Viviane de Beaufort, Professeur à l’ESSEC Business School, Co-Directrice du Centre Européen pour le Droit et l'Economie et Directrice Académique du Programme "Women in Entrepreneurship" partage sa recherche sur les femmes et leur relation au pouvoir.
Hillary Clinton rejoindra-t-elle Angela Merkel, Margaret Thatcher, Christine Lagarde, Indira Ghandi, Erna Solberg, Golda Meir et, plus récemment, Theresa May, au plus haut niveau du pouvoir ? Le monde retient son souffle pour plus d'une raison : tout changement de leadership à la tête de la nation la plus puissante du monde aura évidemment un impact sur le reste de la communauté mondiale – et sera peut-être même une onde de choc en fonction du résultat. En attendant, Hillary Clinton poursuit son chemin la menant au jour du scrutin, peut-être - le plus probable même - en levant la tête de temps en temps pour réfléchir quelques instants sur sa relation au pouvoir et sur le bon travail qu’elle ferait si le vote allait en sa faveur.
Hillary Clinton ressemble à beaucoup d'autres femmes sur son ambition à gravir les échelons. Viviane de Beaufort a mené des recherches approfondies sur la situation des femmes dans les affaires et la politique, y compris deux recherches publiées ces dernières années - Les femmes et leur rapport au pouvoir : toujours un tabou ou un nouveau modèle de gouvernance d'entreprise ? Et Les femmes et la gouvernance d'entreprise : Vers un nouveau modèle. Beaucoup de ses recherches peuvent être directement reliées à la campagne électorale américaine : non seulement l'ambition de Hillary Clinton à détenir le pouvoir (comment fonctionnera-t-elle et sera-t-elle différente d'un homme ?), mais aussi le comportement des électeurs (comment perçoivent-ils le pouvoir et le rôle des femmes et ce qui les fera potentiellement voter pour Hillary ?).
Femmes et pouvoir : une relation complexe
La progression de la parité au sein des directions dans les entreprises soulève une question importante : les femmes ont-elles une relation et une approche différentes des postes de pouvoir que leurs homologues masculins ? Pour répondre à cette question, Viviane De Beaufort s'est rendue directement à la source en interrogeant des femmes, des administrateurs de sociétés, des fonctionnaires, des politiciens et des experts en France et à l'étranger pour leur demander ce qu'ils pensaient de leur rôle et de leurs qualités particulières pour exercer ce type de poste.
Les premiers résultats sont surprenants : les participantes ont rarement parlé de pouvoir. Étonnant en ce sens que le milieu du travail et les conseils de direction sont incontestablement des lieux de pouvoir où les femmes souhaitent manifestement assumer un rôle d'autorité au sein des entreprises. Alors, pourquoi cette omission frappante du mot pouvoir existe-t-elle ? Le mot est-il encore tabou ?
Une partie de la réponse réside dans le fait que l'ambition porte encore des connotations différentes pour les femmes et les hommes. Beaucoup de réponses recueillies indiquent que la bataille pour le pouvoir est encore perçue comme un problème masculin et que les femmes l’affrontent avec difficulté.
Il est frappant de constater que la grande majorité des femmes interrogées déclarent ne pas avoir construit leur carrière en aspirant au pouvoir. Comme l'a dit l’une des personnes interrogée : « Je n'ai jamais poussé pour devenir directrice exécutive ; j'ai seulement cherché l'occasion d'avoir une position qui me permettrait d'influencer et de développer des compétences indépendamment de la position que je pourrais avoir. » Une autre personne interrogée a expliqué que « nous vivons dans un milieu de pouvoir masculin... les femmes ne sont pas considérées naturellement comme de potentiels dirigeants par les chefs d'entreprises masculins car ils sont toujours conduits par des critères basés sur la «virilité» des valeurs et des réflexes pour promouvoir ce qui leur ressemble.»
Marcher comme une femme et parler comme un homme…
Lola – le tube du groupe britannique des années 60 The Kinks – dont est inspiré ce sous-titre – peut avoir un fond de vérité à ce sujet en abordant la question du modèle de genre : parfois, il peut être tout à fait confus. En effet, un problème majeur auquel sont confrontées les femmes aspirant à des positions d'autorité réside-t-il dans le fait qu'elles essaient de s'insérer dans un modèle masculin du pouvoir ? Il y a peut-être un premier effet de négation dans la question : certains refusent d'attribuer des qualités ou des comportements spécifiques aux femmes - même lorsque la littérature RH identifie dans le genre féminin un style de leadership ou des qualités morales intuitives qui sont différentes. Dans ce contexte, il y a un risque que la minorité des femmes occupant des postes de pouvoir essaie de se conformer à la majorité masculine, ignorant le fait que les femmes devraient avoir le droit d'exercer ce pouvoir différemment. En conséquence, affirme Viviane de Beaufort, les femmes devraient faire tout leur possible pour promouvoir leurs valeurs et leurs pratiques managériales uniques.
