Au cours du siècle dernier, la participation des femmes au marché du travail a augmenté de façon spectaculaire partout dans le monde. Néanmoins, la dernière étape vers l’égalité s’avère être la plus difficile dès lors qu’il existe toujours des disparités entre pays.
Avec ses co-auteurs Daniel L. Hicks de l'Université de l'Oklahoma et Amir Shoham de Temple University, Estefania Santacreu-Vasut étudie le rôle que le langage peut jouer dans la division du travail au sein des entreprises et des ménages.
La principale contribution de leur étude est d’utiliser une approche quantitative pour répondre à la question suivante : Est-ce que les distinctions féminin-masculin véhiculées par les règles grammaticales peuvent expliquer l’hétérogénéité des rôles de genre entre pays - mais aussi entre communautés linguistiques au sein d’un même pays ?
L’application de méthodes quantitatives pour étudier des données sur les structures grammaticales des langues et les comportements économiques des individus, révèle qu’il existe une forte corrélation entre la présence des distinctions féminin/masculin dans la grammaire et la participation des femmes au marché du travail entre les pays, mais aussi les types et la quantité de tâches ménagères que les femmes font.
Pour approfondir leur analyse, ils ont également étudié le comportement de migrants de diverses origines aux Etats-Unis, c’est-à-dire des femmes et des hommes ayant des langues maternelles différentes. Étudier des populations de migrants est intéressant car cela permet d’analyser leurs comportements dans un même environnement institutionnel et un même marché du travail.
Ils ont découvert entre autre que :
- Les femmes, dont la langue distingue les catégories féminin/masculin, ont un plus faible taux de participation au marché du travail ;
- Les hommes, dont la langue est marquée par le genre, fournissent moins de temps à la réalisation de tâches ménagères, même quand leur partenaire travaille en dehors du ménage.
Ces résultats pourraient s’avérer être le produit de l’inégalité de pouvoir de négociation entre hommes et femmes par rapport à la répartition des taches ménagères, plutôt que le résultat d’une identité de genre véhiculé par la grammaire. En effet, ces inégalités pourraient résulter de la spécialisation économique liée aux disparités salariales entre homme et femme.
Pour réfléchir à cette possibilité, leur étude analyse le comportement des femmes et hommes célibataires et révèle que :
- Les femmes célibataires dont la langue est marquée par le genre, fournissent plus de temps à la réalisation de tâches ménagères, même en absence de partenaire. Ceci suggère que les comportements liés au genre reflètent en partie l’identité du genre perçue par les individus.
Il est difficile d’établir un lien de causalité entre grammaire et comportement, car le langage, les institutions économiques et culturelles évoluent en parallèle.
Dès lors, il est possible qu’une corrélation entre la présence du genre dans les langues et les comportements reflétant des identités de genres observées dans les données soit le produit d’un accident historique que l’on observe au début du 21siècle.
Le lien entre grammaire et comportement de genre est-il stable au cours du 20ème siècle ?
Deux bouleversements majeurs ont eu lieu durant ce siècle : l’origine des migrants aux Etats-Unis majoritairement européenne pour la première partie du 20ème siècle, puis asiatique et latino-américaine pour la seconde ; et l’augmentation spectaculaire de la participation des femmes dans le marché du travail. En dépit de ces changements, la relation entre le langage et le genre est stable dans le temps, comme le révèle les études d’Estefania Santacreu-Vasut, Daniel L.Hicks et Victor Gay.
Pour approfondir:
Does mother tongue make for women's work? Linguistics, household labor, and gender identity, Journal of Economic Behavior & Organization, 2015.