela pourrait augmenter les tensions politiques – dans un monde où les extrémismes prolifèrent de tous les côtés.