Le Festival de Cannes est largement considéré comme la plus prestigieuse et la plus grande exposition internationale pour les arts cinématographiques. Cependant, à mesure que les nouvelles technologies, les produits et les canaux de consommation lancent l'industrie du film dans une période de transformation, le festival du film de Cannes continuera-t-il à être aussi important qu'il l'était? Nous avons demandé à Serge Hayat, fondateur de la chaire Media & Entertainment de l’ESSEC.
ESSEC Knowledge: Quelles sont les principales préoccupations de l'industrie cinématographique aujourd'hui?
Avant tout, le piratage est un réel serpent de mer. Personne n’a encore pris le taureau par les cornes en France, et c’est un fléau bien endigué dans des pays voisins comme l’Allemagne bien qu’il existe dans l’OMC un encadrement des droits de l’Etat mais qui n’a pas la même efficacité.
Les plateformes de diffusions sont également en train de changer les règles du jeu. La croissance des séries est due au fait qu’il y a une explosion des canaux de diffusion qui réclame de la création originale pour fidéliser les abonnés et les annonceurs. Ainsi beaucoup de ces canaux, tels que les plateformes et les chaînes de télévision payantes aux Etats-Unis, produisent des contenus originaux exclusifs ce qui va leur permettre de construire leurs marques et de capter une nouvelle clientèle, ce que le cinéma aujourd’hui a du mal à faire.
EK: Dans ce contexte, Cannes est-il aussi important qu'il l'était?
Les festivals de films sont désormais plus qu’indispensables ! L’industrie compte sur les festivales tel que Cannes pour la bonne marche économique des films car le vrai potentiel de croissance et de recettes d’un film, pour les films étrangers, mais également pour les films français, compte tenu des baisses d’audience à la télévision et des achats via la télévision, se fait à l’international. A partir du moment où le marché international prend une place aussi importante, faute d’avoir sinon des problèmes de rentabilité économique, les festivals sont amenés à en avoir une toute aussi importante. Les initiatives du CNC (Centre national du cinéma) vont d’ailleurs dans ce sens en favorisant et soutenant l’exportation des films français à l'étranger.
En effet, les marchés internationaux sont soutenus par les festivals, et le festival de Cannes demeure le plus grand festival de cinéma au monde, et donc le plus grand marché du monde. Il est essentiel au potentiel économique des films qui sont produits chaque année.
Dans leurs choix, les investisseurs privés prennent en considération une potentielle sélection dans un des grands festivals internationaux, que ce soit en compétition officielle ou parallèle car cela expose le film à davantage d’acheteurs. Ainsi la cote du film monte et ce dernier se vendra mieux et dans plus de territoires.
La présence dans ces festivals est donc essentielle et cela ne vaut pas seulement pour les films d’auteurs mais pour toutes les catégories de films.
EK: Si les plates-formes ont un impact énorme sur les industries du film et de la télévision, quel rôle jouent-elles à Cannes?
Les plateformes, Netflix, Amazon, font également leur marché à Cannes. Par exemple, le film d’auteur Divines, qui a obtenu la caméra d’or l’an dernier, s’est vendu à 1,2 millions d’euros à Netflix. Il n’aurait pas été possible d’imaginer que Netflix eut acheté ce film s’il n’avait pas été exposé au festival de Cannes, de surcroît il ne se serait jamais vendu pour une pareille somme (les films d’auteurs se vendent davantage aux alentours de quelques dizaines ou quelques centaines de milliers d’euros à l’international). Le rôle des festivals est donc en croissance.
Un des sujets suscitant le débat dans l’industrie en France est la disparition croissante des financements par la télévision. En effet, il existe un attrait reporté sur les séries télévisées qui en fait pâtir le cinéma. Les plateformes, elles, ne se présentent pas en substitut car elles ne pré-achètent en général pas les films, elles ne les financent pas en amont, alors qu’elles en sont pourtant consommatrices.
Il est intéressant également de voir comment ces plateformes se marient avec la chronologie des médias et les fenêtres de diffusion qui existent aujourd’hui en France. Car en France les fenêtres s’ouvrent et se ferment (exploitation en salle, vidéo, télé payante et gratuite) et ces dernières représentent des rémunérations car ces supports pré-achètent leurs films. Les plateformes ne le font pas et elles se contentent d’avoir un rôle de catalogue sur lesquels on peut retrouver les films 36 mois après leurs sorties lorsqu’ils deviennent moins attractifs. Amazon est la principale plateforme finançant ses films et qui commence à avoir une attitude de producteur délégué. Netflix le fait également à la marge et le festival de Cannes vient de créer la polémique en sélectionnant deux films financés par Netflix et qui ne sortiront probablement pas en salles en France.
Cela s’explique par des problèmes d’exclusivité. De façon générale, un film de cinéma est d’abord exploité en salle avant de l’être sur d’autres canaux. Or, au moment où il arrive sur une plateforme, le film a déjà été diffusé sur d’autres canaux. Les plateformes, dont Netflix, veulent que les films, si elles les financent, sortent en même temps dans les salles que sur la plateforme en question, ce qui ne laisse pas les salles impassibles, jalouses d’être privées de leurs prérogatives à ce sujet. La série dans ce sens ne pose pas de problème, car disponible immédiatement sur les diffuseurs qui l’ont achetée.
Il y a donc clairement une réflexion à avoir sur ce financement, qui a été relativement privilégié en France où il existe un arsenal de législations qui a été mis au point depuis des années mais qui n’est plus adapté à la présence de ces plateformes : est-il possible de réformer tout ça sans jeter bébé avec l’eau du bain ?