Avec Fabrice Cavarretta et Nicolas Glady
Dans l’économie de la connaissance, le fossé ne cesse de se creuser entre les entreprises qui gèrent concrètement des données et celles qui ne le font pas. Pour approfondir ce sujet, Les Mardis de l’ESSEC a invité un panel d’experts pour parler de l’économie de la connaissance et de l’impact du big data. Voici les éléments dont ils estiment qu’ils vont changer :
La création de valeur des entreprises
Dans les économies modernes basées sur la connaissance, la dynamique de création de valeur a déjà connu de profonds changements. Par exemple, « les maisons de disques ont de plus en de mal à vendre, et pourtant on n’a jamais autant consommé de musique, déclare Éric Tong Cuong, fondateur de l’agence de communication La Chose, et ancien directeur d’EMI. Deezer et Spotify relèvent de l’argent en deux secondes… Ceux qui fabriquent ne sont pas ceux qui gagnent en ce moment. »
Dans l’économie actuelle, les données et les connaissances qui en découlent sont les nouveaux leviers de valeur. Les entreprises qui se basent sur les données sont bien plus performantes que celles qui ne le sont pas. En outre, elles sont mieux équipées pour prendre des décisions au pied-levé. Ceci est important car dans l’économie de la connaissance la souplesse prime sur la stabilité.
Est-ce que la disparité entre les entreprise qui peuvent collecter et interpréter les données et celles qui ne le peuvent pas va devenir un problème ? D’un côté, Fabrice Cavaretta, professeur de management à l’ESSEC, déclare que l’économie basée sur les données peut entraîner les mêmes inégalités que l’économie basée sur les énergies fossiles : en un sens, un data center de Google, c’est une raffinerie, qui profite des ressources exploitables. Il y a des avantages et des inconvénients à cela.
D’autre part, Frédéric Lefebvre, député des français vivant à l’étranger, déclare qu’il faut réprimer notre tendance à caricaturer l’économie de la connaissance comme étant « peu de gens qui gagnent beaucoup d’argent au détriment des autres » : « N’oublions pas ce que Google génère en termes de valeur pour les sociétés… c’est grâce à eux que nous vies ont totalement changé. »
Le contact avec les clients
Que les entreprises en savent plus long que jamais sur leurs clients, voilà une évidence. Même avant que leurs produits ne soient mis sur le marché, les données fournissent aux entreprises des indices capitaux concernant les motivations et intentions de leurs clients potentiels.
Ce changement a un grand impact sur l’économie en démarrage. « Auparavant, vous développiez d’abord votre produit, et ensuite vous recherchiez des clients, dit Fabrice Cavaretta. L’approvisionnement par la foule, ou crowd sourcing, à l’ère numérique (sur des plateformes telles que Kickstarter) a modifié de manière significative l’économie en démarrage. Avant de construire un prototype, les entrepreneurs peuvent amasser un capital tout en recevant une forme de validation du marché. C’est du gagnant – gagnant. »
Donc, en un sens, les données aident les entreprises à répondre précisément aux besoins réels de leurs clients. Mais peut-on aller trop loin dans cette logique ? Éric Tong Cuong met en garde contre un excès de confiance en ce qu’il appelle un « fantasme marketing ».
« Il est tellement facile de cibler les clients avec l’informatique qu’il y a toujours la tentation d’aller trop loin et de les bombarder de publicités. En outre, je pense que le rôle du marketing n’est pas forcément de savoir de quoi les gens ont envie. Si Henry Ford avait écouté ce que ses clients voulaient, il aurait mis toute son énergie à faire des chevaux plus rapides. »
Les types de profils recrutés
Le big data est rapidement en train de devenir un facteur de succès d’une importance critique à travers différents secteurs, mais de nombreux dirigeants disent qu’ils ne pensent pas que leur entreprise soient équipée pour en tirer le maximum. Cela a une incidence sur le recrutement et la formation de nouveaux talents.
« L’économie de la connaissance, basé sur les données, demande de plus en plus une main d’œuvre spécialisée, ayant des connaissances en informatique et bien entraînée à traiter les données, développer des algorithmes et des modèles de simulation, pour faire en sorte que les processus et les systèmes restent innovants et souples, annonce Nicolas Gladys, professeur de marketing et chef de la nouvelle chaire Accenture Strategic Business Analytics de l’ESSEC. On arrive à une époque où l’analphabétisme prend une autre forme et ce sera aux écoles de commerce telles que l’ESSEC de former les ingénieurs en données de demain.
Leur vision (et la nôtre) de la vie privée
Comme l’a révélé le scandale des écoutes de la NSA, la protection de la vie privée constitue un grand défi dans l’économie de la connaissance. Néanmoins, les utilisateurs comprennent les limites de la vie privée dans le monde numérique. « Facebook est en train de perdre de la popularité auprès des jeunes alors que Snapchat monte en puissance, déclare Éric Tong Cuong. Ce sont surtout les jeunes qui demandent des plateformes « anonymes », qui sont peut-être le seul moyen de protéger la vie privée sur internet. »
Néanmoins, le risque de fuites de données est réel. « Grâce à la tradition française et européenne, selon les recommandations de la CNIL et du CSA, j’espère que nous pouvons mettre en place des instances régulatrices pour enrayer cette menace, déclare Fabrice Cavaretta. »
Leur opinion sur la mondialisation
« La solution à l’énigme de la protection de la vie privée devra être mondiale. Je pense que tous les contrôles mis en place par des systèmes économiques isolés sont voués à l’échec, déclare Frédéric Levebvre. C’est comme la différence entre l’ancienne économie et la nouvelle – il y des paradis fiscaux et il faut lutter contre. De la même façon, sur internet, si vous régulez dans un pays, ils vont aller ailleurs… Il faut imaginer une forme de régulation à l’échelle de l’Europe au minimum, voire à l’échelle internationale et petit à petit porter des régulations qui protègent la liberté des citoyens mais aussi des acteurs économiques. »