Coup de projecteur sur l’économie souterraine : quels compromis devraient appliquer les gouvernements ?

Coup de projecteur sur l’économie souterraine : quels compromis devraient appliquer les gouvernements ?

Cristina Terra, professeur en économie à l’ESSEC Business School, partage sa recherche* sur les effets de la régulation et les stratégies de l’économie informelle et montre que les gouvernements du monde sont confrontés à un dilemme : l’économie souterraine doit-elle après tout être tolérée ?

*Informality in developing economies: Regulation and fiscal policiesOlivier Charlot, Franck Malherbet and Cristina Terra, publié dans le Journal of Economic Dynamics & Control, Elsevier.

 

Commune aux pays développés ou en voie de développement, l’économie souterraine – les activités économiques qui échappent aux taxes, aux charges sociales et dans bien des cas à la réglementation du droit du travail – correspond néanmoins à une large part de l’économie des pays en voie de développement, représentant dans certains cas plus de la moitié des activités économiques. En pourcentage du PIB, cela varie de 25 à 60 % en Amérique du Sud, de 13 à 50% en Asie, et reste autour de 15% dans les pays de l’OCDE avec une pointe à 30% dans certains pays européens. Pour Cristina Terra, les chiffres montrent – contrairement à beaucoup d’anciennes publications universitaires sur le sujet – que  l’économie informelle ne peut pas être simplement traitée comme un secteur résiduel. Pas étonnant donc que les gouvernements de la planète entière, désireux de récupérer des revenus dont ils ont besoin, ont essayé de comprendre le problème de l’économie informelle à un moment ou un autre.

Le professeur Cristina Terra de l’ESSEC Business School, en partenariat avec d’autres chercheurs de l’UCP et de l’IZA – l’Institut allemand pour l’Etude du Travail – a mené une recherche originale sur l’économie souterraine qui met à l’épreuve les pratiques de régulation gouvernementale et les politiques fiscales – avec des résultats étonnants suivant  si l’on adopte une approche souple ou stricte des pratiques d’économies parallèles.

Sous la loupe

Généralement, l’économie informelle est associée à beaucoup de caractéristiques indésirables. Les sociétés informelles ont tendance à être moins productives, paient des salaires moindres, et mettent de côté les lois protégeant les droits des employés et les conditions de travail.

Leur simple existence met en échec les lois et l’intégrité des institutions publiques. La stratégie évidente serait pour les gouvernements d’adopter une ligne agressive, une approche répressive, mais les politiques visant à réduire le travail informel, malgré tout, semblent avoir de nombreux effets indésirables. Il est généralement rétorqué que le chômage et l’économie souterraine vont de paires, et que les hommes politiques ne peuvent pas s’occuper du second sans nuire au premier. De plus, certaines politiques peuvent également induire des effets indésirables sur les inégalités salariales.

Le dilemme

Les gouvernements des pays en développement font face à un dilemme. Une approche douce ou brutale de l’économie parallèle ? Et jusqu’à quel point un gouvernement devrait tolérer son existence ? La logique est d’adopter une tactique ferme en appliquant la loi avec des sanctions et en en renforçant la détection du travail informel tout en introduisant des politiques qui encouragent ceux qui sont tentés de travailler dans l’économie souterraine de changer de côté, par exemple en réduisant les coûts de lancement d’une entreprise. En effet, les statistiques rassemblées démontrent que, parmi les pays d’Amérique latine inclus dans la recherche, le secteur informel à tendance à être plus important dans les pays où les barrières d’entrée sur le marché – c’est-à-dire, la création d’entreprise – sont plus strictes.

La recherche du professeur Terra démontre cette vérité. En diminuant la régulation du marché, et donc en abaissant le coût d’entrée dans le secteur formel, les taux d’économie parallèle et de chômage diminuent simultanément. Cela signifie qu’il n’y a pas nécessairement de place pour le compromis entre ces deux éléments.

Les politiques fiscales conçues pour baisser les taxes sur la rémunération – et ainsi donner un coup de fouet aux affaires et à l’économie formelle – portent avec elles leur lot d’effets négatifs : des taxes plus faibles impliquent des salaires plus élevés, signifiant un taux d’inégalités plus important. Par ailleurs, si une politique fiscale avantageuse est aussi accompagnée de mesures gouvernementales sévères et du renforcement de mesures contre l’économie informelle, alors l’effet – bien que réduisant l’économie parallèle – se ressent sur l’augmentation du chômage. En effet, la seule augmentation de la détection du secteur informel semble être l’option politique la moins préférable pour les gouvernements, puisqu’elle augmente le chômage et réduit les salaires. Dans une certaine mesure, cela peut expliquer pourquoi l’économie parallèle est généralement tolérée.

Un choix politique ?

Pour les pays en voie de développement où dans certains cas le secteur informel représente plus de la moitié de la main d’œuvre, le choix semble donc  être de mettre l’accent sur la simplicité pour les entreprises de pénétrer le marché via la dérégulation tout en adoucissant l’utilisation de la politique fiscale – la baisse des taxes sur la rémunération – et le recours à l’application de la loi et aux sanctions. En un mot, la carotte est préférable au bâton – mais pas juste n’importe quelle vieille carotte.

De nombreux pays en voie de développement avec un secteur informel important ont subi des politiques de libéralisation des échanges significatives. On pourrait en conclure que les effets de la libéralisation des échanges sont qualitativement similaires à ceux d’une dérégulation du marché des produits. Cristina Terra croit, toutefois, que des recherches plus poussées sont attendues dans ce domaine, avec le développement d’un modèle économique complètement ouvert comprenant un secteur informel. Cela sera au centre de son prochain projet de recherche. 

Liens utiles :

ESSEC Knowledge: Cutting-edge research – made practical  

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