Pourquoi un PDG décide-t-il de s’engager en faveur de la durabilité ?

Pourquoi un PDG décide-t-il de s’engager en faveur de la durabilité ?

Imaginez un voyage. Un voyage qui, à bien des égards, fait écho aux péripéties d’un héros - un modèle de récit identifié par le chercheur américain Joseph Campbell et qui apparaît souvent dans les drames, la narration et le développement psychologique. Cette fois, l'histoire concerne un PDG, et plus particulièrement Jochen Zeitz, l'ancien PDG de Puma et le créateur de la Fondation Zeitz qu’il a créé avec Sir Richard Branson de The B Team. Cette fondation, pour la sécurité et la co-fondation de l'écosphère interculturelle, est une initiative à but non-lucratif qui tente d’établir une meilleur cohabitation entre la planète et ses habitants. L’histoire de Jochen Zeitz peut être transposée et partagée avec d’autres PDG dans le monde entier - notamment au regard de leur durabilité et de leur développement, au sein de l'entreprise ou de l'organisation. Une histoire qui passe du défi, aux opportunités, et enfin à la nécessité.

Stefan Gröschl, avec ses collègues Patricia Gabaldón et Tobias Hahn, ont étudié l’engagement de Jochen Zeitz et ont publié leurs résultats dans le Journal of Business Ethics. À partir de recherches antérieures sur le développement cognitif dans le domaine de la gestion, ils ont cherché à comprendre comment le changement d’état d'esprit d'un leader peut avoir des influences sur ses points de vue et ses actions sur la durée. Prenant Jochen Zeitz comme cas d'étude, ils expliquent que les modèles cognitifs complexes de ce dernier lorsqu’il était PDG de Puma ont été associés au développement d'une compréhension et d'une réponse à la durabilité allant au-delà des simples préoccupations commerciales. En juxtaposant des événements et des expériences clés de sa biographie avec l'évolution de ses points de vue et de ses initiatives sur la durabilité, Stefan Gröschl et ses collègues ont identifié comment sa complexité cognitive et sa position sur la durabilité ont évolué.

La complexité cognitive représente un certain nombre d'attributs distinctifs sous-jacents à la pensée d'une personne et à la façon dont ils sont entrelacés : cela donne aux spectateurs une image du monde et fournit un cadre de jugement et de prise de décision qui conduit à l'action. D'où viennent ces attributs ? D’abord dans notre culture, c'est-à-dire les valeurs et l'identité qui nous sont transmises, par exemple, notre famille, notre nationalité, notre religion, notre statut social et notre profession. Mais à mesure que nous vivons et grandissons, nos expériences personnelles et professionnelles, s’ajoutent à ce cadre, s’agglutinent et continuent à façonner nos perceptions, nos décisions et nos actions. Dans le domaine du management, les recherches passées ont montré que les managers prennent des décisions stratégiques fondées sur des interprétations préconçues de leur contexte organisationnel à travers leurs cadres cognitifs : il s’agit là d’un processus de réduction de la complexité et de structuration de signaux ambigus appelés «sensemaking».

Dans le cas du PDG Jochen Zeitz, Stefan Gröschl et ses collègues ont identifié six cadres cognitifs différents qui ont émergé au fil du temps : les entreprises, la diversité culturelle, le continent africain,  la violation des normes,  la conscience environnementale, la spiritualité et la philosophie. En résumé, les expériences et les situations vécues et rencontrées par Jochen Zeitz lorsqu’il était PDG de Puma ont contribué à une prise de conscience croissante de la durabilité et de la façon dont elle pourrait affecter favorablement les affaires : en augmentant les profits, mais aussi en contribuant à la société et à l'environnement.

