Comment les meilleures équipes résolvent les problèmes

Comment les meilleures équipes résolvent les problèmes

Imaginez un quatuor à cordes jouant un morceau de musique. Les musiciens partagent tous un but commun, et chacun connaît le morceau qu’il doit jouer. Mais pour rendre parfaite leur musique, ils doivent être à l’écoute de ce que font leurs collègues et y répondre correctement. Ils doivent aussi bien écouter que jouer, si bien qu’ils puissent s’impliquer dans leur tâche aussi bien collectivement qu’individuellement.

Nous pouvons observer une dynamique semblable dans les groupes de travail tels que les équipes

de développement de produits. Pour résoudre les problèmes et atteindre leur but, ils doivent être en contact les uns avec les autres et focaliser ensemble leur attention sur le projet à développer.

La plupart des études déjà réalisées se sont concentrées sur ce dont l’équipe, vue comme un tout, a besoin pour réussir : des objectifs clairement définis, des compétences adaptées, une méthode pour résoudre les conflits et un soutien approprié. La manière dont les membres d’un équipe résolvent les problèmes et progressent dans les faits –même si c’est ce qui marque la différence entre une équipe efficace et une équipe non productive- a fait l’objet de nettement moins d’études.

Pour en apprendre plus sur la manière dont les équipes résolvent les problèmes, nous avons étudié deux projets de développement de logiciel, dans deux entreprises parmi les Fortune 500, nommées Shield et Gateway. L’équipe de Shield travaillait sur une solution pour repérer et protéger les droits de propriété en ligne, tandis que les développeurs de Gateway créaient un produit qui afficherait des contenus riches et des documents sur les appareils mobiles.

Nous avons utilisé la méthode ethnographique de l’observation participante et des interviews pendant plusieurs mois ; la taille des deux équipes, composées respectivement de 13 et 19 personnes, a permis d’observer en détail tous les développeurs ainsi que de comprendre en profondeur leurs processus de travail. Nous avons fréquenté chaque équipe pendant plusieurs semaines et observé comment les personnes considéraient leur travail, en discutant avec eux et parfois en les interrogeant de manière plus structurée. Ensuite, nous avons analysé nos notes pour identifier les principales manières dont les personnes développaient et soutenaient l’engagement de groupe.

Les deux projets avaient de nombreux points communs. L’engagement de groupe était important dans les deux cas : tandis que les employés devaient être très absorbés dans leurs propres tâches, l’interdépendance avec leurs collègues était essentielle, du fait de la nature interactive du développement de logiciel. Le nombre de membres de l’équipe, leur âge et leurs qualifications étaient également semblables. 

Néanmoins, il existait des différences importantes. Les deux équipes faisaient appel à des sous-traitants, mais tandis que ceux de Shield se trouvaient au loin, en Inde à Bangalore, ceux de Gateway travaillaient dans les mêmes locaux. Un autre contraste résidait dans le nombre d’interaction entre les développeurs : chez Shield, nous avons souvent vu de petits groupes de développeurs travailler ensemble, ce qui était plus rare chez Gateway. De plus, les développeurs de Shield passaient beaucoup de temps à interagir par ordinateur, tandis que Gateway préférait les réunions plus formelles. Enfin, les développeurs de Shield avaient un grand sens du devoir en ce qui concernait leur projet, tandis que les membres de l’équipe de Gateway se sentaient moins concernés par les objectifs.

L’une des conclusions principales concernant notre étude comparative est que, à l’examen du travail réalisé en équipe, l’unité d’analyse pertinente n’est pas l’équipe dans son ensemble, mais les interactions ayant lieu dans des groupes, plus petits et temporaires, de deux, trois ou quatre personnes qui se formaient rapidement pour résoudre efficacement les problèmes liés à la tâche en cours. Par conséquent, notre travail consistait à identifier les « microprocessus » qui menaient l’engagement du groupe, et en particulier la manière dont les personnes développaient et maintenaient une concentration collective.

En regardant la manière dont les deux équipes travaillaient, nous avons trouvé trois facteurs qui aidaient à développer une forte concentration collective et permettaient aux gens de résoudre plus efficacement les problèmes. Tout d’abord, quand des petits groupes se concentrent sur un problème, ils vont dans une « bulle de travail». Les membres de l’équipe qui ne sont pas concernés –les « étrangers »- comprennent qu’ils travaillent intensément sur un problème particulier et les laissent tranquilles. En revanche, les personnes décident d’elles-mêmes si elles sont « parties prenantes » ou « étrangères ». Si, après avoir observé quelque temps la discussion, elles ont une contribution à apporter, elles entrent dans le cercle et donnent leur proposition. La bulle de travail est semi-perméable : si les étrangers non concernés se tiennent à l’extérieur, les étrangers aux propos pertinents y entrent pleinement.

