Le ALS Ice Bucket Challenge est en train de devenir l'un des plus grands phénomènes viraux du net de la dernière décennie; tant et si bien que vous êtes probablement fatigué d'en entendre encore parler. L’omniprésence du concours sur les réseaux sociaux en dit long sur les succès de la campagne lancée cet été aux US en faveur de l’Association SLA.
Le concept est (assez) simple: se faire filmer en train de se vider un seau d'eau glacée sur la tête, poster et partager la vidéo sur internet et nommer vos amis afin qu’ils fassent de même. L’objectif du défi est de d’attirer l’attention du public et de récolter des dons en faveur d’une cause charitable. Certes, une certaine ambiguïté existe pour savoir si vous êtes censé relever le défi au lieu de donner, ou faire les deux. Mais les sommes considérables que l’Association SLA a reçues au cours du mois passé montrent que les dons ont afflué
La réponse globale à cette campagne a été énorme. Après avoir récolté 2,5 millions de dollars de dons l'an dernier, l’association a déjà dépassé la barre des 100 millions de dollars grâce au défi de l’Ice Bucket Challenge – soit quarante fois plus ! Les participants incluent des célébrités, des politiciens, des sportifs et, qui sait, peut-être certains de vos amis.
Cette campagne a été un énorme succès sur le plan financier, mais elle a aussi été vivement critiquée. Il y a en effet au moins trois raisons d’être sceptique.
Le succès du défi a-t-il détourné l’attention au détriment de causes plus légitimes ?
La sclérose latérale amyotrophique (SLA / ALS en anglais) est une maladie neurodégénérative que l’on appelle également maladie de Lou Gehrig aux Etats-Unis ou maladie de Charcot en France. La plupart des patients meurent d’insuffisance respiratoire en moins de cinq ans, et il n’existe aucun remède à ce jour mais seulement des traitements qui en ralentissent l’évolution. La maladie est aussi relativement rare (environ 8 000 cas en France aujourd’hui). Même si le lien entre la SLA et un seau d’eau glacée n'est guère évident, la campagne a réussi à attirer l'attention et les dons du public pour financer la recherche contre cette maladie fatale. Mais n’y a-t-il pas de causes plus graves, plus urgentes ou plus délaissées ?
La SLA est très loin du classement des 20 maladies les plus mortelles dans le monde. Elle est également relativement bien financée par rapport au nombre de patients atteints. Le cancer et les maladies cardiaques sont beaucoup plus susceptibles de nous tuer et pourtant il est difficile de trouver des financements à la hauteur de ces enjeux. Il existe aussi des causes qui nécessitent une aide d’urgence, comme l’épidémie du virus Ebola en Afrique de l’ouest ou la crise humanitaire en Syrie. Si l’on part du principe que les donateurs ont des moyens limités, la popularité de l’Ice Bucket Challenge pourrait attirer des fonds au détriment de causes qui en ont, sans doute, plus besoin. Cela dit, la « cannibalisation » des dons que dénoncent certains observateurs est très difficile à prouver.
L’Association SLA a donc 100 millions de dollars à la banque - et ensuite?
L’Association SLA est la principale organisation à but non lucratif aux Etats-Unis qui lutte contre la maladie de Charcot, mais ses dirigeants n’ont jamais eu autant d’argent à gérer dans leur histoire. Que vont-ils faire avec ces fonds? Quel pourcentage financera les coûts administratifs ? Combien de dollars iront bel et bien à la recherche? Quel en sera l'impact sur la maladie et ses victimes? Comment cet impact sera-t-il mesuré ?
Les réponses à ces questions sont encore floues. Il est en revanche certain que la grande majorité des participants du Ice Bucket Challenge n’ont effectué aucune vérification préalable avant de donner. Si le public donne aveuglément à des causes parce qu'elles sont "à la mode", il s'agit d'un problème majeur en soi. Choisir une association à qui donner nécessite une réflexion approfondie et un minimum de recherches.
Une opération sans lendemain ou bien un renouvellement du public des donateurs ?
La participation de philanthropes milliardaires comme Bill Gates ou Mark Zuckerberg tend à masquer le fait que les participants au challenge donnent souvent pour la première fois de leur vie. Beaucoup sont jeunes et s'impliquent parce que c'est drôle et dans l’air du temps. Certains critiques déplorent le caractère éphémère et superficiel du défi. Loin de devenir des ambassadeurs ou des bénévoles pour la maladie de Charcot, les donateurs de l’Ice Bucket Challenge sont peu susceptibles de s'engager au-delà d'un chèque de40 $ (le don moyen constaté). D'autres campagnes virales comme Movember ont au moins le mérite de répéter l’opération chaque année.
Mais qui sait ? Ce genre de défis peut donner envie à ces « primo-donateurs » de renouveler l’expérience du don et de l’engagement. Le ALS Ice Bucket Challenge a une qualité indéniable : il est « fun », amusant. Pour attirer de nouveaux donateurs, en particulier chez les jeunes, les sentiments d’obligation morale et de culpabilité ne sont pas toujours efficaces, alors pourquoi ne pas essayer quelque chose de divertissant ? Une autre vertu du défi est qu’il repose sur les liens d’amitié et la participation à une aventure collective. D’accord, se jeter de l’eau glacée sur la tête est assez stupide et oui, de nombreux participants soignent leur ego en affichant leur engagement. Mais il est difficile d’ignorer l’incroyable succès collectif de cette campagne, qui va sans doute inciter les associations à être plus créatives et originales dans leur levée de fonds. La puissance des réseaux sociaux nous permet d’envisager un profond renouvellement du public des donateurs et donc de la philanthropie. Une façon de voir le verre, ou plutôt le seau, à moitié plein !