Ces derniers temps le numérique est présent à tous les esprits. Lorsqu’ils entendent parler de numérique, la plupart des gens pense au marketing ou à l’informatique, mais peu sont réellement conscients que la révolution digitale change aussi fondamentalement d’autres domaines comme le management et le design des chaînes d’approvisionnement (Supply Chains).
L’objectif de la gestion de la Supply Chain est de permettre au client d’avoir à sa disposition les produits et les services dont il a besoin au bon moment, dans la bonne quantité et au bon prix. C’est cette façon de rapprocher le client et les produits et services qui est profondément affectée par l’arrivée des nouvelles technologies.
On distingue trois secteurs pour lesquels les nouvelles technologies jouent un rôle disruptif : la livraison des entreprises aux particuliers (« B2C »), la distribution omni-canal et enfin l’industrie manufacturière, par ce qu’on qualifie souvent d’ « Industrie 4.0 ».
Les modèles de distribution B2C
Amazon a très largement attiré l’attention du public lorsque l’entreprise a dévoilé Prime Air, son nouveau service de livraison utilisant des drones pour livrer directement au consommateur. D’autres acteurs travaillent actuellement sur des technologies similaires. DHL dispose d’un service de livraison par drone pour pouvoir atteindre l’Île de Juist en Allemagne. La startup QuiQui quant à elle travaille sur un service de livraison encore une fois par drone destiné à acheminer directement aux patients leurs médicaments.
De nombreuses innovations viendront par ailleurs de la livraison collaborative (« crowd delivery »), qui permet la livraison de colis aux particuliers par des particuliers. Walmart a surement été une des premières enseignes à proposer ce service, en permettant à ses clients de collecter des points cadeaux en livrant chez leurs voisins désireux leurs colis commandés en ligne. D’autres acteurs comme RideShip ou Myways encouragent la livraison collaborative, en permettant à tous de faire des livraisons et en restant indépendant de toute enseigne de distribution.
Une des critiques qui pourraient être faites au modèle est qu’il ne pourra jamais atteindre le même niveau de qualité que des livreurs professionnels comme La Poste ou UPS. Mais les modèles d’économie collaborative ont déjà pu faire leurs preuves dans d’autres secteurs, comme Airbnb dans l’hôtellerie ou UberPop dans le transport urbain de particuliers. Les modèles hybrides peuvent par ailleurs faire office de compromis. La Startup française DelEasy livre les commandes du magasin aux clients sous le modèle de la livraison collaborative, mais fait appel à des livreurs semi-professionnels, combinant donc à la fois les avantages de l’économie du partage et ceux d’un personnel compétent digne d’une grande entreprise de livraison.
Distribution omni-canal
Alors que les distributeurs ont mis en place de nombreux concepts de distribution multi-canal ces dix dernières années, ces canaux n’ont pas toujours fait l’objet d’une réelle intégration. Chez de nombreux distributeurs, le canal du e-commerce est complètement séparé des canaux de distribution physiques classiques, et chaque canal a sa propre chaine d’acheminement.
S’agissant de la distribution omni-canal, tous les canaux grâce auxquels le distributeur interagit avec le consommateur sont intégrés, qu’ils aient comme support internet, un smartphone ou un comptoir de magasin. Par exemple, l’entreprise française de distribution d’articles de sports Decathlon permet à ses clients d’acheter en ligne des produits qui sont disponibles dans un magasin précis. Le client peut aller chercher la commande dans le magasin, ou peut choisir de se la faire livrer directement chez lui. Les produits achetés en ligne peuvent être retournés dans n’importe quel magasin et inversement.
L’intégration omni-canal entraine une nouvelle façon de penser pour le manager en supply shain qui est habitué à faire son inventaire entrepôt par entrepôt avec des systèmes d’informations séparés. Grâce à la distribution omni-canal, le réseau des différents magasins se transforme en un seul et même réseau virtuel intégré, et les flux logistiques traditionnels d’un entrepôt à l’autre sont dédoublés par une multitude de micro flux allant du magasin au consommateur, et du consommateur à l’entrepôt.