Le périple vers la durabilité

Lorsque Jochen Zeitz est arrivé chez Puma, l'entreprise était mal en point et, au cours de ses premières années au sein de l’entreprise, son approche en tant que PDG était principalement axée sur les techniques commerciales et les techniques de management traditionnelles, avec pour objectif de réduire les coûts et de transformer l'entreprise. Au moment où l'économie allemande subissait une forte hausse du chômage, Jochen Zeitz a décidé de réduire les effectifs de 50% en Allemagne, délocalisant la plupart des installations de production vers des pays avec une main-d’œuvre à bas coût comme  en Asie. Malgré les critiques selon lesquelles Puma perdait son identité « fabriquée en Allemagne», Jochen Zeitz a poursuivi ses efforts et  continué de se concentrer sur la restructuration, l'investissement et le développement de la croissance.

Cependant, durant ce processus de transformation de Puma qui a fait passer l’entreprise  d'une organisation déficitaire de plus de 100 millions d'euros à une entreprise profitable faisant près de 3 milliards d'euros de bénéfice, Jochen Zeitz a constaté que son succès financier nuisait à l'environnement. En voyageant en Asie dans les années 1990, les mauvaises conditions de travail des employés chez ses fournisseurs et les dommages environnementaux causés par ces derniers l’ont profondément choqué. En réaction, il a mis en place un code de conduite au sein de Puma visant à améliorer les conditions de travail et l’impact environnemental des fournisseurs de la marque. Dans un contexte de conscience environnementale croissante en Allemagne et en dehors de l'Europe, Puma a intensifié ses activités liées à la durabilité. Au milieu des années 2000, la société a ainsi mis fin à des partenariats avec 35 fournisseurs pour non-respect des normes environnementales fixées par l’entreprise. Parallèlement, Puma a également élargi ses audits pour couvrir tous les licenciés de la société et a soutenu ou a rejoint plusieurs groupes de travail liés à la durabilité et des initiatives d'ONG.

Mais le lien fort entre la vie professionnelle et personnelle de Jochen Zeitz a également donné une impulsion supplémentaire à sa sensibilité environnementale. En 1989, Il a visité le continent africain, et a acheté une ferme au Kenya. Au cours des quinze années qui ont suivi, Jochen Zeitz s'est engagé à développer des initiatives durables, comme la création de la Fondation de la sécurité de l'écosphère interculturelle au Kenya avec pour objectif de mettre en place des projets durables qui réuniraient les «4C»: la conservation de la faune, la communauté, la culture et le commerce en Afrique. Un autre exemple a été la mise en place d'une entreprise de tourisme durable, Long Run. Son expérience en Afrique l'a “confronté”, pour le paraphraser, aux impacts négatifs de l'entreprise d'un point de vue écologique, ce qui lui a permis de se rendre compte qu'il était temps de changer sa façon de gérer sa firme.

En somme, la sensibilité environnementale de Jochen Zeitz et son impact sur les affaires de l’entreprise a évolué lorsqu'il a rapproché son expérience de gestion de sa ferme au Kenya et ses rencontres et discussions avec Anselm Grün, un moine allemand et conférencier sur la spiritualité. En conséquence, Jochen Zeitz a commencé à combiner les aspects commerciaux avec les arguments de durabilité dans sa pensée stratégique. Comme tous les éléments de ses expériences se sont réunis, il s’est décidé à considérer l'environnement tout autant que les affaires et la croissance économique. Un exemple parfait pour illustrer cela ? L'introduction du Compte de profit et de perte environnemental (EPL) de Puma, largement reconnu comme le premier EPL complet à être appliqué par une entreprise.

PDG et durabilité : atteindre et saisir

En termes d'implications pratiques, l’étude menée par le professeur Gröschl et ses collègues souligne le rôle de la complexité cognitive dans la transition vers des pratiques commerciales plus durables. En particulier, leurs résultats appuient la nécessité d'encourager les dirigeants à développer leurs structures cognitives à travers des expériences de vie et à considérer des aspects de la durabilité qui surpassent les considérations commerciales usuelles. De la même façon que les PDG développent et favorisent une mentalité globale pour la gestion des sociétés internationales, l'adoption d'initiatives de durabilité proactives pourrait bien amener les PDG à développer des « mentalités durables » - cela est tout aussi important pour les entreprises confrontées à des problèmes environnementaux et sociaux sensibles.

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