Philanthropes, réfléchissez à l'impact de vos dons

 Philanthropes, réfléchissez à l'impact de vos dons

À l'occasion du lancement du MOOC La Philanthropie: Comprendre et Agir, Arthur Gautier, directeur exécutif de la Chaire Philanthropie de l'ESSEC, explique comment les donateurs peuvent prendre en compte et améliorer l'impact de leurs dons.

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Si vous avez déjà donné du temps, de l’énergie ou de l’argent pour soutenir une cause qui vous tient à cœur, vous connaissez sûrement ce sentiment de bien-être lié à la satisfaction d’avoir bien agi. Ces bonnes intentions, mélange d’altruisme, d’obligation morale et de plaisir personnel, sont la force motrice de la philanthropie. Mais elles ne nous disent rien des effets de nos actions philanthropiques sur la cause ou les bénéficiaires soutenus. Même avec les meilleures intentions du monde, un don peut être redondant, inutile ou même contreproductif pour ceux qu’il est supposé aider.

Comment les donateurs peuvent-ils aller plus loin que leurs bons sentiments ? Comment s’assurer de la pertinence, voire de l’impact d’un engagement philanthropique ? Ces questions connaissent un regain d’actualité mais elles étaient déjà débattues à la fin du XIXe siècle, lorsqu’Andrew Carnegie jeta les bases d’une « philanthropie scientifique » axée sur la raison et l'efficacité. Nous vous livrons ici quelques recommandations simples pour trouver vos propres réponses à ces questions difficiles mais importantes.

Prendre en compte les conséquences de la philanthropie

Donner est un acte de liberté par lequel le donateur exprime ses valeurs et s’engage pour améliorer le sort de ses semblables ou du monde dans lequel il vit. Mais qui dit liberté dit responsabilité. En effet, contrairement à l’entreprise privée ou au gouvernement démocratique, la philanthropie n’a pas de compte à rendre vis-à-vis de clients, d’actionnaires ou d’électeurs. C’est donc une grande responsabilité morale qui incombe aux philanthropes de se poser les questions suivantes : Quels sont les effets positifs, mais aussi possiblement négatifs, de mes dons ? Ont-ils eu les effets escomptés sur les bénéficiaires et sur la société ? Auraient-ils pu avoir des effets plus positifs encore s’ils avaient été utilisés différemment ?

Très souvent, les conséquences de la philanthropie sont nettement positives. En matière de recherche médicale, la philanthropie a été à l’origine de nombreuses découvertes majeures. L’Institut Pasteur, fondation reconnue d’utilité publique créée en 1887 par une grande souscription populaire et financée depuis grâce à de très nombreux dons, a permis de financer des travaux de recherche ayant abouti à des traitements efficaces contre les maladies infectieuses comme la rage, la tuberculose, la grippe ou l’hépatite B. La fondation a par ailleurs incubé les travaux de 10 prix Nobel de médecine.

Parfois, les conséquences sont plus mitigées. Depuis 2011, le philanthrope Michael Bloomberg a donné plus de 80 millions de dollars au Sierra Club 50 pour déployer l'initiative “Beyond Coal”, qui a précipité la fermeture de 251 centrales de charbon aux Etats-Unis. Le succès de cette campagne est une bonne nouvelle pour les écologistes souhaitant remplacer le charbon par des énergies renouvelables. Par contre, ces fermetures de centrales ont un impact néfaste sur la vie des mineurs et ouvriers qui ont perdu en quelques mois leurs moyens de subsistance.

Plus rarement, la philanthropie peut aussi avoir des conséquences négatives pour toutes les parties impliquées, comme la Fondation Bill & Melinda Gates a pu le constater. Partant du postulat que l’échec scolaire dans les écoles publiques américaines est lié à la trop grande taille des écoles et la performance insuffisante de certains professeurs, la fondation a investi 3 milliards de dollars entre 1999 et 2009 pour financer des écoles pilotes plus petites avec des procédures d’évaluation et de bonus pour les professeurs jugés les plus efficaces. En 2009, ayant procédé à une étude d’impact rigoureuse de ces écoles pilotes, la fondation a dû reconnaître son échec : les résultats scolaires des élèves concernés n’avaient pas progressés, les processus d’évaluation avaient produit des effets secondaires négatifs sur la pédagogie, et les coûts d’administration ont considérablement augmenté.

Choisir avec soin la cause à laquelle s’adresser

Ces quelques exemples illustrent la difficulté de « faire le bien » et de bien le faire. Devant l’étendue presque infinie des possibilités, un premier travail indispensable est de choisir avec soin la cause ou le problème auxquels on veut d’adresser. D’après le professeur Peter Frumkin, ce choix délicat se trouve à l’intersection de deux grandes questions :

  • qu’est-ce qui me tient vraiment à cœur, à quoi ai-je envie de contribuer ?
  • quels sont les besoins particulièrement importants et urgents, pour lesquels une contribution philanthropique pourrait être utile ?