Chez Shield, nous avons vu que les bulles de travail permettaient de développer et de maintenir un centre mutuel d’attention et que les gens décidaient à bon escient s’ils étaient partie prenante ou étranger. Chez Gateway, la présence des sous-traitants créait des tensions internes, la distinction entre les étrangers et les parties prenantes étant beaucoup plus rigide.

Le second facteur réside dans l’utilisation d’artefacts liés aux tâches, tels que des tableaux blancs, des ordinateurs, des documents etc. Ces objets aident les gens à comprendre la tâche et à se concentrer dessus. Certains chercheurs disent que les gens ont besoin d’être proches physiquement pour que les artefacts fassent leur effet, mais nous avons découvert que les gens pouvaient toujours collaborer efficacement en se focalisant sur les artefacts tels que les fichiers informatiques tout en travaillant à distance et en communiquant par téléphone ou messagerie instantanée.

Les développeurs de Shield utilisaient les artefacts liés aux tâches de manière intensive, par exemple en mettant le doigt sur les écrans d’ordinateur pour souligner certaines lignes de code, ou en dessinant ensemble sur le même tableau blanc. Des artefacts semblables étaient utilisés chez Gateway, mais les gens s’en servaient beaucoup moins. Au cours des réunions formelles, ils utilisaient des artefacts tels que des présentations PowerPoint, mais celles-ci n’étaient pas assez interactives pour que les personnes développent leur concentration collective.

Le dernier facteur que nous avons identifié est le partage de l’émotion, à la fois le résultat du centre mutuel d’attention et ce qui contribue à le renforcer. Quand des personnes résolvent ensemble un problème, elles partagent un moment de fierté, de satisfaction ou d’allégresse, et éprouvent une décharge d’énergie qui les aide à continuer à travailler. Le partage d’une émotion positive crée également des liens qui permettent aux gens de travailler plus facilement ensemble par la suite.

Pourquoi retrouvait-on les facteurs qui aident à développer l’attention mutuelle plus chez Shield que chez Gateway ? Nous avons trouvé trois conditions qui favorisaient l’engagement de groupe. Le premier est l’engagement individuel. Il se produit quand les personnes éprouvent un véritable amour envers la réalisation de leur travail, et y consacrent des efforts intenses qui souvent débordent sur le temps libre. Nous avons rencontré de nombreux individus très engagés tant chez Shield que chez Gateway ; néanmoins, l’engagement individuel en lui-même n’est pas suffisant pour créer un engagement de groupe ; d’autres éléments entrent en compte.

La seconde condition est le niveau d’interaction, lequel a deux dimensions : la fréquence et le côté informel. La fréquence signifie que plus les gens interagissent, plus le niveau d’attention mutuelle est élevé. Cela n’est pas surprenant : les gens ne peuvent pas s’engager ensemble s’il n’y a pas d’interactions. Nous nous sommes rendu compte que les interactions étaient plus fréquentes chez Shield que chez Gateway.

Quand les interactions sont plus informelles, les gens se sentent plus à l’aise pour échanger leurs idées, exprimer leur enthousiasme ou leurs doutes et entrer dans une bulle de travail, si bien que des échanges non surveillés, libres et créatifs peuvent avoir lieu. À l’inverse, les réunions formelles visent plus à donner de l’information qu’à susciter le dialogue. Les interactions chez Shield étaient bien plus informelles que chez Gateway. Également, nous avons découvert, de manière intéressante, que les développeurs de Shield se comportaient de manière plus interactive et plus informelle quand ils étaient sous pression, tandis que ceux de Gateway répondaient à la pression en se concentrant sur leur travail individuel et en ayant des interactions encore plus formelles.

La dernière condition est le sens du devoir, qui pousse et motive les gens à travailler dur sur des tâches de groupe. Chez Shield, un fort sens du devoir donnait aux développeurs une véritable énergie et passion envers leur travail, tandis que chez Gateway, les développeurs semblaient légèrement perplexes quant à leur travail et à sa justification.

Le devenir des deux projets n’est pas difficile à deviner : Shield réussit et devint une entreprise à succès, tandis que le produit de Gateway ne vit jamais le jour et ses développeurs eurent d’autres projets à traiter.

Notre étude contribue à la compréhension des groupes en identifiant les microprocessus qui conduisent à la résolution de problèmes et à de belles performances. Les organisations font de plus en plus appel au travail en équipe, et nos conclusions peuvent aider les managers à identifier les conditions et les méthodes pour aider leurs équipes à résoudre plus efficacement leurs problèmes.

Pour appronfondir :

"The Role of Writing in Distributed Collaboration" , publié dans Organization Science
 "
Beyond Being There: The Symbolic Role of Communication and Identification in Perceptions of Proximity to Geographically Dispersed Colleagues", publié dans Management of Information Systems Quarterly
"Task bubbles, artifacts, shared emotion, and mutual focus of attention: A comparative study of the micro-processes of group engagement" , publié dans Organization Science 

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