Avec Arnaud De Bruyn et Sonja Prokopec
Les associations caritatives qui cherchent à récolter des fonds sont toutes confrontées au problème du montant des sommes à demander. Le succès dépend de deux facteurs : est-ce que les gens feront des dons et, si oui, de quel montant ? De nombreuses associations caritatives utilisent ce que nous appelons une « échelle de dons », dans laquelle les donateurs fixent un montant parmi une gamme de dons possibles –par exemple 20 € - 30 € - 50 € - 100 €.
Nous avons voulu trouver la meilleure manière de mettre en place cette échelle de dons, en nous concentrant sur deux facteurs : le montant minimal de don et la manière dont les montants augmentent. Nous avons également voulu définir l’impact de la personnalisation de l’échelle pour les donateurs individuels, en nous basant sur le montant et la fréquence de leurs dons passés.
Donner ou ne pas donner
Quand les individus sont incités à faire un don à une association caritative, ils réagissent en en consultant un schéma mental de décision. La première étape consiste à décider de donner ou non. Si la réponse est positive, la deuxième étape porte sur le montant du don.
Un facteur important qui détermine le schéma repose sur l’expérience passée du donateur, qui fournit des points dé référence pour évaluer les nouvelles demandes. Si la somme demandée se rapproche du montant que le donateur avait accordé précédemment, celui-ci la percevra comme acceptable. Mais si les deux sommes sont trop éloignées, le donateur rejettera la demande.
Les autres chercheurs ont découvert qu’en général les donateurs s’appuient sur le montant le plus bas de l’échelle de dons pour décider si le montant qu’ils veulent donner est convenable. Si le montant minimal est moindre que ce que le donateur a l’intention de donner ou qu’il a déjà donné, le donateur n’a pas de peine à accepter. Mais si le montant demandé est supérieur à ce qu’il a donné précédemment, le donateur peut être réticent et peut même être rebuté par ce qu’il perçoit comme une pression à son encontre. Par conséquent notre hypothèse est que plus le montant minimal est bas, plus les donateurs seront susceptibles de donner, et vice-versa.
Néanmoins, cet effet devrait être plus marqué quand le montant augmente que quand il diminue. Si le montant minimal est rendu supérieur à celui du dernier don, le donateur peut ne rien vouloir donner plutôt qu’être vu comme pingre ; au contraire, un montant demandé moins important aurait moins d’impact.
Décider du montant
Si un donateur décide de donner, il doit alors décider du montant. À nouveau, l’échelle de don joue un rôle important, car le donateur s’appuie généralement dessus pour inférer le montant des autres dons et ajuster son don en fonction de celui-ci. Si l’échelle augmente brutalement, la moyenne est élevée et par conséquent les dons seront plus élevés.
En revanche, le montant minimal est toujours crucial, car il indique le don minimal socialement acceptable. Il a également un impact sur la moyenne, car si celui-ci est élevé, tous les autres montants sont tirés vers le haut. Par conséquent, notre hypothèse est que le montant minimal de l’échelle a plus d’impact que l’augmentation de l’échelle sur le montant des dons.
Ces changements de l’échelle de don n’influencent pas de la même manière tous les donateurs. Plus un donateur fait de dons, plus son estimation du montant à donner est fort. S’il fait rarement des dons, ils sont plus susceptibles de s’appuyer sur l’échelle de dons pour prendre une décision. Nous postulons que les changements à l’échelle de dons ont une influence sur la fréquence et le montant des dons des donateurs occasionnels.
Vérifier les hypothèses
Pour vérifier nos hypothèses, nous avons travaillé avec une importante association caritative qui envoyait à ce moment une lettre à 50 208 personnes, qui avaient toutes fait au moins un don précédemment. Avec la lettre se trouvait un coupon de réponse présentant une échelle de don que chaque donateur pouvait personnaliser.
Nous avons analysé la liste de diffusion avant qu’elle ne soit envoyée et avons assigné de manière aléatoire à chaque donateur un tableau à 9 colonnes. À l’horizontale se trouvait le montant minimal qui se trouverait sur l’échelle de don destinée au donateur : moindre que le dernier don, égal au dernier don, plus élevé que le dernier don. À la verticale se trouvait le gradient de l’échelle de don : fort (20 % d’augmentation), très fort (50 % d’augmentation) et maximal (80 % d’augmentation).
Cette méthode attribuait à chaque donateur un des neuf types de l’échelle de don. Néanmoins, comme les dernières dons variaient selon chaque donateur, chaque échelle était différente, et ce même dans la même catégorie.
Analyser les résultats
Au total, 9 % des donateurs ont fait un don, ce qui est dans a moyenne. En revanche, le taux variait de 7,9 % à 10,1 % selon les neuf catégories. Comme prévu, nous avons trouvé que l’augmentation du montant minimal faisait baisser le nombre de dons. Le gradient d’augmentation de l’échelle n’influençait pas la décision de donner.
Quant au montant du don, nous avons découvert que la manipulation de l’échelle de don avait un impact très fort. Quand le montant minimal était inférieur à celui du dernier don, le montant donné chutait d’environ 7,3 % ; quand il était plus élevé, le montant du don augmentait de 10,9 %. Les changements du gradient de l’échelle avaient moins d’impact que ce à quoi nous nous étions attendus -2 % en moins quand le gradient était « très fort » et 3 % en plus quand le gradient était « maximal ».
Quant à la fréquence des dons, nous avons réparti les donateurs en deux catégories : « occasionnel » (seulement un don auparavant) et « réguliers » (deux dons ou plus). Le taux de réponse moyen était de 4,6 % pour les donateurs occasionnels et 10,2 % pour les donateurs réguliers.
L’analyse de ces deux groupes a confirmé notre hypothèse selon laquelle les changements sur l’échelle de don influencent plus les donateurs occasionnels. Faire passer le montant minimal d’ « inférieur à la dernière don » à « supérieur à cette don » fait diminuer de 18,6 % la probabilité d’un don de la part des donateurs occasionnels, contre 16 % chez les donateurs réguliers. Le passage du gradient de « forte augmentation » à « augmentation maximale » faisait augmenter le montant des dons de 10,4 chez les donateurs occasionnels, contre 4,7 % chez les donateurs réguliers.
Conseils pour les associations caritatives
Les résultats montrent que la modification de l’échelle de don peut véritablement influencer les donateurs ; le montant minimal de l’échelle est particulièrement important, car il affecte à la fois la décision de donner et le montant du don. Les résultats montrent également que les donateurs occasionnels sont les plus influencés par les échelles de don.
Les chercheurs avaient auparavant essayé plusieurs variantes d’échelle de don sur différents groupes de donateurs et en avaient tiré des conclusions diverses. Notre étude montre que l’échelle de don doit être adaptée à chaque donateur, selon ses dons passés, si l’on veut faire augmenter leur don.
Pour approfondir :
"Opening a donor's wallet: The influence of appeal scales on likelihood and magnitude of donation", paru dans Journal of Consumer Psychology