Ces élections seront d’importance critique pour les 814 millions d’électeurs indiens enregistrés ; parmi eux, 150 millions voteront pour la première fois. Avec un million de bureau de vote, les élections vont coûter au trésor public quelques 300 milliards de dollars américains, sans compter les dépenses des centaines de partis politiques pour courtiser l’électorat. Devant la montée de la frénésie électorale mais aussi de la fatigue, après des mois de campagne intensive, il est clair que cela sera l’une des élections les plus coûteuses au monde, juste après la course aux élections américaines de 2012.
Il y a de nombreux enjeux car l’Inde cherche à changer. Même si l’United Progressive Alliance (UPA) a fait de très bons scores ces dix dernières années, le pays recherche à présent un nouveau parti qui puisse enrayer la baisse économique et éliminer la corruption, deux fléaux qui ont frappé le pays ces dernières années. À ce jour, une majorité est pressentie mais il n’y a pas d’indications claires sur la sa composition exacte, c’est-à-dire de combien de sièges, de près ou de loin, la coalition la plus étendue s’approchera du nombre magique de 272 sièges, ce qui lui donnera la majorité absolue.
Pour les dirigeants d’entreprises internationales, qui observent les élections depuis l’étranger, les résultats du 12 mai vont leur permettre de répondre à des questions clés qui soulignent le retentissement des élections indiennes sur le commerce international.
Est-ce que l’économie indienne va pouvoir regagner du terrain ?
L’économie indienne est déjà dans une bien meilleure situation qu’il y a deux ans, quand la panique avait commencé à s’abattre sur les marchés émergents et que l’Inde avait eu l’une des cinq économies les plus fragiles –l’Inde était en effet particulièrement vulnérable face à une ruée sur sa devise et sur ses actions en bourse. À l’époque, le gouvernement indien et la banque centrale ont agi de manière tout à fait adaptée.
Néanmoins, de nombreuses personnes espèrent que, des deux partis politiques majeurs, le Bharatiya Janata Party (BJP, dont le candidat au poste de Premier Ministre est Narendra Modi) et le Indian National Congress (dont le chef de campagne est Rahul Gandhi), le BJP sera, avec ses alliés, capable de relancer l’économie grâce à leurs liens avec le grand patronat. Bien qu’il soit toujours un personnage controversé, Narendra Modi, en particulier, est perçu comme un remède aux malheurs de l’Inde, du fait de sa réputation d’administrateur efficace et favorable aux entreprises.
En effet, l’UPA II a augmenté l’année dernière les taux d’intérêts et a interdit les importations d’or afin de contrôler le déficit extérieur courant ; ces mesures ont permis à l’économie indienne de mieux résister. Aujourd’hui la roupie devient plus forte, les actions en bourse sont en plein développement, et les gens ont commencé à investir -avec précaution, car ils ne sont toujours pas certains du contexte politique et légal. Cette incertitude devrait se dissiper avec la publication des résultats des élections en mai ; c’est pourquoi les entreprises devraient attendre avec impatience ces résultats.
La course électorale est déjà intéressante : si les deux principaux partis précédemment mentionnés ont tendance à représenter l’élite, un nouveau parti politique a fait son apparition pour représenter les couches les plus pauvres, dont certaines sortent tout juste de la misère. Le Aam Aadmi Party (dont le dirigeant est Arvind Kejriwal) est issu du mouvement India Against Corruption ; ce parti, né en 2012, n’a qu’à peine dix-huit mois, mais il affirme soutenir « l’homme du peuple ». Et en effet, ce parti, dans le scrutin de la Lok Sabha (chambre basse du Parlement de l’Inde) a eu plus de candidats au niveau national (426 au toatal) que le BJP (415) ou le Congress (414). Plutôt que de se concentrer sur ses appuis et son territoire de base (la Région de la capitale nationale, ou Delhi NCR) et de se baser sur ses aptitudes au niveau administratif et politique, ce parti a opté pour une approche à court terme afin d’obtenir rapidement un impact dans le pays.
Il sera donc très intéressant de voir combien de sièges le AAP remportera finalement. Néanmoins, on suggère que les trois « reines », à savoir Mamata Banerjee (chef du gouvernement du Bengale Occidental) Mayawati (ancienne chef du gouvernement de l’Uttar Pradesh) et Jayalalithaa (chef du gouvernement du Tamil Nadu) peuvent chacune « introniser » le « roi » si tout se passe comme prévu dans leurs États respectifs. On dit d’elles qu’elles détiennent les trois as de la coalition gouvernementale.
Dans quelle mesure les élections vont-elles changer le paysage géopolitique ?
