Le marché du travail français possède toutes les caractéristiques des pays de l’Europe du Sud. Il a notamment une structure « duale », avec environ 90 % de la population active employée sous le régime du « contrat à durée indéterminée », et le reste sous différentes formes de contrats temporaires avec un usage restreint. Néanmoins, l’étiquette « durée indéterminée » est trompeuse : alors que ce terme suggèrerait que le contrat peut être rompu à tout moment, dans les faits un tel contrat ne peut pas être dénoncé unilatéralement par l'employeur, sauf dans des cas très spécifiques.
Plus particulièrement, une entreprise ne peut pas réduire ses effectifs si elle ne rencontre pas des difficultés financières. De ce fait, les « plans sociaux », à mettre en place lorsque plus de dix emplois sont menacés, doivent être approuvés par l'administration publique, qui n'acceptera la restructuration que si l'entreprise enregistre de lourdes pertes financières. De plus, un individu licencié pour "motif économique" est en droit d’aller aux prudhommes, et l'entreprise a alors l'obligation de justifier cette décision. Si l'employeur est jugé coupable de "licenciement abusif" il devra couvrir la perte de salaire de l’employé, voire même le réintégrer. Il n'est donc pas surprenant de constater que les entreprises françaises y réfléchissent à deux fois avant d'embaucher, et aient de plus en plus recours à l'automatisation ou à la délocalisation.
Quand le précédant gouvernement est arrivé au pouvoir en 2007, il avait fait de la réforme du marché du travail une de ses priorités. Cinq ans plus tard, rien n’a été fait, sauf un changement mineur permettant aux employés et aux employeurs de décider de commun accord d'une rupture de contrat sans que l'employé ne perde ses droits à l'allocation chômage (la rupture « conventionnelle »).
C’est un fait avéré, beaucoup d'entreprises du sud de l'Europe souffrent d’un manque de compétitivité. Ces entreprises enregistrent des coûts de main d’œuvre toujours plus élevés et de gains de productivité faibles ; à cela s’ajoute leur incapacité notoire à ajuster leur main d’œuvre aux évolutions du commerce international et aux nouvelles technologies. À la fin de l’année 2012, les pays durement touchés par la crise comme l'Espagne et l'Italie ont mis en place des réformes du marché du travail, et ont diminué les coûts spécifiques à la réduction des effectifs. Sans surprise, l'Irlande, soit un pays avec un marché du travail très flexible, a réussi à surmonter rapidement ses importantes difficultés économiques.
La France semble être un cas intrigant : d’une part les investisseurs continuent à soutenir la dette publique française, d’une autre part la balance commerciale est toujours déficitaire et le taux de chômage a grimpé à plus de 10% de la population active sous un fonds de croissance atone. Pour endiguer ces tendances défavorables, le nouveau gouvernement a réduit l’impôt sur les sociétés et s’apprête à lancer une réforme du marché du travail. À l'automne 2012 une grande négociation nationale entre les syndicats patronaux et les cinq principaux syndicats a été organisée et a aboutit à la signature d'un accord par trois des cinq syndicats à la mi-janvier 2013.
Cet accord est un bon indicateur des changements législatifs qui pourraient venir au printemps. Les entreprises en difficulté auront la possibilité de négocier des coupes salariales ou une augmentation du temps de travail pour une période pouvant atteindre deux ans si en échange elles s'engagent à maintenir l’emploi. Différentes mesures viseraient également à simplifier le protocole de licenciement pour les entreprises en difficulté financière, en diminuant la durée de mise en oeuvre et le tracas administratif relatifs aux plans sociaux. De plus, les employés renvoyés pour motif économique n'auraient plus que deux ans au lieu de cinq pour contester la décision de l'entreprise devant la cour ; cela devrait réduire le risque financier d’un licenciement. Bien que modestes, ces changements vont dans la bonne direction en donnant aux entreprises la possibilité de mieux s'adapter aux évolutions de leur environnent compétitif.
Ce qui est décevant est que ces réformes ne remettraient pas en question l'obligation pour l’entreprise de justifier ses difficultés financières avant de mettre en place une décision de restructuration. En bref, l'Etat maintiendrait son droit à interférer avec le « droit de gestion » des entreprises. En effet, la simple idée qu’une entreprise rentable qui cherche à le devenir encore plus rends service à la société est quelque chose que les syndicats français, et le public en général, semblent avoir du mal à concevoir. Or dans un monde où la majorité des profits sont réinvestis dans le développement de l’entreprise, ceci est la clé du regain de compétitivité, et ultimement de survie des entreprises française dans un environnement de plus en plus compétitif.
Un autre point mérite réflexion. Ces réformes permettraient aux entreprises d’acquérir une certaine flexibilité, mais elles donneraient également aux employés des avantages supplémentaires. En particulier, ils gagneraient un accès universel à la complémentaire de santé. Les contrats temporaires seraient taxés plus lourdement, permettant ainsi d’éviter que les entreprises élargissent l’utilisation de cette main d’œuvre alternative. En limitant la « concurrence interne », cette mesure favorise les revendications salariales des employés en CDI, avec les conséquences bien connues sur la compétitivité. En ce qui concerne les chômeurs, la seule mesure envisagée serait la mise en place d'un compte spécial autorisant la gestion fractionnée des droits à l'allocation chômage.
Ceci souligne un aspect important de cet accord : dans tous les pays utilisant le modèle de flexicurité (comme le Danemark, les Pays-Bas ou l'Autriche) la facilité donnée aux entreprises pour supprimer les emplois redondants est compensée par une meilleure protection des chômeurs, avec par exemple l'accès à de meilleures prestations sur une période plus longue (jusqu’a 80 % du salaire sur 4 ans). La logique fondamentale de la flexicurité est donc de remplacer la protection de l’emploi par la protection du revenu. Dans cette dernière « grande négociation », entreprises et syndicats ont « troqué » une plus grande flexibilité pour les firmes contre plus de bénéfices pour les mêmes employés en CDI, déjà privilégiés du système ! C'est bien là le pêché notoire des syndicats français : ils ne s'intéressent pas réellement aux chômeurs en tant que groupe, car les chômeurs ne sont pas membres des syndicats, mais se concentrent presque de manière obsessionnelle sur les intérêts des adhérents.
Néanmoins, tant que le retour à l’emploi des chômeurs ne sera pas un objectif explicite des syndicats français, il ne sera pas possible de pousser la réforme du marché du travail dans la bonne direction. Et tant que les chômeurs ne seront pas membres des syndicats, cela n’arrivera pas. Une autre solution serait de reconnaitre que les syndicats ne sont pas les meilleurs alliés du gouvernement pour combattre le chômage. Dans ce cas, les réformes du marché du travail devraient être menées sans demander ni leur avis ni leur accord.