Pour survivre et rester compétitives, les entreprises doivent s’adapter aux changements dans la technologie et les connaissances, notamment en créant des partenariats avec d’autres entreprises dans le domaine de la recherche et de développement (R&D). Par là même, les entreprises sont plus innovantes et améliorent leurs performances. En revanche, le succès dépend de leur capacité d’absorber et d’utiliser les connaissances créées grâce au partenariat. Il arrive souvent que les entreprises, ayant acquis plus d’expérience sur les partenariats en R&D, parviennent à réaliser plus de profits, ce qui est appelé « apprentissage organisationnel » et que leurs résultats commerciaux augmentent également.
Le secteur pharmaceutique met en jeu un grand nombre de partenariats extérieurs en R&D, tandis que les grandes multinationales s’associent avec des start-ups en biotechnologie pour développer et commercialiser de nouveaux médicaments. Le fait d’être le premier à commercialiser un produit donne souvent un droit d’exclusivité, si bien que le développement rapide et effectif est un objectif clé.
Exploitation et exploration
Nous pouvons classer les associations de R&D en deux catégories : l’exploitation et l’exploration. L’exploitation porte sur l’utilisation des connaissances déjà existantes pour exploiter des opportunités déjà connues, tandis que l’exploration consiste à acquérir de nouvelles connaissances et à découvrir de nouvelles opportunités. En ce qui concerne l’industrie pharmaceutique, l’exploration consiste à trouver une nouvelle molécule thérapeutique, tandis que l’exploitation consiste à la tester et à franchir les obstacles réglementaires ainsi que la distribuer et la faire connaître. Dans cette étude, nous avons observé comment l’expérimentation dans chaque type d’association influait sur les capacités en recherche et développement des laboratoires pharmaceutiques sur les projets cités –en d’autres termes, nous avons observé comment les laboratoires apprenaient de leurs expériences.
Dans les associations d’exploitation, les laboratoires pharmaceutiques apportent leur expérience commerciale qui s’étend sur des décennies, tandis que les entreprises de biotechnologie contribuent à améliorer un médicament déjà mis au point. Les rôles sont clairs et chaque partie prenante travaille là où elle est la meilleure. Les projets sont souvent gérés avec des processus formels testés et approuvés et en général avancent rapidement. Il est relativement facile de garder et d’utiliser les nouvelles connaissances. Cela nous a conduite à formuler notre première hypothèse : l’exploitation en interne améliore les résultats du projet de R&D
Au contraire, les projets d’exploration impliquent que des chercheurs de deux organisations très différentes essaient de repousser les frontières de la connaissance en travaillant ensemble. Cela peut créer un « choc culturel », car l’entreprise historique collabore avec une start-up, ce qui demande un effort de management supplémentaire pour que l’association tienne bon. Les connaissances scientifiques demandées sont d’avant-garde et peu familières aux acteurs, ce qui complique la communication. Comme la collaboration est moins formelle, il est plus difficile pour le laboratoire pharmaceutique d’intégrer les nouvelles connaissances et d’en profiter. Et quand l’entreprise tente de profiter de son expérience, il y a le risque d’un « transfert négatif de connaissances », c’est-à-dire de tentative maladroite de transférer des connaissances très spécialisées d’un domaine à un autre. Cela nous conduit à formuler notre deuxième hypothèse : l’exploration en externe a un impact négatif sur les résultats du projet de R&D.
Afin de profiter de leur expérience en R&D, les entreprises doivent être capables d’assimiler ce qu’elles ont appris et de le faire entrer dans leur propre base de connaissances. Cela dépend de leurs propres expériences en interne tant d’exploitation que d’exploration. Lors du développement des médicaments, la phase initiale d’exploration (la découverte d’un médicament) et suivie par la phase d’exploitation (la commercialisation du médicament). Nous nous sommes concentrée sur ces phases complémentaires et nous nous sommes intéressée à la question de savoir si l’exploration en interne influait sur l’impact de l’exploration en externe.
