Ashton Kutcher a exprimé dans plusieurs interviews son admiration pour Steve Jobs, qui s’est efforcé de devenir, comme Thomas Edison ou Henry Ford, l’archétype de l’entrepreneur visionnaire. Mais si le film Jobs pèche par son manque de créativité, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un hommage provocateur à Steve Jobs et à l’entrepreneur qu’il a incarné.
Le film se penche en effet sur une période à laquelle peu s’intéressent : ses premiers essais et déboires, entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, qui ont fondé son succès futur en tant qu’entrepreneur. Pour ceux d’entre nous, comme d’autres chercheurs en moi-même, qui s’intéressent à l’histoire des affaires commerciales et de l’innovation, le film donne un nouveau souffle au débat sur ce qui conduit un entrepreneur au succès.
Qui est le premier, l’opportunité ou l’entrepreneur ?
Ce qui est intéressant, c’est que la film Jobs ne traite pas seulement du succès, mais aussi des échecs. Dans une scène importante, Steve Jobs cherche envers et contre tout à commercialiser le premier ordinateur personnel avec une interface graphique. Il a eu une vision, il a cru voir une opportunité à exploiter, mais le Lisa s’avère un échec cuisant.
Quand il s’agit de l’entreprenariat, les universitaires se posent souvent la question de l’œuf ou de la poule. En d’autres termes, est-ce que c’est l’entrepreneur qui identifie l’opportunité et l’exploite ? Ou est-ce qu’il crée l’opportunité en réunissant un faisceau de facteurs ? Ce film donne de forts arguments en faveur d’une vision plus nuancée, selon laquelle de nombreux facteurs entrent en ligne de compte pour créer l’environnement idéal pour qu’une innovation se développe.
Portait de l’entrepreneur en jeune homme
Le personnage de Steve Jobs joué par Ashton Kutcher traverse quelques crises de démence. Le film semble en effet soutenir l’hypothèse que les entrepreneurs, comme les savants fous, sont depuis le début sortis des sentiers battus. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec cette hypothèse. Néanmoins, le film apporte un point de vue intéressant sur un autre grand débat, celui de savoir si l’entreprenariat est plutôt causal (à savoir « je fixe un objectif et je construis un plan pour y arriver ») ou porte plutôt sur les effets (à savoir « j’agis sur le monde, je compose avec ce qui m’entoure et de nouveaux projets émergent ») : le succès entrepreneurial de Steve Jobs est plus une question d’essais et d’erreurs que de planification.
Je ne conseillerai certainement pas à tout entrepreneur rempli d’expectatives de se comporter comme le Steve Jobs du film. Néanmoins, le scénario présente un bon exemple de réalisation en train de s’accomplir. Steve Jobs bricole, pirate et modifie ce qui existe déjà dans son univers pour trouver quelque chose qui fonctionne. Après l’échec du Lisa, il est forcé de rejoindre le groupe Macintosh, dans lequel il peut injecter certaines de ses précédentes tentatives de bricolage, ce qui le conduit à réutiliser le processeur prévu pour le Lisa.
Les réalisations comportent une grande part d’imprévu. Ce bidouillage et ce jeu avec les idées donne des idées surprenantes. Quand Steve Jobs présente l’Apple II, personne ne l’avait vu venir ou n’avait prévu qu’il aurait besoin d’un petit micro-ordinateur bon marché et néanmoins entier, avec une coque et un clavier. Il voit immédiatement quand son « client » est déçu par le côté brut. À cet égard, Steve Jobs était un vrai révolutionnaire.
Un entrepreneur n’est seulement égalé que par son entourage
Steve Jobs a réussi à bâtir un empire à partir de presque rien et ce film montre bien à quel point l’entourage est important : il ne s’agit pas uniquement de gros sous. Steve Jobs crée une bonne relation avec les programmeurs. Il réseaute avec les universitaires de Stanford. Il réfléchit hors des sentiers battus, se faisant à la fois designer et ingénieur. Surtout, il est proche de la communauté très soudée de la Silicon Valley, notamment quand il appelle avec insistance l’entrepreneur capitaliste Don Valentine et quand Mike Markkula, son futur investisseur, « fait un saut » pour vérifier où il en est.
Voilà tous les conseils que je donne aux futurs entrepreneurs : prenez conscience des éléments de votre environnement sur lesquels vous pouvez agir (en France, nous excellons dans de nombreux domaines !), développez des relations profondes, par exemple avec des ingénieurs, des designers, des cuisiniers, et n’espérez pas pouvoir les « acheter » quand vous développez votre idée. Réseautez, partagez des idées et restez en contact avec tous ceux qui peuvent être « impliqués » dans votre start-up, et pas seulement avec ceux qui peuvent vous financer. Les nouveaux moyens de communication ont pu réduire le monde d’une certaine manière, mais la proximité physique est toujours un grand avantage.
De nombreux experts en stratégie affirment que les ressources sont l’ingrédient majeur. Mes propres recherches m’ont amené à avoir un regard plus nuancé sur ce sujet et à montrer que les ces start-up avec peu de capitaux peuvent réellement donner des résultats étonnants et que de grands financements peuvent tout aussi réellement conduire à la faillite. Jobs nous présente un bel exemple : Steve Jobs ne commence avec presque aucun financement mais il parvient à devenir l’un des entrepreneurs à la réussite la plus éclatante de tous les temps et devient le premier à fonder trois entreprises qui valent chacune plus d’un milliard de dollars.
Pour appronfondir :
"Quels compromis pour composer l'équipe entrepreneuriale" published in L'Art d'Entreprendre : des Idées pour Agir
"Who Changes Course? The Role of Domain Knowledge and Novel Framing in Making Technology Changes", publié dans Strategic Entrepreneurship Journal
"A framework for examining leadership in extreme contexts", publié dans The Leadership Quarterly