Il est généralement admis qu'il existe encore de nombreux obstacles aujourd'hui qui rendent plus difficiles pour les femmes d’occuper des postes de pouvoir. Mais certains de ces obstacles sont auto-appliqués. En travaillant en étroite collaboration avec les psychologues afin de mieux comprendre les femmes, leur relation avec le pouvoir et la façon dont il diffère du modèle masculin, Viviane de Beaufort a observé que les résultats ont montré qu'il y a une connotation négative attachée au terme « pouvoir ». Beaucoup de femmes, par exemple, estiment que le pouvoir vient au prix de leur sérénité, en l'associant à des « jeux de pouvoir ». Elles pensent que le pouvoir peut être un facteur « isolant ».
Cela dit, les personnes interviewées ont rapidement identifié des qualités managériales « féminines » par rapport à leurs homologues masculins. Ces qualités ont été identifiées comme une plus grande capacité d'écoute, une capacité d'analyser des sujets plus en profondeur, une perspective neutre et une aptitude à gérer leur égo. Conscient du danger de la généralisation, on a toutefois constaté que les femmes au pouvoir sont plus franches, qu'elles ont un réel souci de faire avancer les choses et qu'elles sont fortement attachées à l'éthique. Enfin, les femmes accordent une grande importance à la perception de leur légitimité.
La généralisation est rendue plus difficile par le fait que de nombreuses approches sont liées au contexte socioculturel. Trois domaines se sont dégagés des études qui ne semblaient pas liées à des zones géographiques, mais plutôt à des traditions de gouvernance répandues : un monde anglo-saxon, des contextes où prédominent les idéaux socialistes, et des pays émergents où l'égalité entre hommes et femmes est une lutte permanente.
Une politique de quotas pour les femmes présidentes ?
« La question des quotas de genre est très complexe et doit être abordée avec prudence » déclare le professeur Viviane de Beaufort. Bien que son expertise se concentre dans une large mesure sur les questions de genre, elle hésite quand on lui pose la question des quotas. D'une part, la réglementation des quotas peut avoir un effet en obligeant les entreprises à se confronter à la question et à encourager les femmes à prendre des rôles d'autorité parce que le chemin a été rendu possible. D'autre part, la réglementation peut parfois aussi être une source de ressentiment. Comme l’explique une personne interrogée, « En imposant des contraintes juridiques, on oblige les entreprises et les organisations à réfléchir sur les questions de genre - même quand ils détestent la question - et à mettre en place des processus pour identifier les talents des femmes ». De plus, les politiques de quotas poussent aussi les dirigeants de sexe masculin à penser en dehors de leur cadre sur les besoins de l’entreprise à chaque niveau de son organisation et en particulier au plus haut niveau. Comme ils sont tenus de trouver des femmes pour remplir les espaces, ils sont forcés de modifier leurs critères de leadership, y compris sur les questions pratiques - le temps passé au bureau, par exemple - et les questions éthiques - le comportement hautain souvent confondu en tant que représentant de la direction.
Le paradigme selon lequel les femmes exercent le pouvoir est d'une importance capitale : un modèle dans lequel le leadership intègre la rationalité et l'intuition et où le manager idéal, de l'un ou l'autre sexe, mêle stéréotypiquement le « sexe masculin » (Charisme, leadership, impartialité, capacité de décision, etc.) et féminin (rationalité, empathie, écoute, organisation, connaissance, etc.). La question est donc : Hillary Clinton est-elle l'exemple parfait de ce modèle de leadership idéal ?
Faisons preuve d’esprit pratique
Dans l'ensemble, les entreprises (et la société en général) ne peuvent plus ignorer la question de la parité entre les hommes et les femmes au sommet de l'échelle hiérarchique. Alors que la motivation personnelle des femmes semble mieux adaptée au modèle plus flexible des entreprises, le développement de nouveaux modèles va aider à surmonter toutes les notions persistantes qui rejettent encore le pouvoir des femmes. Cependant, la promotion des femmes aux postes de pouvoir n'a de sens que si elle permet à ces dernières de montrer des différences en termes de compétences et de comportements. Cela signifie qu’elles doivent faire face au modèle masculin pour construire un modèle de leadership mixte qui intègre le modèle féminin.
Le fait que les femmes souhaitent accéder au pouvoir - et dans le contexte spécifique de cet article, aux conseils de direction – permet de partager une vision exigeante, voire idéalisée, de la façon dont les entreprises influentes doivent fonctionner. Cela signifie qu'elles participent à la construction d'une Gouvernance à la fois exigeante et peut-être plus adaptée pour affronter les défis que doit relever un conseil - ou un gouvernement, si l'image est étendue à la perspective plus large de Hillary Clinton et du leadership américain - dans notre monde. Les femmes, à cet égard, sont des facteurs potentiels de changement positif.
Liens utiles :
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