Le monde international est préoccupé par la politique étrangère de l’Inde. Le fait d’avoir un parlement sans majorité, surtout au cours des dix dernières années, a eu des conséquences géopolitiques sérieuses. En outre, les partis politiques régionaux ont plus que jamais une influence forte sur la politique étrangère, ce qui complique aussi bien la prise de décision à l’intérieur du pays que les relations diplomatiques. Il est largement évident que les partis régionaux influencent la politique étrangère, surtout avec les pays limitrophes tels que le Bangladesh, le Pakistan et le Sri Lanka. L’Inde a soutenu l’Afghanistan. Elle a soutenu discrètement la Russie, son alliée et amie de longue date, quand les pays du G7 ont exclu la Russie après son intervention en Crimée lors de la crise ukrainienne. L’Inde a noué des alliances avec le Japon dans différents domaines tout en intensifiant les relations bilatérales avec la Chine.
Il est clair que la personne, quelle qu’elle soit, qui sera le favori du résultat de ces élections devra repenser la politique étrangère. Et cela devra être fait avec tact, car l’Inde est en passe de devenir le nouveau marché de croissance en Asie après la Chine.
Qu’est-ce que les élections indiennes signifient pour les partenaires économiques traditionnels ?
L’agenda de développement économique de Modi semble attirer l’attention. Mais à propos de la politique étrangère et d’autres questions politiques, il est toujours vu comme mystérieux, car le BJP n’a pas encore publié son manifeste électoral. Mais les accords économiques traditionnels pèsent aussi dans la balance. Par exemple, l’Inde est le plus grand importateur d’armes et est un partenaire commercial important pour la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Russie, Israël et d’autres pays. Récemment, Dassault, groupe français, a été présélectionné pour fournir 126 avions de combat, de type Rafale, omnirôles et de gamme moyenne, pour une somme estimée à 20 milliards de dollars. La poursuite des décisions a été suspendue pour l’année financière 2015. Dans le même temps, la Russie a vendu à l’Inde en 2013 4,78 milliard de dollars d’armes et d’équipements militaires, ce qui représente environ un tiers des exportations totales d’armes. Rosneft, le premier producteur de pétrole au monde en termes de baril, et Oil and Natural Gas Corporation Limited, la compagnie indienne étatique, peuvent joindre leurs forces pour fournir l’Inde en pétrole sur le long terme ; la compagnie russe, contrôlée par l’État russe, a publié une déclaration en mars 2014, juste avant les élections. D’un autre côté, les entreprises telles que Walmart (américaine) ou Carrefour (française) attendent pour comprendre les implications et les questions de mise en œuvre de la politique de diversification des marques dans le pays. On estime que ce secteur rapporte jusqu’à 500 milliards de dollars, ce qui est un gros chiffre. Il s’agit de décisions qui dépendent du résultat des élections.
Qu’est-ce que les élections indiennes signifient pour l’innovation technologique ?
Il existe trois technologie indiennes fondamentales qui rendront de plus en plus complexe la gestion de l’Inde, mais qui dans le même temps créeront des opportunités. Afin de gérer à la fois les défis et les opportunités, les conseillers du nouveau gouvernement doivent créer des politiques à long terme sur les plateformes d’innovation. La première implication porte sur la dissémination de l’information via internet, le modèle de communication et la mobilité. La deuxième implication consiste en l’allongement de l’espérance de vie, grâce à la recherche en biotechnologie, nanotechnologies, la recherche sur les cellules souches ainsi que les découvertes de médicaments qui auront des implications sur l’éducation, la nutrition et la santé. La troisième implication porte sur les énergies renouvelables, à travers sa production et son acheminement. Le monde devra attendre encore un mois pour voir comment ce pays d’1,2 milliards d’habitants va choisir le gouvernement dont les choix politiques vont, d’une manière ou d’une autre, affecter le monde entier.
Qu’est-ce que les résultats vont signifier pour la diaspora indienne ?
La diaspora indienne a contribué de manière majeure à l’économie de pays tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, et y contribue de plus en plus dans la région de l’Asie du sud-est. Depuis les années 1990 le gouvernement indien a cherché à les inciter à revenir au pays et des milliers sont revenus durant le boom des années 2000. Le nombre de retour a diminué lors de l’effondrement de l’économie indienne après le début de la crise financière mondiale, mais un coup d’œil aux fortunes indiennes montre que ce nombre augmente. Modi s’adresse régulièrement dans des discours télévisés aux Indiens vivant aux États-Unis. En tant que chef du gouvernement du Gujarat, il a incité avec succès les Indiens non-résidents à investir dans le Gujarat. Les Gujarati non résidents ont lancé un grand nombre de travaux publics dans l’État dirigé par Modi. D’autres États ont tenté de suivre ce modèle, mais ave moins de succès. Le résultat des élections peut refléter un changement dans la mobilité générale de la diaspora indienne dans différents secteurs et dans différents pays.