En d’autres termes, la philanthropie est la rencontre entre l’expression de valeurs personnelles et un problème ou du moins un enjeu de société majeur. En effet, il serait contreproductif de choisir une cause pour laquelle les besoins sont négligeables, ou pour laquelle un don ne servirait à rien. Inversement, un engagement en faveur d’une cause pour laquelle on ne se sent pas personnellement investi risque de ne pas durer longtemps…

Effectuer ce choix suppose un double travail de la part du philanthrope. D’abord, un travail d’introspection : qu’est-ce qui me tient à cœur ? Quelles sont les valeurs que je souhaite partager ou transmettre ? Quelle peut être ma valeur ajoutée ? Qu’est ce qui résonne avec mon expérience, mon expertise ? Ensuite, un travail d’analyse tourné vers l’extérieur est également nécessaire : quels sont les besoins importants ou urgents ? Quels sont les territoires sur lesquels ces besoins sont particulièrement présents ? Quelles sont les autres réponses existantes ? Qui sont les autres acteurs pertinents ? En quoi suis-je bien placé pour y répondre ?

Il est parfois très difficile de prioriser entre des besoins « concurrents », notamment en matière de recherche médicale où des vies humaines sont en jeu. Les polémiques n’ont pas manqué ces dernières années : Maladie de Charcot ou cancer ? Myopathies ou Sida ?

Selon le philosophe utilitariste Peter Singer, la philanthropie devrait être la quête du plus grand bien possible pour le plus grand nombre. Se réclamant de ses idées, le mouvement de « l’altruisme efficace » propose des recommandations pour allouer au mieux possible notre temps et notre argent, par nature limités. En particulier : privilégier les causes affectant un très grand nombre de personnes et pour lesquelles des solutions abordables existent pour sauver un maximum de vies humaines. En suivant Singer, il faudrait donner à la Fondation contre la Malaria qui distribue des moustiquaires en Afrique plutôt qu’à la recherche contre une maladie génétique rare, affectant seulement quelques milliers de personnes dans les pays développés… Pas certain que la polémique cesse avec ces recommandations !

Comprendre et évaluer l’impact de ses dons

On parle de plus en plus d’évaluation d’impact dans le secteur non lucratif, mais une grande confusion règne souvent à propos de la notion d’impact et de ce qu’elle recouvre. Tout dépend en effet de ce que l’on souhaite évaluer exactement. Opérateurs et financeurs ont alors un travail de clarification à mener ensemble pour se mettre d’accord. Pour simplifier, on peut distinguer quatre grandes familles d’objectifs d’évaluation de ce qu’on appelle parfois abusivement « impact » :

Évaluer la pertinence permet de questionner les objectifs d’un projet au regard des besoins sociétaux visés, afin d’analyser la capacité du projet à y répondre. Par exemple, pour évaluer la pertinence d’une initiative visant à lutter contre l’échec scolaire dans une ville donnée, on s’assurera qu’il existe un nombre important d’élèves ayant des difficultés scolaires, qu’il n’existe pas de dispositif de soutien suffisant au sein des écoles concernées, et que d’autres acteurs ne répondent pas déjà efficacement au problème.

Évaluer l’efficacité renvoie au besoin de piloter l’atteinte de ses objectifs. Si on reprend l’exemple de notre initiative en faveur de la lutte contre l’échec scolaire, on s’intéressera à évaluer combien d’enfants ont réellement pu progresser dans leurs résultats scolaires grâce au projet financé. 

Évaluer l’efficience amène à comparer les résultats d’un projet avec les ressources financières et humaines qui ont été utilisées pour les produire, afin d’optimiser l’allocation de ces ressources. Ici, on mettra donc en regard les progrès accomplis par les élèves avec les ressources investies dans le projet. Combien d’euros ont été nécessaires pour faire progresser un enfant ? Ce coût est-il légitime ? Est-il soutenable ? Peut-il être baissé sans baisser la qualité des effets ?

Enfin, évaluer l’impact net relève davantage de la recherche d’un lien de causalité matérialisable. Il s’agit de démontrer que le projet financé génère une réelle plus-value pour ses bénéficiaires et pour la société au sens large. L’impact social net d’un projet s’entend donc comme l’ensemble des résultats générés par le projet, dont on aura déduit les effets générés par les interventions d’autres acteurs ou par des facteurs extérieurs.

L’évaluation d’impact est complexe car les changements sociétaux induits par une action philanthropique sont scientifiquement difficiles à évaluer et les relations de causalité multiples et incertaines. Comment, par exemple, mesurer l’estime de soi ? Ou la valeur de la biodiversité dans le cadre d’actions de protection de l’environnement ? Par ailleurs, l’évaluation peut servir des objectifs très distincts et souvent confondus par les acteurs concernés : pour piloter des activités internes, pour démontrer la valeur sociale créée ou pour rendre compte à des parties prenantes.

Identifier précisément l’objectif poursuivi par l’évaluation et les questionnements qui l’accompagnent est un exercice difficile mais essentiel si l’on veut comprendre les conséquences de la philanthropie et être en mesure de les évaluer.

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