En outre, la distribution omni-canal ainsi que la relation plus fine qu’elle entraine avec le consommateur permet de poser les bases pour l’émergence de solutions innovantes pour mieux concilier la demande avec l’offre. Le distributeur alimentaire Chronodrive offre à ses clients Izy, un petit périphérique qui s’attache au réfrigérateur et qui enregistre les produits que le client a l’intention d’acheter. Le périphérique reconnait les commandes vocales et ajoute les produits demandés à la liste de courses du client. Cela ne permet pas seulement à Chronodrive de diriger ses clients vers des produits plus onéreux (par exemple, si le client a envie d’une bière, c’est le système qui lui propose une marque en particulier), cela lui permet de traiter les informations relatives à la demande précoce et d’anticiper et prédire les futurs achats du client, et donc de gérer en amont les stocks de produits dans les différents magasins.
L’industrie 4.0
L’industrie 4.0 concerne la fabrication et la logistique et regroupe un grand nombre de technologies innovantes dont on attend qu’elles propulsent l’industrie manufacturière traditionnelle à l’âge du numérique. Parmi ces technologies, on retrouve l’impression 3D, les objets connectés (IoT), l’analyse des Big Data industrielles, la réalité augmentée ou encore la robotique. Le Gouvernement allemand estime que le potentiel économique de l’industrie 4.0, pour l’Allemagne seulement, s’élève à environ 20 à 30 milliards d’euros par an. L’entreprise de services logistiques Bechtle Logistik utilise les lunettes de réalité augmentée de l’entreprise Vuzix pour guider les opérateurs à travers ses entrepôts, en indiquant visuellement où se trouve le prochain objet à déplacer, et permet de le scanner directement. Rockwell Automation offre un service de maintenance prédictive pour l’industrie pétrolière et gazière : des capteurs intelligents et connectés transmettent le statut opérationnel de chaque pièce d’une plateforme pétrolière et un centre de contrôle utilise ces données pour prédire et prévenir des accidents techniques, sauvant donc des millions d’euros en évitant des ruptures. L’entreprise de transport maritime Maersk a pour projet d’équiper sa flotte de tankers en imprimante 3D afin de pouvoir remplacer les pièces défaillantes directement sur le bateau, au lieu d’avoir à immobiliser le tanker dans un port et accumuler des retards très couteux.
Les applications potentielles des technologies décrites ci-dessus sont nombreuses. Mais la question majeure est de comprendre si ces technologies changent la façon dont les chaines d’approvisionnement sont élaborées et gérées. Il s’agirait donc de savoir si ces technologies sont réellement disruptives, ou si elles font seulement office de simples moyens pour améliorer davantage l’efficacité opérationnelle.
Je pense que les nouvelles technologies ont le potentiel d’incarner un réel changement dans la façon dont la valeur est créée dans les chaines d’approvisionnement. Si on prend l’exemple de l’impression 3D, cette technologie s’est d’ores et déjà implantée dans quelques marchés de niche, comme la production de prothèses médicales, de pièces détachées d’avion ou de coques de smartphone personnalisées. Sur ces segments, l’avantage de l’impression réside dans sa force intrinsèque, à savoir pouvoir produire précisément des objets uniques, avec des coûts de configuration et de paramétrage proches de zéro. Mais pour être réellement disruptive, l’impression 3D doit sortir du confort des secteurs de niche et se faire une place sur le marché de masse.
La startup américaine Local Motors a annoncé qu’elle projetait de fabriquer des voitures pour particuliers dans des micro-usines au sein des centres commerciaux d’ici 2020 – devant le client et selon ses besoins spécifiques. Le client rentre chez lui avec une voiture entièrement fonctionnelle. Si ce genre d’utilisation prend de plus en plus d’ampleur, la disruption au sein même de la gestion des chaines d’approvisionnement sera considérable. Dans une telle chaine d’approvisionnement, il n’y aurait plus aucun inventaire de biens manufacturés à entreposer et à transporter. Les régions mondiales traditionnellement dédiées à l’industrie manufacturière comme la Chine ou l’Europe de l’Est perdront éventuellement leur avantage comparatif si la production change de statut dans la chaine de valeur; une imprimante 3D standardisée à disposition du client près de son logement pourrait imprimer n’importe quel objet. Où est créée la valeur dans une telle configuration de la chaine d’approvisionnement ? Surement au niveau du design en amont, plutôt qu’au niveau de la production.
Pour l’instant, nous ne pouvons que spéculer sur ce qu’il adviendra. Mais une chose est certaine : une décennie très existante se dessine pour la Supply Chain.