Le Maroc célèbre cette semaine le vingtième anniversaire de la création de l’OMC dans la ville ocre. Fidèles à leur réputation, les autorités marocaines ont sorti le grand jeu et réuni plusieurs dizaines de ministres, parlementaires, chefs d’entreprises, journalistes et intellectuels africains. Pendant deux jours, les conférenciers ont fait le bilan de vingt années de libéralisation des échanges, en présence du directeur général de l’OMC et de ses équipes.
Sur un sujet aussi complexe et multidimensionnel que le commerce mondial, des intervenants ont vu le verre à moitié plein là ou d’autres ont souligné la moitié vide. J’appartiens clairement au premier groupe et adhère à la théorie économique standard qui établit une relation positive entre commerce et croissance.
Ceci étant dit, il faut rappeler que le lien entre commerce et croissance n’est pas automatique et ne joue pas de la même manière pour les parties impliquées. Aussi, il convient de réfléchir aux conditions susceptibles de faire profiter les peuples africains de la libéralisation, par ailleurs bienvenue, des échanges mondiaux.
A moins d’investir dans le développement des capacités productives endogènes, la libéralisation des échanges risque de ressembler à un marché de dupes entre les africains et eux-mêmes
Commençons par partager quelques chiffres clés pour situer les enjeux pour le continent africain. Vingt ans après la création de l’OMC, force est de constater que la part de l’Afrique dans les échanges mondiaux n’a pas beaucoup augmenté et se situe autour de 3% alors que les africains représentent 16% de la population mondiale. Plus préoccupant encore, la part de l’Afrique dans le PIB mondial est proche de 3%. Le statu quo n’est clairement pas satisfaisant.
La faible participation de l’Afrique à la création de richesse et aux échanges mondiaux est encore plus préoccupante quand on pense que, en 2050, le continent comptera 2,4 milliards d’habitants qui représenteront le tiers de l’humanité. Si on ajoute que la majorité des africains vivront dans des villes, on voit bien quels défis il faudra relever pour assurer un minimum de bien être à cette population.
Loin de vouloir faire peur, je prends appui sur ces chiffres pour rappeler une évidence. Un pays, ou un continent, ne peut profiter des bienfaits du libre-échange que s’il travaille en parallèle sur système productif. A moins d’investir dans le développement de ses capacités productives endogènes, la participation du continent africain à la libéralisation des échanges risque de ressembler à un marché de dupes entre les africains et…eux-mêmes car ils ne peuvent pas reprocher aux autres puissances économiques de faire ce qu’il faut pour profiter de la libre circulation des marchandises, des capitaux et des services. Un continent qui ne consacre que 0,3% de son PIB à la recherche-développement, soit sept fois moins que la moyenne des pays industrialisés, ne peut pas raisonnablement espérer profiter pleinement de la libéralisation des échanges.
Comment augmenter la contribution du continent africain à la production de richesse et aux échanges mondiaux ?
Les trois leviers classiques sont l’investissement étranger, l’investissement public et l’investissement privé endogène. Avec des fortunes diverses, les gouvernements africains ont attiré des investisseurs étrangers et injecté de l’argent public dans la création d’infrastructures. A titre d’exemple, le Maroc a plutôt bien manié ces deux leviers même si l’effet d’entraînement durable des grands travaux d’infrastructures sur la croissance économique n’est pas encore évident.
Le troisième levier, l’investissement privé endogène est le moins opérant en Afrique. Les raisons de ce déficit sont nombreuses et assez bien connues : capital humain insuffisant, rigidités du marché du travail, climat des affaires défavorable, épargne privée insuffisante, difficulté d’accès au financement, etc. Il n’est pas nécessaire de redire ici ce que tout le monde sait.
Entrepreneurs : un chainon manquant de l’économie africaine
Pour ma part, je crois que l’Afrique manque très sévèrement d’entrepreneurs innovants et ambitieux. Les 2,4 milliards d’habitants du continent, en 2050, auront besoin de services de base que sont l’alimentation, l’éducation, le logement, la santé, la propreté, l’eau et l’énergie. Or, nous savons déjà que ces services ne pourront jamais être fournis en quantité et en qualité par l’Etat. Les africains ne pourront pas non plus compter sur les ONG internationales pour leur bien-être. Parce que le salut ne pourra venir ni de l’Etat, ni de la charité, il ne reste plus que le marché. Autrement dit, la stabilité du continent dépendra de sa capacité à générer des cohortes d’entrepreneurs capables de concilier la poursuite, nécessaire et légitime, du profit et la contribution au bien commun par la création d’entreprises capables de répondre aux besoins grandissants de leurs concitoyens.
Faute de développer l’entrepreneuriat endogène, le continent africain se condamnerait à devenir un simple giga marché où les habitants qui le pourront consommeront des produits et services importés et où la majorité des citoyens vivra dans le besoin et la précarité, avec les conséquences qu’on peut redouter sur la stabilité et l’ordre social.
Dans ce tableau lucide, sans être alarmiste, il y a quelques bonnes nouvelles. Les économies africaines ont beaucoup changé sur les vingt dernières années. Elles ont enregistré des taux de croissance élevés et soutenus. Les responsables politiques semblent avoir, enfin, pris la mesure des enjeux de développement durable inclusif. Surtout, les jeunes africains, désormais branchés sur le monde, sont en train de réaliser qu’ils ne peuvent pas tout attendre de l’état providence et qu’ils doivent prendre leur vie en main. Les gouvernants du continent ont le devoir de transformer les énergies de leurs jeunes compatriotes en initiatives entrepreneuriales. Ainsi et seulement ainsi, l’Afrique aurait une chance de booster significativement sa part dans la création de richesse et de profiter de la libéralisation des échanges.