À l’origine, les conventions conclues avec des parties liées étaient interdites, en raison des conflits d’intérêts susceptibles d’intervenir entre la société et le cocontractant. Aujourd’hui, lorsque ce dernier est un mandataire social de ladite société ces conventions sont soumises à une procédure de contrôle.[1]
La mise en place d’un double régime
Les conventions libres portent sur les opérations liées à l’activité de la société, conclues à des conditions similaires à celles pratiquées avec les tiers[2]. Elles ne posent pas de problèmes spécifiques a priori donc le dirigeant peut les signer et les mettre en œuvre sans contrôle particulier. Il s’agit des conventions conclues entre :
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Une société et un de ses dirigeants (directeur général, directeur général délégué, administrateur) ou un actionnaire disposant de plus de 10% des droits de vote, ou s’il s’agit d’une société actionnaire, une société la contrôlant ;
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La société et une entreprise, si le directeur général, l’un des directeurs généraux délégués ou l’un des administrateurs de la société est propriétaire, associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, membre du conseil de surveillance ou dirigeant de cette entreprise.
Ces conventions peuvent, certes, présenter un intérêt pour la société grâce notamment à des prix plus avantageux, mais risquent aussi l’octroi d’avantages injustifiés au profit de la société et au détriment du cocontractant ou vice-versa. Elles sont qualifiées de réglementées car soumises à un contrôle.
Quel contrôle des conventions réglementées ?
La procédure de contrôle se décompose en deux étapes[3] : une autorisation préalable de la convention par le conseil d’administration ; puis une approbation de la convention par l’assemblée générale sur rapport spécial du commissaire aux comptes. Pour garantir l’impartialité et l’indépendance du vote, l’intéressé n’y prendra pas part, enfin normalement ! Une nouveauté a été introduite par l’ordonnance du 31 juillet 2014[4] : les conventions conclues avec une filiale détenue à 100% sont désormais des conventions libres. Cette nouvelle disposition se fonde sur le postulat qu’il n’existe pas de conflits d’intérêts potentiel puisque la société mère profitera à terme de l’avantage consenti. Toutefois, est-ce toujours le cas ? Lorsqu’une société mère détient plusieurs filiales et a un dirigeant commun à ces filiales, ce dernier pourrait faire profiter une filiale dans laquelle il a des intérêts directs. Bref, les choses sont toujours plus complexes que sur le papier.
Un réveil des actionnaires sur les conventions réglementées
Il est à noter que si les conventions réglementées ont pendant longtemps été un non-sujet, elles commencent progressivement à être discutées en assemblée générale.
Les conventions réglementées semblent devenir un sujet sensible des assemblées générales, aux côtés des rémunérations avec le « Say on Pay »[5]. Ainsi, cette année, LVMH a été visée par des actionnaires activistes. Proxinvest ayant recommandé de voter contre une résolution globale relative aux conventions réglementées, l’approbation est intervenue à 74% contre 87% en 2016. Pourquoi un tel désaveu ? Était en jeu une convention conclue entre LVMH et le Groupe Arnault SEDCS. Au cours de l’année 2016, 5 520 000 euros hors taxes ont été versés au groupe Arnault SEDCS par LVMH, au total 53 millions d’euros depuis 2008. Or, cette convention reste obscure dans son objet. Il y a peu de détails sur les prestations réalisées par le groupe Arnault SEDCS, société détenue par la famille et les avantages mutuels qu’en tirent les deux parties, si ce n’est une mise en commun et une mutualisation de certaines dépenses. Mais surtout, la question d’un conflit d’intérêts s’est posée, car la société Arnault SEDCS détient 63% des droits de vote de la société LVMH et est directement intéressée à la convention, or elle a participé au vote relatif à cette convention !
La limite du contrôle des actionnaires
Les actionnaires semblent donc plus vigilants. Néanmoins, ils se heurtent à un problème de taille : il leur est difficile d’avoir connaissance de l’ensemble des conventions conclues avec des parties liées puisque le rapport du commissaire aux comptes ne les informe que des conventions réglementées et qu’ils ne votent que sur celles-ci.
Seuls les dirigeants de la société peuvent juger du caractère courant ou non d’une convention en vertu de l’article L. 225-40 du Code de commerce ; en fonction de la qualification attribuée, une convention figurera ou pas dans le rapport du commissaire aux comptes.
Le commissaire aux comptes apparaît alors comme le rempart de ces potentiels conflits d’intérêts. Il a l’obligation d’indiquer dans son rapport les conventions qui n’ont pas été soumises à l’approbation des actionnaires alors qu’elles auraient dû l’être. Son pouvoir reste cependant limité : le défaut de mention de l’une de ces conventions n’est fautif que si le commissaire aux comptes a été avisé de la conclusion de la convention litigieuse, ce qui doit être fait par l’intéressé, donc le dirigeant… On tourne en rond assez aisément, si celui-ci n’est pas de bonne foi, à tout le moins fait erreur.
Il n’existe donc aucun moyen de s’assurer que les conventions conclues qui devaient être contrôlées ont bien été portées à la connaissance du conseil d’administration et de l’assemblée générale. D’autant que la décision d’autorisation du conseil d’administration ne fait l’objet d’aucune publication : l’actionnaire n’en aura connaissance que lors de la prochaine assemblée générale, soit entre six à dix-huit mois après la conclusion de la convention. Pour éviter la prescription de l’action en nullité de la convention, l’actionnaire devra alors prouver qu’il n’avait pas connaissance de la convention litigieuse et qu’il existait une volonté de la dissimuler. Il devra également prouver les conséquences dommageables de cette convention pour la société et exercer cette action sans avoir eu connaissance du contenu et du texte même de la convention. La démarche n’est donc pas évidente.
Il s’avère que l’article 9 quater de la directive 2017/828 du 17 mai 2017[6] dite directive « Shareholders », à transcrire d’ici 2019, va entraîner une modification de la législation française. En effet, selon cet article, chaque État européen devra définir et déterminer la notion de «transaction importante» en tenant compte de l’influence que les informations relatives à la transaction peuvent avoir sur les décisions économiques des actionnaires de la société et des risques que la transaction crée pour la société et ses actionnaires. Les sociétés devront également faire preuve de transparence, puisque la directive exige que la société annonce publiquement les transactions importantes avec des parties liées au plus tard au moment de la conclusion de la transaction. Cette annonce doit contenir des informations sur la nature de la relation avec la partie liée, le nom de la partie liée, la date et la valeur de la transaction et toute autre information nécessaire pour évaluer si la transaction est juste et raisonnable.
Pour éviter que les dirigeants continuent de qualifier des conventions de courantes alors qu’elles présentent toutes les caractéristiques de conventions réglementées, le projet de loi PACTE, loi qui devrait être adoptée à la fin de l’année, prévoit d’établir une liste précise et détaillée des conventions qui devront obligatoirement être soumises à la procédure des conventions réglementées. Il est regrettable que certaines déviances amènent ainsi le législateur à intervenir puisque le jeu de la confiance et la soft law semble ne pas suffire, du moins chez certains, dont les comportements plus que limites amènent, comme toujours, une intervention de nature légale et rigidifient ce qui devrait relever de la gouvernance.
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[1] Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés, prise en application de l’article 3 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, entrée en vigueur le 3 août 2014.
[2] Article L. 225-39 du Code de commerce.
[3] Articles L. 225-38 et L. 225-40 du Code de commerce.
[4] Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés, prise en application de l’article 3 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises.
[5] Article 161 de la loi n° 2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie devenu articles L. 225-37-2 et L. 225-82-2 du Code de commerce.
[6] Directive (UE) 2017/828 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires.