Avec Stefan Linder
Être socialement responsable est un objectif de plus en plus important pour les entreprises et les individus, pour des raisons vertueuses (protéger l’environnement, améliorer la société) et moins vertueuses (améliorer son image publique). Quelle que soit la motivation sous-jacente, nous pouvons convenir que davantage d’initiatives de responsabilité sociale sont positives et devraient être encouragées. Stefan Linder, de l’ESSEC Business School, et ses collègues Vincent Bouchet et Nicolas Mottis, de l’École polytechnique, ont étudié l’utilisation d’incitations pour encourager les cadres à être plus responsables socialement. Ils ont constaté qu’ils n’étaient pas particulièrement motivés par des incitations, mais plutôt par leur propre motivation interne, et que ces incitations ne prenaient pas le pas sur la motivation intrinsèque.
L’homme contre la machine
La responsabilité sociale des entreprises est une expression à la mode ces dernières années, les entreprises consacrant davantage d’efforts aux initiatives de RSE afin de satisfaire leurs clients, de se conformer aux réglementations et d’améliorer leur image. Une grande partie de la recherche s’est concentrée sur les facteurs organisationnels, comme les motivations des entreprises pour la RSE et l’effet des initiatives de RSE. Mais il est important d’examiner également les facteurs individuels, car les individus constituent le cœur et l’âme de l’organisation. Les organisations commencent à inclure des objectifs de responsabilité sociale dans les régimes de rémunération, ce qui en fait une question intéressante tant pour les organisations que pour les gestionnaires. En outre, la recherche sur les facteurs organisationnels s’est concentrée sur les évaluations et les réactions à la RSE, et moins sur les moteurs de la RSE et le comportement socialement responsable des managers et des employés, une lacune que Stefan Linder, avec Vincent Bouchet et Nicolas Mottis de l’École Polytechnique, ont cherché à combler.
Si certains sont simplement motivés par l’altruisme, il existe des preuves significatives que des facteurs externes peuvent stimuler les comportements socialement responsables. Des recherches ont montré que les individus font des dons plus importants si ces dons sont déductibles des impôts, et que le fait d’acquérir une certaine influence sociale est une motivation majeure pour un comportement prosocial. Il est donc intéressant d’examiner si les managers sont plus susceptibles d’être motivés par leurs propres motivations internes, indépendamment des incitations qu’ils reçoivent, ou si les incitations stimulent de manière importante les comportements socialement responsables. Si l’on va encore plus loin, le fait d’offrir des incitations peut-il en fait saper la motivation intrinsèque d’une personne ? Il existe un argument théorique selon lequel les incitations « changent » la motivation autonome en motivation extrinsèque et donc remplacent une source de motivation par une autre, plutôt que d’augmenter le niveau de motivation. L’existence d’un tel effet des incitations sur le type de motivation attire de plus en plus l’attention des chercheurs et des professionnels des ressources humaines. Cet effet remettrait en question l’efficacité des incitations pour favoriser les comportements souhaités. Puisque les entreprises veulent encourager leurs cadres et leurs employés à s’engager dans la RSE, il est essentiel de bien comprendre comment favoriser un engagement fort et durable.
Pourquoi le comportement socialement responsable est-il si important ?
Et qu’est-ce que le comportement socialement responsable ? En un mot, il s’agit d’actions entreprises au profit de la société ou pour réduire les dommages causés à la société. Il s’agit d’un type de comportement prosocial, bien qu’il se produise strictement dans le cadre d’une entreprise et qu’il soit entrepris au nom de la société, et non au nom de l’individu. Par exemple, un comportement socialement responsable serait quelque chose comme la promotion d’une cantine zero-waste au bureau, et non quelque chose comme le bénévolat pendant son temps libre.
Il reste une question : le fait de lier les primes des managers à des mesures de performance liées aux comportements socialement responsables a-t-il un impact sur leur motivation autonome ou leur engagement à adopter un tel comportement ?
Comportement socialement responsable à la française
Les chercheurs ont fait participer des cadres d’entreprises françaises à deux études. La plupart des recherches étant menées en Amérique du Nord, cela offre une perspective internationale. Le fait de faire appel à des cadres d’entreprise nous permet également de nous faire une idée de la manière dont ces actions se déroulent dans ce type d’environnement.
Ils ont mené deux études expérimentales. La première comprenait 58 directeurs de banque. Il y avait trois types de comportements socialement responsables au cas où le type de comportement socialement responsable lui-même aurait un impact sur leurs actions : formation à la conduite écologique pour les employés, embauche d’un remplacement de congé parental pour alléger la charge de travail des autres employés, et embauche d’un employé à temps partiel pour aider les clients ayant des besoins spéciaux ou les personnes âgées. Trois systèmes de rémunération différents étaient en jeu : un système de salaire fixe, un salaire assorti d’une prime de performance de comportement socialement responsable de 15 % et un salaire assorti d’une prime de performance de 30 %. Dans les deux derniers cas, la prime était accordée sur la base de leurs performances en matière de RSE et comportement socialement responsable. En examinant la tendance des participants à s’engager dans les comportements socialement responsables sous différents systèmes de récompense, ils ont constaté que les récompenses financières n’étaient pas efficaces, mais que la motivation autonome était bien un moteur des comportements socialement responsables.
Pour approfondir la question, ils ont mené une deuxième étude, en utilisant un autre type de scénario et en mesurant la motivation d’une manière différente. Comme dans la première expérience, les participants étaient des cadres du secteur bancaire (42 au total). Cependant, deux des scénarios ont été modifiés : la formation à la conduite écologique est restée, mais les autres ont été remplacés par : la possibilité d’une nouvelle embauche dans une région à fort taux de chômage, et la décision d’entreprendre des rénovations dans l’agence qui réduisent l’empreinte carbone. Les résultats de la deuxième étude reflètent étroitement ceux de la première : les incitations financières ne semblent pas être le moteur des comportements socialement responsables, alors que la motivation autonome l’est. Dans les deux études, Stefan Linder et ses collègues ont constaté que les incitations financières étaient inefficaces pour favoriser les comportements socialement responsables, mais qu’elles ne nuisaient pas à la motivation autonome pour des comportements socialement responsables CSR.
Comment les entreprises peuvent-elles utiliser ces informations ?
Les entreprises qui cherchent à stimuler les actions socialement responsables de leurs managers doivent savoir que les incitations ne sont pas le moyen le plus efficace d’y parvenir. Si elle n’interfère pas avec la motivation existante d’une personne, elle ne stimule pas non plus son comportement. Les organisations qui cherchent à encourager un comportement socialement responsable pourraient vouloir prendre du recul et concentrer leurs efforts plutôt sur le recrutement et la fidélisation des employés ayant une forte motivation autonome. Dans un contexte de recrutement, cela pourrait se faire en incluant des enquêtes dans le processus d’entretien ou en les intégrant dans un processus de candidature en ligne. Pour retenir les cadres socialement responsables, les entreprises pourraient soutenir les initiatives qu'elles entreprennent, favoriser une culture où la proactivité est encouragée et montrer qu’elles valorisent le comportement prosocial.
Une grande partie de la littérature sur le sujet étant basée en Amérique du Nord, cette étude offre un regard sur la façon dont cela se passe dans un contexte européen, ce qui ajoute une nouvelle perspective. Avec l’attention croissante portée à la RSE et à la manière dont les organisations peuvent avoir un impact positif sur la société, il est essentiel de comprendre comment les organisations peuvent encourager un comportement socialement responsable sur leur lieu de travail. Cette recherche nous apprend que la sélection des employés qui sont motivés de manière autonome pour adopter un tel comportement, ainsi que l’encouragement et la fidélisation de ces employés, est une stratégie plus efficace que l’utilisation d’incitations financières lorsqu’il s’agit d’accroître le comportement socialement responsable.
Pour en lire plus
L'article est disponible dans le livre suivant :
Bouchet, V., Linder, S., & Mottis, N. (2022). Incentives, autonomous motivation, and bank managers' socially responsible behavior. In: Biggiero, L., de Jongh, D., Priddat, B., Wieland, J., Zicari, A., Fischer, D. (Eds.). The Relational View of Economics: A New Research Agenda for the Study of Relational Transactions. Switzerland: Springer International Publishing.