Le dérèglement climatique ne nuit pas seulement à notre planète, mais aussi à notre santé. Comment les chercheurs, notamment en économie de la santé, étudient-ils ce sujet ? Dans cet article, Karine Lamiraud, professeure ESSEC et titulaire de la Chaire ESSEC Innovation et Santé, fait une synthèse des travaux de recherche dans ce domaine.
Une grande partie des recherches en économie de la santé s’intéresse aux conséquences de la hausse des températures et de l’augmentation du nombre d’épisodes caniculaires. Les effets de la pollution de l’air et de l’exposition aux produits chimiques toxiques sont également largement étudiés. En revanche, beaucoup moins d’études mesurent l’impact des inondations, des tempêtes, des cyclones.
Ces travaux regardent l’impact du changement climatique sur la mortalité, la santé physique, la santé mentale, le bien-être, la consommation de soins et les dépenses de santé. Sur le plan méthodologique, ces études ne se limitent pas à étudier les corrélations entre événements climatiques et état de santé, mais s’appuient sur des cadres expérimentaux ou quasi-expérimentaux qui permettent d’établir des liens de causalité entre changement climatique et santé. Ces recherches évaluent également les impacts des politiques mises en œuvre pour atténuer les effets du changement climatique sur la santé des populations.
Ces sujets majeurs concernent aussi bien les pays développés que les pays en développement. Ainsi, les recherches s'appuient sur des données provenant à la fois de pays développés et de pays en développement, même si de nombreuses études se concentrent pour l'instant sur les pays développés qui disposent de données longitudinales sur longue période, en particulier les États-Unis.
Quel bilan peut-on dresser aujourd’hui de l’impact du changement climatique sur la santé en France et à l’étranger ?
Dans cet article, nous analysons l’impact de l’augmentation des températures. Tout d’abord, les travaux réalisés montrent que la chaleur affecte la santé physique des populations, avec une augmentation de la morbidité (le nombre de malades dans une population) et de la mortalité.
La plupart des études mettent en évidence une relation en U inversé entre températures et état de santé (Lehmann et al., 2022). Lorsque les températures augmentent, l’état de santé s’améliore dans un premier temps. Cependant, lorsque les températures dépassent environ 30 degrés, l’état de santé commence à se détériorer. Ainsi, des températures élevées entraînent une augmentation des hospitalisations et des consultations.
Lors des journées de grande chaleur, l’augmentation de la consommation de soins est particulièrement importante pour les patients souffrant de maladies chroniques. En Indonésie, une étude a montré que les consultations médicales augmentent de 25% pour les patients souffrant de diabète et de 14% pour les patients atteints de maladies cardio-vasculaires, contre une hausse de 8 % pour la population générale (Fritz, 2022).
Cette détérioration de la santé physique peut aller jusqu’au décès. Il est largement établi que les températures élevées sont associées à une augmentation significative de la mortalité. En France, un rapport de Santé Publique France de 2023 indique que 33 000 décès sont attribuables à la chaleur entre le 1er juin et le 15 septembre de chaque année. Les effets sur la mortalité sont plus importants dans les régions non habituées à la chaleur (Barreca, 2015) et dans les pays à faible revenu.
La chaleur et la santé mentale
Des travaux récents suggèrent que la chaleur affecte aussi de manière significative la santé mentale. Les chercheurs ont constaté que des températures supérieures à 30 °C sont associées à une augmentation des troubles dépressifs (Hua et al, 2023) et même à un risque accru de suicide (Burke et al., 2018). Plusieurs publications montrent une forte augmentation des visites aux urgences psychiatriques les jours de chaleur extrême (Nori-Sarma et al., 2022).
Une littérature émergente s’intéresse à l’impact de températures élevées sur le bien être subjectif. Karine Lamiraud, Frederik Booysen (University of Witwatersrand, Johannesburg) et Ibrah Seninde (University of Witwatersrand, Johannesburg) mènent actuellement une étude sur des données d'Afrique du Sud. Les résultats montrent que les températures élevées sont associées à une baisse du bien-être et de la qualité de vie. Ce domaine de recherche reste encore peu exploré.
Les recherches sur l’impact des températures élevées sur les capacités cognitives sont plus nombreuses. Une diminution de l’attention et de la concentration, une perte de mémoire à court terme ont été observées (Graff Zivin et al., 2020). Un article récent utilisant des données indonésiennes, montre que la chaleur accroît temporairement les comportements irrationnels et l'impatience (Escobar Carias et al., 2024). Sur les lieux de travail, la productivité et les performances déclinent, même lorsque le travail s’effectue en intérieur (Park et al., 2020; Park, 2022).
Les travaux ont mis en évidence plusieurs mécanismes possibles.
Un premier mécanisme est physiologique, les températures élevées provoquent un stress dû à la chaleur et mettent à rude épreuve les systèmes de thermorégulation des personnes. Cela affecte la santé physique et de manière indirecte la santé mentale.