L’exploration en interne donne à l’entreprise des compétences importantes en termes d’utilisation des connaissances extérieures. Dans l’industrie pharmaceutique, une entreprise avec un secteur de R&D fort est bien placée pour évaluer les nouvelles connaissances en biotechnologie, sélectionner les meilleurs partenaires en R&D (parmi les milliers de partenaires possibles), gérer des projets de R&D et faire rentrer en interne les bons résultats des projets de R&D. Par conséquent notre troisième hypothèse est que les effets positifs de l’exploitation en externe sur les résultats du projet de R&D (comme nous l’avons vu dans la première hypothèse) sont encore améliorés si l’entreprise pilote s’est livrée à plus d’explorations en interne.
« Piège à compétences »
Quand les grands laboratoires pharmaceutiques collaborent avec des start-ups de biotechnologie, ils essaient parfois d’utiliser des méthodes éprouvées pour eux, mais qui se révèlent moins efficaces face à des nouvelles connaissances scientifiques dont ils ne sont pas familiers. Si l’entreprise a une longue expérience d’exploitation en interne, l’effet est plus prononcé. Il s’agit d’un exemple de « piège à compétences », qui se produit quand une entreprise se focalise trop sur l’utilisation de méthodes en particulier car celles-ci lui avaient réussi dans le passé. Par conséquent, le fait de dépendre de partenaires extérieurs pour l’exploration peut désavantager une entreprise, car celle-ci a moins d’aptitudes en interne pour sélectionner les projets prometteurs ou assimiler le savoir. Notre dernière hypothèse est donc que les effets négatifs de l’exploration en externe sur les résultats des projets de R&D (comme nous l’avons vu dans l’hypothèse numéro 2) sont aggravés si l’entreprise a une grande expérience d’exploitation en interne.
Pour vérifier nos hypothèses, nous avons observé des projets de développement de médicaments pour voir comment les laboratoires impliqués tiraient parti de leur expérience préalable de R&D en externe. Nous nous sommes concentrée sur les entreprises qui développent des médicaments basés sur les biotechnologies, ce qui est un domaine relativement nouveau, les premiers médicaments de ce type étant arrivés sur le marché dans les années 1980. Ce domaine était donc un bon exemple d’innovation radicale dont les acteurs établis dans le marché ont dû s’accommoder. Nous avons étudié 385 projets, gérés par 43 laboratoires pharmaceutiques multinationaux de 1980 à 2000. Nous avons croisé les données des ventes avec des informations sur le type de projet et son succès afin de mesurer la capacité des entreprises à exploiter leurs connaissances et leurs compétences. Nous avons ensuite lié les entreprises étudiées aux informations sur les associations de R&D afin de mesurer leur expérience en externe. Une analyse détaillée a démontré de manière empirique nos quatre hypothèses, à partir d’un nombre de modèles statistiques.
Nous avons découvert que l’exploration en externe donne peu de bons résultats en R&D ; cela indique que, dans certains cas, la nature des connaissances scientifiques utilisées et les différences organisationnelles entre les partenaires compliquent trop l’apprentissage de la part de l’entreprise pilote pour qu’elle puisse apprendre de l’expérience. Au contraire, les associations d’exploitation, où les connaissances sont moins ambiguës et où moins d’intégration est nécessaire, apportent des connaissances qui sont beaucoup plus faciles à réutiliser avec succès.
Notre étude indique également que les entreprises devraient se concentrer sur les associations dans lesquels chaque partie peut se concentrer sur des spécialisations complémentaires, en recourant aux connaissances que l’autre n’a pas. Également, les entreprises devraient garder en tête qu’une grande compétence de R&D en interne peut entraîner plus de bénéfices de l’association d’exploitation en externe. Les compétences d’exploration en interne sont la base pour tirer parti des expériences en interne.
Également, l’exploitation intensive en interne des connaissances peut se révéler un carcan qui empêche les entreprises de créer des partenariats flexibles et réactifs dans les domaines du savoir en pleine expansion. Les compétences en interne et en externe peuvent être combinées seulement de certaines manières ; certaines associations peuvent véritablement donner de moins bons résultats que prévu.
Pour approfondir :
"Leveraging internal and external experience: exploration, exploitation, and R&D project performance", paru dans Strategic Management Journal.