De nombreuses études mettent en lumière un second mécanisme : la dégradation de la qualité du sommeil lors des vagues de chaleur (Mullins et White, 2019). C'est cette perturbation du sommeil qui agirait comme un médiateur clé dans l'effet des températures élevées sur la santé, et en particulier sur la santé mentale.
Un troisième mécanisme concerne la modification des comportements préventifs lors des périodes de forte chaleur. Une étude sur des données chinoises (Zhang et al, 2023) révèle que les vagues de chaleur entraînent une augmentation de la consommation d’alcool et une alimentation moins équilibrée, contribuant ainsi à la dégradation des indicateurs de santé mentale.
Comment peut-on réagir ?
Les travaux évaluent également les stratégies d’adaptation et d’évitement qui visent à diminuer l’impact des températures sur les états de santé.
Les recherches menées dans les pays occidentaux montrent que l’effet des températures extrêmes sur la mortalité s’est atténué au cours des dernières décennies.
La mise en place de la climatisation a été un facteur déterminant dans cette évolution. Aux Etats Unis, Barreca et co-coauteurs (2016) estiment que l’adoption de la climatisation résidentielle explique presque entièrement la réduction de la corrélation entre températures extrêmes et mortalité, en diminuant la relation entre températures réelles et températures ressenties. En revanche, pour les autres dimensions de la santé, notamment la santé mentale et le bien-être en particulier, les études ne montrent en général pas d’amélioration significative suite à la l’installation de la climatisation (Hailemariam et al. 2023, Mullins et White, 2019, (Hua et al., 2023).
Une seconde voie pour diminuer la relation entre températures extrêmes et état de santé est l’offre de soins. Aux Etats Unis, une étude montre que la relation entre la chaleur et la mortalité a diminué de 14,2% avec le déploiement des centres de santé communautaires, qui permettent un meilleur accès aux soins pour les personnes défavorisées (Mullins & White, 2020). Il devient urgent que des initiatives communautaires ou privées soient déployées à grande échelle pour offrir un soutien psychologique lors des épisodes de forte chaleur (Ningsih et al., 2024).
Une troisième stratégie repose sur l'amélioration de la précision des prévisions météorologiques. Une étude démontre qu'une augmentation de 50 % de la précision des prévisions pourrait sauver 2200 vies par an aux États-Unis (Shrader et al., 2023). En effet, les individus adaptent significativement leurs comportements en réponse aux prévisions. Lorsqu'une journée est annoncée avec une température moyenne supérieure à 30 °C, ils réduisent leur activité physique et réorientent leur emploi du temps vers des tâches pouvant être exécutées dans un cadre domestique.
Enfin, il a été montré que la diffusion de messages de prévention, comme des conseils nutritionnels, incite les individus à modifier leurs préférences alimentaires, en réduisant la consommation d'alcool au profit de la consommation de fruits et de légumes lors des journées de forte chaleur (Zhang et al, 2023).
Les prochaines étapes
- Nous devons mieux comprendre les conséquences à long terme du changement climatique sur la santé. La plupart des études actuelles se concentrent sur les fluctuations de température à court terme, mais ne permettent pas d’inférer les effets d’une exposition prolongée à des températures élevées. La vitesse à laquelle les populations s'adaptent à des températures plus élevées est un élément clef, sur lequel nous ne connaissons pas grand-chose.
- Les travaux futurs devront également approfondir notre compréhension des mécanismes expliquant l’impact des températures élevées sur la santé.
- Il faut promouvoir des recherches pluridisciplinaires, en favorisant notamment la collaboration entre experts médicaux, économistes de la santé et climatologues. Les experts médicaux sont bien placés pour identifier les aspects de la santé affectés par le changement climatique. L’utilisation des données climatiques nécessitent l’expertise d’un climatologue, tandis que le cadre méthodologique utilisé par les économistes permet une évaluation rigoureuse et précise des impacts.
- L’accès aux données est un autre enjeu majeur. Aux Etats-Unis, depuis longtemps, de nombreux économistes de la santé utilisent les données de Medicare, l’assurance publique pour les plus de 65 ans. Il s’agit de données longitudinales qui fournissent des informations détaillées sur tous les remboursements de soins pour des millions d'Américains. En France, depuis la loi de 2016, les chercheurs peuvent demander l’accès aux données d’assurance maladie. Cependant, le processus est long et peu d’études utilisent ces données, qui constituent pourtant une source précieuse pour étudier les effets du changement climatique sur la consommation de soins. Il faut utiliser ces données à l'avenir, notamment en les combinant avec des informations climatiques. Une telle approche serait très informative concernant l’impact du changement climatique en France. C’est en utilisant cette approche que nous travaillons actuellement à l’ESSEC.
Références
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